Juil
03

CINÉMA MUET

On parle trop rarement ici du cinéma muet même si récemment plusieurs contributeurs ont évoqué la figure de Lon Chaney. Notons quand même que quand on tape Lon Chaney sur le site de la Fnac, on obtient en premier LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS. Et un peu plus loin FORT INVINCIBLE… C’est dire le soin avec lequel est tenu le site. Chaney, inoubliable dans  dans VICTORY de Maurice Tourneur (une belle édition de ce film chez Lobster en compagnie du DERNIER DES MOHICANS qu’il faut revoir – l’affrontement final sur un éperon rocheux reste inégalé dans sa splendeur visuelle), dans le FANTÔME DE L’OPÉRA, NOTRE DAME DE PARIS et surtout dans l’extraordinaire L’INCONNU de Tod Browning.

L’HOMME QUI RIT de Paul Leni (Combo Blu-ray/DVD chez Elephant Film) : Paul Leni respecte le foisonnement baroque du livre, son aspect onirique (les décors sont une réussite absolue), retranscrit visuellement les affrontement antinomiques (« l’homme qui rit est une cariatide du monde qui pleure »), retrouve le côté initiatique du récit même s’il fait l’impasse sur les digressions, souvent géniales qui composaient une durée romanesque faite d’accélération, de ralentissements et même d’une certaine stagnation et d’une multitude de chemins où il paraît possible de se perdre comme on se perd dans une rêverie sans fond » (Jean Gaudon). Le moment où le jeune Gwymplaine, errant dans une forêt de pendus, en pleine tempête, rencontre Dea, est un triomphe expressionniste. Léni et son scénariste refusent la fin hugolienne (le suicide de Gwymplaine découvrant sa fiancée morte) qui aurait paru trop volontariste au profit d’un happy end.

HENRY KING
J’ai découvert le sublime STELLA DALLAS de Henry King qui constitue le bonus de la version du King Vidor (DVD MGM Zone 1), un bonus intitulé featurette. Or, on a le droit à l’intégralité du film, première adaptation du best-seller d’Olive Higgins Pouty et sans doute la meilleure des trois. Stella, une jeune femme honteusement exploitée par son père (des plans fulgurants le montrent incapable de se lever pour se verser du café), épouse, pour s’en sortir, un homme d’affaires, Stephen Dallas. Le mariage est un échec et après le départ de son mari pour New York, elle doit élever seule sa fille, Laurel. STELLA DALLAS contient un certain nombre de thèmes, de motifs chers à King qu’il conjuguera tout au long de sa carrière : l’amour maternel jusque dans ses égarements, ses excès (King dit s’être souvent inspirée de sa mère, personnage central dans sa vie, dès TOL’ABLE DAVID), le sacrifice qui permet de mesurer l’amour dans un couple – mère/fille, homme/femme (la plus parfaite illustration en étant The Gift of the Magi dans O. HENRY’S FULL HOUSE) -, la dictature de l’étroitesse d’esprit et des préjugés, représentée ici admirablement par la directrice de l’école, Mrs Philiburn qui regarde avec méfiance cette épouse sans mari. Géniale, il n’y a pas d’autres termes, interprétation de Belle Bennet qui surclasse même celle de Stanwyck, traduit dans un même mouvement la bonne volonté, l’amour du personnage, sa myopie intellectuelle, sa vulgarité. Elle nous bouleverse et nous embarrasse. Très beau scénario de Frances Marion.

Je me suis immédiatement rué sur TOL’ABLE DAVID (DVD Zone 1 Flicker Alley). King, roi de l’ “Americana” bien avant que le terme soit inventé, donne un bel exemple du genre avec ce film au titre étrange (c’est la mère du jeune David qui déclare qu’il est “tol’able”, peut-être une contraction de “tolérable”; le titre français, DAVID L’ENDURANT est totalement absurde). Le film écrit par Edmund Goulding et King, d’après une nouvelle dont l’action se passe en Virginie, était la première production de la compagnie “Inspiration Pictures” cofondée par King et l’acteur Richard Barthelmess avec le producteur Charles Duell. King insista pour tourner le film en Virginie, dont il était originaire; après avoir envoyé son assistant en repérages avec ses instructions, il arriva sur place et trouva, dit-il, tous ses extérieurs en une journée et “dans un rayon de dix kilomètres.” (Entretien avec Kevin Brownlow). Encore aujourd’hui un spectateur, même s’il n’a jamais mis les pieds en Virginie, ne peut manquer d’être frappé par l’authenticité de ces extérieurs, et par l’importance dans l’action que leur apporte la mise en scène. King déclara qu’il improvisa beaucoup durant le tournage dans des entretiens avec David Shepard qui restaura ce film magnifique (ainsi que des dizaines d’autres. Je te salue David).

THE WINNING OF BARABARA WORTH toujours de King est visuellement tout aussi impressionnant et certaines séquences, tout le début, une tempête de sable, un exode devant une rivière en crue, sont inoubliables. Mais la trame dramatique, pourtant de Frances Marion, est plus traditionnelle et les personnages disparaissent derrière la Nature, comme noyés dans les paysages, ce qui est très rare chez King.

DÉCOUVERTES 
Outre LE COFFRET des films muets de RAYMOND BERNARD avec plusieurs titres mémorables chez Gaumont, je voudrais faire partager une grandiose découverte, celle du COMTE DE MONTE CRISTO, scénario et mise en scène d’Henri Fescourt (Diaphana Video à l’origine), peut-être la meilleure adaptation du génial roman d’Alexandre Dumas et Auguste Maquet que l’on devrait relire tous les cinq ou six ans. Dans cette version, on est ébloui par la beauté des plans d’extérieurs, fort nombreux, transporté par l’invention et la rigueur de la mise en scène avec de nombreux et magnifiques travellings, une utilisation quasi expressionniste de certains décors (l’auberge de Caderousse) sans parler de l’utilisations de flash-backs rapides et percutants surtout durant la deuxième époque (l’évocation du massacre de Jenina). Fescourt garde certains épisodes souvent coupés dans les autres versions : l’engagement de Fernando de Mondego auprès des Grecs qui luttent pour leur indépendance (une cause chère à Dumas et Hugo), puis sa trahison quand il vend une ville aux Turcs. Jean Angelo, en Monte Cristo, a de faux airs de Guitry jeune, Jean Toulut campe un Villefort gravé dans le marbre tout comme le Caderousse d’Henri Debain qui fut aussi assistant réalisateur. Le film est d’ailleurs très bien joué à quelques mini-excès près dans la deuxième partie avec déjà une création mémorable de Germaine Kerjean, de Robert Merin étonnant Benedetto, avec une gestuelle si moderne. Resnais avait été fasciné par la beauté visuelle du film et on le comprend. Ce film n’est hélas plus disponible sur le site de Diaphana contrairement à INTOLÉRANCE de Griffith et je le déplore. On le trouve à un prix prohibitif sur Amazon France. La FNAC ne le recense même pas.

Sur le site de DIAPHANA, j’ai également découvert plusieurs titres qui méritent d’être signalés, rappelés, vantés : à commencer par le très puissant WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN de Lynn Ramsay, l’émouvant THE DEEP BLUE SEA de Terence Davies (n’est ce pas ballantrae ?), le superbe POETRY de Lee Shong Dang, RAPT de Lucas Belvaux qui m’avait beaucoup plu, NEBRASKA, une œuvre si personnelle et à contre courant d’Alexander Payne, somptueux noir et blanc, morceau d’Americana vu avec les yeux d’aujourd’hui et le décontracté et fort agréable MARIAGE À MENDOZA d’Edouard Deluc.

    

LIVRES

J’ai redécouvert Andreï Konchalovsky en décorant ses conversations avec Michel Ciment : ANDREÏ KONCHALOVSKY  – NI DISSIDENT, NI PARTISAN, NI COURTISAN. Trois termes soigneusement choisis qui expliquent pourquoi ci cinéaste reste si peu étudié malgré plusieurs films admirables. On se souvient de l’éblouissement procuré par LE PREMIER MAÎTRE (se reporter à la magnifique critique de Michel Cournot), du choc que procurait MARIA’S LOVERS et de nombreuses séquences de SIBÉRIADE. Konchalovsky raconte brillamment comment il passa de l’URSS à l’Amérique, évoque les obstacles, les censures qu’il dut affronter dans les deux pays. Malheureusement, l’un de ses derniers films américains qui fut massacré par le producteur, TANGO ET CASH, est l’un des seuls qui soit facilement disponible en DVD, les autres étant pour la plupart indisponibles en France. On ne trouve MARIA’S LOVER que dans un import italien dont trois ou quatre clients ont dit qu’il s’arrêtait en cours de route. SIBÉRIADE est proposé à des prix prohibitifs. LE CERCLE DES INTIMES n’est vraiment trouvable qu’en zone 1 et je l’ai commandé. Reste heureusement LES NUITS BLANCHES DU FACTEUR que je n’ai jamais vu mais dont on me dit grand bien et CASSE-NOISETTE.

J’ai adoré GÉRARD, Cinq année dans les pattes de Depardieu, une très savoureuse et roborative BD de Mathieu Sapin qui, au passage, croque admirablement l’originalité, la folie, les contradictions, le gigantesque appétit, la boulimie de tout (à commencer par la nourriture – on ne dévore pas dans ce livre, on engloutit, aussi bien de l’Art que des cotes de porc -) qui fait de Depardieu un personnage unique, épique, exaspérant et sublime, un pétomane métaphysique, un poète dadaïste, un funambule (il peut être parfois si léger) du dérisoire et, accessoirement et quand il le veut, un acteur sublime. Il faut l’avoir vu dans VALLEY OF LOVE ou dans les dernières scènes des CONFINS DU MONDE.

J‘ai dégusté avec délice la série de croquis incisifs signés par Jean Cau dans CROQUIS DE MÉMOIRE où Mitterrand (très bien saisi) croise Queneau, Welles, Ezra Pound, Giscard d’Estaing (désopilant et juste), Pompidou, Mademoiselle Chanel. Beau portrait de Sartre et poignante évocation de Carson McCullers. Il nous montre aussi un Lacan première époque qui, affolé, vient consulter Sartre parce qu’il a surpris sa fille de 8 ans qui marchait dans ses chaussures. Il y voit un acte de haine contre le père et Sartre explique qu’il ne pouvait pas lui dire qu’elle s’amusait normalement, il aurait refusé d’entendre, alors il lui a conseillé de l’écrire : « Le meilleur moyen de se débarrasser des gêneurs ; dites leur d’écrire, vous gagnez trois mois de tranquillité. »

  

Je voudrais aussi saluer VIVA CINECITTÀ! de Philippe d’Hugues (Editions De Fallois), une série de textes critiques qui réévaluent Soldati, De Sica, Pasolini, Antonioni, Cottafavi, Comencini, Rosi Olmi, Fellini, Visconti et, plus rares, Blasetti. Sur ce dernier cinéastes, Philippe D’Hugues est trop sévère sur le très savoureux DOMMAGE QUE TU SOIS UNE CANAILLE que j’ai défendu ici même et qu’il n’a pas dû revoir tout comme IL BOOM, grande réussite très noire de De Sica. Peccadille car le livre donne envie de revoir nombre de films à commencer par I VINTI d’Antonioni dont j’avais oublié que les dialogues étaient de Roger Nimier.

Pour les amateurs de théâtre, QUATRE ANNÉES SANS RELÂCHE (De Fallois) de Pierre Barillet (oui le Barillet de Barillet et Gredy) est un livre délectable qui évoque avec naturel et passion l’adolescence de l’auteur durant cette période noire. Il poursuit ses études. Sa passion, c’est le théâtre et il rend compte de tous les spectacles qu’il voit, ce qui l’amène à prendre certains risques. Il essaie de se glisser en coulisse, de rencontrer les auteurs, les artistes qu’il admire, Cocteau, Charles Trenet, (qui l’entraine dans des soirées interminables avec Piaf, Johnny Hess) Bérard, Guitry. Il analyse les créations d’Anouilh, note la découverte d’un jeune auteur, Louis Ducreux avec la Part du Feu. Il recopie les critiques dont celles d’Alain Laubreaux qui a ses têtes de turc comme Edouard Bourdet, Cocteau, Marais qu’il assassine sauvagement (Barillet ne partage pas les opinions politiques de son journal). Bref, c’est une partie de la vie intellectuelle qu’il nous fait revivre sans hypocrisie, sans cacher les petitesses de plusieurs de ses idoles mais aussi leur courage.

    

Emmanuel Burdeau vient d’écrire GRAVITÉ sur Billy Wilder et le début analyse deux scènes iconiques, Joe Gillis flottant dans la piscine (SUNSET BOULEVARD) et Marilyn sur la bouche de métro de 7 ANS DE RÉFLEXION (qui ne figure pas dans mes Wilder favoris). A partir de là, Burdeau analyse le poids, l’importance de l’air, de l’eau dans les films du cinéaste, démarrage accrocheur et intriguant qui permet de cerner certaines obsessions qui traversent l’œuvre du cinéaste. Burdeau remarque que « deux caractères dominent, l’ingénu et l’arriviste, Jack Lemmon d’un côté, Walter Matthau ou William Holden de l’autre ; trois professions l’emportent également : le journalisme, les assurances et le barreau ».

Il faut absolument acheter et lire le numéro 21 de TEMPS NOIR qui contient une série d’analyses précieuses sur le roman policier sous l’Occupation (je conseille spécialement le chapitre « les auteurs dans la tourmente »), plus la première étude, à ma connaissance, sur Louis Chavance où j’ai découvert son compagnonnage avec Prévert, Brunius, le Groupe Octobre, certains surréalistes, ses activités critiques, ses débuts de scénariste avec LA NUIT FANTASTIQUE (co-écrit avec, entre autres, Henri Jeanson qui a été interdit d’écriture par les Allemands et travaille en douce). Suivront LE BARON FANTÔME et surtout le CORBEAU. Puis l’inépuisable UN REVENANT, un de mes films de chevet (René Château), trois Cayatte dont j’ai déjà parlé LE DERNIER SOU, LE CHANTEUR INCONNU, LE DESSOUS DES CARTES (les deux derniers chez René Château).

LIVRES EN ANGLAIS
Patrick McGilligan vient de signer avec FUNNY MAN, une remarquable biographie de Mel Brooks, nous faisant découvrir un personnage ambigu, tourmenté, un bourreau de travail qui a besoin de multiples collaborateurs. Ses premiers films naquirent dans la souffrance et les pressions financières (sujet moteur des PRODUCTEURS) et c’est à la suite de multiples péripéties et désistements que Gene Wilder hérite du rôle principal de YOUNG FRANKENSTEIN (pour moi le chef d’œuvre de Brooks avec l’hilarant BLAZING SADDLES), ce qui se révèle une bénédiction pour le film. Dans la vie privée, Brooks a des côtés noirs (la manière dont il parvient à gruger sa première femme vous fait dresser les cheveux sur la tête) mais il est capable aussi de s’enthousiasmer pour ELEPHANT MAN et de produire le film de David Lynch.

Tout aussi remarquable ce premier ouvrage important consacré à Clarence Brown, CLARENCE BROWN, HOLLYWOOD FORGOTTEN MASTER (Kentucky Press) par Gwenda Young de l’université de Cork. C’est un livre très documenté qui regroupe de nombreux témoignages sur la personnalité de Brown, cinéaste en apparence éclectique. Il est vrai que sous contrat pendant des décennies à la MGM (il n’en sortit que quand il fut prêté à la Fox et Zanuck pour THE RAINS CAME), il dut filmer des produits maisons opulents et creux (l’anodin l’AVENTURE COMMENCE À BOMBAY, qui débuta sans un scénario terminé, THE GEORGOUS HUSSY) des œuvres lessivées par la Censure avant le tournage (le sinistre IDIOT’S DELIGHT qu’il détestait) mais réussit à imposer des films exigeants : L’INTRUS une des meilleures adaptation de Faulkner, THE YEARLING / Jody et le Faon (zone 1) magnifique chronique familiale, souvent âpre et violente. En dehors d’être le réalisateur préféré de Garbo (on ne peut oublier LA CHAIR ET LE DIABLE) qu’il sut apprivoiser en lui parlant en dehors du plateau, il avait une prédilection pour les histoires truffées de détails autobiographiques se déroulants dans des bourgades de la province américaine, ces morceaux d’Americana chers aussi à Henry King, pour les personnages sacrificiels, consacrant plusieurs films à des héroïnes âgées ou vieillissantes, sujets clivant comme on dirait maintenant (SMOULDERING FIRES, GOOSE WOMAN, EMMA, ce dernier disponible en zone 1 sans sous titre). Il savait diriger les actrices et aussi les enfants ou les adolescents qui peuplent son œuvre. Il découvrit des stars (Gable, Myrna Loy). Ce conservateur signa des films audacieux à l’époque du Pré-Code :

  • l’excellent ÂMES LIBRES qui contient des allusions sexuelles incroyables, à voir dans la collection FORBIDDEN HOLLYWOOD ;
  • le très remarquable FASCINATION où l’alchimie entre Gable et Crawford crée des étincelles (il en résultat une histoire d’amour torride que Louis B Mayer s’ingénia à briser) et où les séquences d’ouvertures sont inoubliables), ce réactionnaire réalisa un des films les plus dignes sur la question raciale, INTRUDER IN THE DUST (L’INTRUS, hélas disponible uniquement en zone 1) avec une interprétation inoubliable de Juano Hernande

Signalons aussi de Charles Barr (l’un des meilleurs historiens anglais, on n’a pas oublié son livre sur Ealing) et Bruce Babington THE CALL OF THE HEART – John M. Stahl and the Hollywood melodrama. Bonne occasion de rappeler ce cinéaste sous-estimé qui a su bâtir un univers personnel et cohérent aussi bien dans BACK STREET (1932) qui fut éditée dans une collection Universal, dans tous ces mélodrames refaits par Sirk du SECRET MAGNIFIQUE à MIRAGE DE LA VIE et ces remakes, maintenant adulés, ont contribué à effacer les premières versions de Stahl qu’on trouve parfois dans les bonus des Sirk et dans de trop rares éditions françaises comme IMAGES DE LA VIE. Pourtant le très étonnant et remarquable PÉCHÉ MORTEL (Fox Europa Pathé), un des premiers films noirs en couleur a été amplement commenté mais il faudrait revoir des chefs d’œuvres comme ONLY YESTERDAY, toujours absent des catalogues sans oublier HOLY MATRIMONY (comédie caustique) et THE FOXES OF HARROW qu’on trouve dans des DVD espagnols ou italiens (LA SUPERBA CREOLE). Barr signale aussi qu’une des raisons de la semi obscurité qui entoure Stahl tient au fait qu’il n’a réalisé aucun film muet iconique contrairement à ses contemporains Lubitsch, Sternberg.

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Juin
05

COFFRETS
Pour les inconditionnels de Rosselini, ce coffret sur les films qu’il a tournés durant le fascisme et qui sont produits, voire écrits et tournés avec l’appui du régime et du fils Mussolini : sa Trilogie de la Guerre comprenant LE NAVIRE BLANC, L’HOMME À LA CROIX, UN PILOTE REVIENT. Ce sont des œuvres de propagande quoique essayent de dire certains inconditionnels, où l’on fait plusieurs fois le salut fasciste. LE NAVIRE BLANC fait néanmoins preuve d’une sobriété qui évoque Guerassimov et l’HOMME À LA CROIX débouche sur une religiosité exacerbée qui ne manque pas de panache. On trouve ici et là des petites touches personnelles mais ceux qui s’extasient sur les moments de fête, de repos, de paresse en y décelant un air de subversion devraient se reporter au TRENO POPOLARE de Matarazzo, aux comédies de Camerini. On trouve Antonioni au scénario d’un de ces films. Chez Blaq Out, un coffret indispensable groupe les films de guerre qui suivirent où Rossellini opère un spectaculaire revirement idéologique.

Toujours chez Blaq Out, le magnifique coffret consacré à Fernando Solanas, cinéaste engagé qui fut contraint de s’exiler (j’ai pu l’aider à cette époque à tourner deux films en France qui sont très forts et émouvants). Devenu député, puis sénateur, il continue à se battre et à tourner des documentaires ultra-critiques dont le dernier LE GRAIN ET L’IVRAIE dénonce le saccage alimentaire exécuté par le pouvoir en Argentine. Solanas montre en quoi la soumission à la mono-culture (le soja) provoque le chômage, affecte l’éducation, la culture et place tout un pays sous le contrôle des multinationales comme Monsanto. Dans son immense fresque, L’HEURE DES BRASIERS, le côté très péroniste doit surprendre et paraître discutable mais la passion que dégage le film, la force du montage, restent intactes même si le message doit être discuté.

Les Archives Nationales du Film Hongroises ont sorti deux magnifiques coffrets consacrés à Zoltan Fabri. Les films à commencer par UN PETIT CARROUSEL DE FETE (KÖRHINTA) et PROFESSEUR HANNIBAL (HANNIBAL TANAR UR) sont tous restaurés, avec des sous-titres. On trouve en France deux coffrets consacrés aux classiques du cinéma hongrois avec des œuvres de Fabri, Károlyi Mak, Maria Mestzaros chez Malavida où l’on trouve aussi les classiques du cinéma géorgien, les classiques du cinéma tchèque. Avis à toutes les médiathèques. Yves Rouxel, avec Solanas que vous devez voir et ces coffrets, vous pourrez hiberner paisiblement.

 

  

Sidonis Callysta a sorti une énorme Coffret Encyclopédique du film Noir avec TUEUR À GAGES, L’ANGE NOIR, L’HEURE DU CRIME, TRAQUÉE, IMPITOYABLE, LE MAÎTRE DU GANG, TOKYO JOE, UN PACTE AVEC LE DIABLE, MIDI GARE CENTRALE, LE FAUVE EN LIBERTÉ, LA MAIN QUI VENGE, LE VIOLENT, « M », L’INEXORABLE ÊNQUETE, DU PLOMB POUR L’INSPECTEUR, LE DESTIN EST AU TOURNANT, NEW YORK CONFIDENTIAL, A 23 PAS DU MYSTÈRE, PLUS DURE SERA LA CHUTE, LES SEPT VOLEURS.
Il y a plusieurs inédits de choix et je recommande UN PACTE AVEC LE DIABLE, un des grands films de John Farrow, MIDI GARE CENTRALE, LE FAUVE EN LIBERTÉ et L’ANGE NOIR même si la conclusion est prévisible. L’actrice qui joue la femme assassinée fut la dernière maîtresse de Pavese et il se suicida à cause d’elle.

Serge Bromberg chez Lobster vient de sortir plusieurs coffrets magnifiques notamment celui consacré aux réalisatrices du muet : « Les Pionnières du cinéma : Loïs Weber, Alice Guy, Mrs Mabel Normand, Dorothy Arzner ». Je recommande les films de Loïs Weber. Citons aussi le coffret Maurice Tourneur avec des titres phares comme L’OISEAU BLEU – somptueuse adaptation de Maeterlinck, extraordinairement photographiée (malgré la détérioration de certaines séquences) par John van den Broek, fidèle collaborateur de Maurice Tourneur, qui surmonte et transcende tous les pièges inhérents au sujet : fausse poésie, sentimentalisme, afféteries diverses. Il faut dire que la mise en scène insuffle au récit une vitalité, une urgence qui donne une vraie force à ce conte de fées ; LE DERNIER DES MOHICANS, chef d’œuvre coréalisé par Clarence Brown qui tourna les scènes d’extérieur et admirait intensément Tourneur ; VICTORY (dans une copie meilleure que celle de Bach Films) d’après Conrad. Les scènes d’intérieurs sont très soignées et témoignent de recherches cinématographiques souvent passionnantes. Tourneur incorpore la profondeur de champ, les diagonales (quand Jack Holt et Seena Owen s’avancent dans un couloir pendant que les branches d’arbres vues à travers les fenêtres bougent avec le vent), le hors champ.

  

Signalons aussi toujours chez Lobster l’indispensable Coffret Buster Keaton et celui consacré aux « Kings of Comedy » Mack Sennett, Harry Langdon, Larry Semon, Harold Lloyd et Snub Pollard. Régalez-vous. Et cela nous donne une transition toute trouvée pour le prochain sujet.

  

ET SI ON RIAIT UN PEU ?
Oui, si on riait un peu ? Et si on parlait de comédie, non pour oublier ce que l’on est en train de vivre, mais pour mieux le supporter.
Chaque fois que je l’ai pu, j’ai voté aux César et aux Oscars pour LA MORT DE STALINE, réalisé et coécrit par Armando Iannucci d’après la bande dessinée homonyme de Thierry Robin et Fabien Nury. Hélas sans succès. J’ai trouvé ce film désopilant, tout en restant juste historiquement (comme la bande dessinée). Tous les protagonistes de cette histoire véridique sont dépeints avec une acuité cocasse, des traits acérés, mordants : quand la femme de ménage découvre Staline en train d’agoniser, elle suggère d’appeler un médecin mais personne ne veut être responsable de cette initiative. D’ailleurs comme le dit quelqu’un : « Tous les bons médecins sont au goulag. » J’adore l’évocation de Beria qui essaie de se refaire une virginité en libérant hâtivement des détenus qu’il a fait condamner mais n’a pas eu le temps d’exécuter. Tout comme Khrouchtchev qui se forge une image de libéral. Et Malenkov, pleutre, se ralliant toujours au dernier avis : « Quand j’ai dit non, vous aviez bien compris que c’était un oui. » Interprétation juteuse et dialogue sensationnel. Déjà, du même cinéaste, IN THE LOOP jetait un regard au vitriol sur les bévues de la diplomatie anglo-américaine juste avant la guerre d’Irak. Cette comédie ultra-tonique, au mouvement et au rythme échevelés (la vitesse du récit avait même quelque chose d’éreintant), montrait comment une sottise proférée dans une émission par un incapable qui n’était pas en charge du dossier pouvait faire déraper un pays dans la guerre sous les commentaires orduriers du chargé de presse, Malcolm Tucker, personnage inoubliable. A voir et à revoir.

Remontons le temps et passons en France pour saluer L’HABIT VERT (Gaumont, collection rouge) d’après la comédie de Flers et Caillavet, adaptée par Louis Verneuil et mis en boite correctement par Roger Richebé qui pratiqua quelques coupes évoquées déjà dans ce blog dont le discours de Latour Latour sur l’activité ARTISTIQUE de son confrère : « Jusqu’à l’âge de cinquante ans, messieurs, la vocation de Jarlet-Brézin est incertaine. Il avait échoué comme chroniqueur, il avait échoué comme romancier, il avait échoué comme auteur dramatique. Il avait échoué partout. En lui, s’était accumulée une force peu commune d’amertume et de sévérité. Il songea alors que de telles qualités ne pouvaient rester sans emploi, et il entra dans la critique. Ah, la critique !, messieurs. Jamais nous ne ferons assez son éloge ! Combien d’écrivains qui ne trouveraient rien à écrire s’ils n’avaient pu se donner à la critique ? Combien d’excellents esprits qui auraient dû, si cette carrière ne s’était ouverte à eux, borner leur mérite aux soins d’un petit commerce, ou aux plus minces emplois de l’administration ? Jarlet-Brézin fut l’honneur de ce genre éminent. Pendant vingt ans il jugea les œuvres littéraires et dramatiques. Il jugea passionnément, évitant de comprendre pour être mieux compris, fidèle à sa mission qui était d’abattre des talents et d’en encourager d’autres. C’était au demeurant le meilleur et le plus doux des hommes ! »
Je regrette cette omission mais il reste suffisamment de moments délectables, à commencer par l’opéra que veut écrire Elvire Popesco où Bonaparte meurt en Egypte : « C’est un fait qui n’est pas très connu. » Et j’aime bien ce président de la République qui ne peut pas changer le cuisinier de l’Elysée, ce dernier étant plus élevé que les ministres dans la hiérarchie des francs-maçons. Oui l’interprétation de Victor Boucher est sidérante de dépouillement et de sobriété. Comme son personnage qui n’a rien écrit, l’acteur fait mine de ne pas jouer, raffinement suprême mais qui le distingue immédiatement de ses partenaires qui font, eux, une démonstration inverse. Jusqu’où aller trop loin et dans ce registre, Lefaur, Popesco et Berry sont irrésistibles.

CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES (Gaumont) est une comédie gentillette, sympathique qui présente certaines ressemblances avec FRIC FRAC, avec un postulat plus intéressant même si tout aussi daté. Le film mérite de passer à la postérité pour la merveilleuse chanson, « Comme de Bien Entendu », qui fut rajoutée de manière impromptue durant le tournage par Jean Boyer qui écrivit les lyrics en 30 minutes et Georges van Parys qui composa ce merveilleux thème. Boyer filme très bien cet intermède musical, d’abord en long plan où la caméra va recadrer à chaque couplet un nouveau couple. Le dernier refrain par Arletty et Simon est irrésistible.

Pour les amateurs de ce comédien qu’adorait Alain Resnais qui possédait tous ses films, je signale le coffret « Bob Hope, Classic Comedy Collection », 10 Films (Universal) avec au moins des sous-titres anglais. On peut y voir les trois meilleurs : THE CAT AND THE CANARY, remake de la version muette de 1927 avec un rôle réécrit pour Hope dont l’arrivée dans le film est fort drôle. C’est une histoire de maison hantée et de malédiction dans les bayous de Louisiane, tournée en comédie mais avec un personnage de fou évadé, de vrais meurtres et des mains qui rentrent dans le champ. Son succès fut phénoménal si bien que Hope et Goddard enchaînèrent sur THE GHOST BREAKERS (tournée deux fois durant le muet) autre histoire de maison hantée qui se passe près de Cuba et où Hope, animateur radio qui est compromis dans une histoire de gangster, atterrit un peu malgré lui. Son personnage est moins froussard que d’habitude. Dans la distribution, on retrouve HB Warner qui joua dans la version de 1914 dirigée par DeMille (et aussi le Christ dans LE ROI DES ROIS). Paulette Goddard est adorables dans les deux films et à l’aise dans la comédie, ce qui est moins le cas de Madeleine Carroll dans MY FAVORITE BLONDE où elle interprète une espionne poursuivie par une bande de redoutables nazis qui refile un gimmick compromettant à Hope. Certains apartés sont extrêmement cocasses : « J’ai si peur que même ma chair de poule a la chair de poule » – « Vous voulez dire, que les morts reviennent ? Comme les républicains ? » – « Si tu vois deux types cavaler, laisse passer le premier : ce sera sans doute moi. » Mais cette forme d’humour peut lasser à la longue. Il faut porter au crédit des deux premiers titres, la photo de Charles Lang. Je n’ai pas encore revu THE PALEFACE, parodie qui m’avait laissé de glace. Dans la VF, quand Jane Russell embrassait Bob Hope, il regardait la caméra et disait : « Cela vaut mieux qu’un café crème. » Je vais chercher la réplique en VO. Quelqu’un connaît-il SORROWFUL JONES ou NEVER SAY DIE ?

CLASSIQUES
J’ai revu pour la première fois depuis sa découverte au Monte Carlo, MAIS QUI A TUÉ HARRY ? dans le magnifique coffret Blu-ray Universal, « Alfred Hitchcock, The Masterpiece Collection » qui comprend 14 films (la plupart de ces films offrent des bonus passionnants, des témoignages de collaborateurs, de scénaristes, des analyses éclairantes). Hitch voulait tourner le film dans le Vermont, en automne pour opposer l’humour noir du récit et la Nature luxuriante mais un ouragan et un temps glacial détruisirent le paysage et le tournage dut se poursuivre en studio, ce qui étouffe, paralyse un peu la mise en scène. Hitchcock voulait respecter le roman qu’il aimait beaucoup et les ajouts furent minimes. Essentiellement le personnage de policier un peu balourd que joue Royal Dano (JOHNNY GUITAR, MOBY DICK, LIBRE COMME LE VENT). John Michael Hayes concocta quelques répliques, généralement proférées par Edmund Gwenn à double sens qui, mystérieusement, échappèrent à la Censure, notamment sur la femme dont il est amoureux qu’il trouve bien conservée. « Mais un jour, il faut ouvrir les boites de conserve ». J’avais été marqué par le personnage du petit garçon qui mélange passé, présent et futur, par ce cadavre aux chaussettes si voyantes. Shirley MacLaine est vraiment craquante dans un personnage de jeune femme très libre mais je continue de trouver le film un peu statique malgré des moments délicieux. Il marque surtout la première rencontre entre Hitchcock et Bernard Hermann et Hitchcock trouva enfin un compositeur à sa mesure (le meilleur avait été Frank Waxman mais il n’avait pas su tirer parti de la chanson qui s’écrivait dans FENÊTRE SUR COUR). Hermann écrivit une partition enjouée, marquée par Prokofiev, Ravel, dont il tira d’ailleurs une magnifique suite. Elle trouve immédiatement le ton du film.

Saluons la ressortie d’une des comédies les plus sous-estimées de Billy Wilder, EMBRASSE-MOI IDIOT, sottement accusée de vulgarité. Son propos, comme toutes les grandes comédies, est finalement très sérieux. Mais comme nous l’écrivions dans 50 ANS DE CINÉMA AMÉRICAIN, il s’agit « d’une comédie très fine, très pudique… où, à la fin, chaque personnage a appris quelque chose de positif sur la vie, sur les autres et sur lui-même ; l’aventure les a transformés de fantoches en êtres humains. »

  

L’HOMME DU JOUR est loin d’être un film parfait mais il témoigne d’une énergie, d’une volonté de vouloir explorer de nouveaux chemins. Duvivier et Spaak examinent à travers l’ascension et la chute d’un jeune électricien devenu célèbre parce qu’il a sauvé une actrice, les ravages que peuvent provoquer un succès fulgurant mais éphémère. Ils pointent les dérives du show business non sans une certaine âpreté On y entend Maurice Chevalier dans son rôle chanter « Y a de la joie » de Trenet puis se livrer avec son double à une extraordinaire interprétation d’un de ses grands succès. La mise en place, le brio de ce numéro, avec de très légers décalages entre le créateur et son imitateur tous deux incarnés par Chevalier et souvent dans le même plan vous laisse pantois.

Je me suis promis de revoir un de ces jours, ALEXANDRE LE BIENHEUREUX et je revois cette foule de touristes asiatiques visitant Vaux-le-Vicomte et tombant sur Noiret et Rochefort, entre deux prises de QUE LA FÊTE COMMENCE, s’écriant tous : « Oh, Alexandre ! »

  

J’ai gardé pour la bonne bouche, si j’ose dire, TAMPOPO (Criterion) écrit et dirigé par Jüzo Itami, le premier western ramen (pour lutter contre les westerns spaghetti) qui raconte comment un petit groupe de personnes a pu imposer un restaurant de ramen, ces soupes de nouilles avec du porc, des poireaux et tous les ingrédients possibles. Le propos, le récit sont incroyablement originaux, truffés de parenthèses, d’évocations burlesques (un groupes de Japonais s’initiant aux spaghettis bolognaises). Il y a aussi des passages fort peu ragoutants, des bagarres et deux ou trois moments désopilants : l’entrainement quasi olympique d’une cuisinière qui doit composer en une minute plusieurs bols, retenir toutes les commandes et servir très vite.

ANDRÉ CAYATTE
Il faut commencer par lire le numéro 86 de « 1895 », revue d’Histoire du cinéma, où l’on trouve un article passionnant et prodigieusement documenté , « Cayatte avant Cayatte », sur les liens entre le futur cinéaste et les surréalistes, en particulier René Char et sur son engagement politique durant la guerre d’Espagne dans le camp républicain bien sûr. Il soutient le combat, écrit des textes très critiques des atermoiements du gouvernement Blum, publie avec Philippe Lamour SAUVONS LA FRANCE EN ESPAGNE et se serait engagé dans les Brigades Internationales. Comme Decoin avec la guerre de 14, il ne mentionnera jamais cela dans ses (rares) interviews. Pudeur ? Dans le même numéro, un article sur la musique chez Pagnol qui rend justice au travail ample et lyrique de Honegger pour REGAIN.

J’avais aimé à l’époque ROGER LA HONTE et LA REVANCHE DE ROGER LA HONTE qui tranchait sur ce que l’on disait de Cayatte contre lequel j’étais prévenu. Depuis j’ai revu certains films pour VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANÇAIS, notamment son extraordinaire sketch de RETOUR A LA VIE dont je cite un passage : ce dialogue très noir, digne de Mirbeau entre Blier et une femme, déportée à Dachau, qui est allongée sur le sol, ne supportant plus d’être étendue sur un lit… J’ai parlé dans ce blog du MIROIR À DEUX FACES et j’ai loué la première partie du DOSSIER NOIR, passionnante. La description que fait Cayatte d’une petite ville de province en pleine reconstruction, dominée par un magnat du BTP qui fait la loi, quelques années après la Libération fourmille de détails originaux qu’on aurait tort de sous-estimer : l’arrivée du juge d’instruction (Jean-Marc Bory) dans un Palais de Justice à l’abandon où l’on bute sur un bébé dans son parc surveillé par son frère, en pleine salle des pas perdus, lequel petit frère fait tourner la boutique en l’absence de personnel ; le seul téléphone se trouve au café d’en face ; la chambre qu’on alloue au juge et où Sylvie tente d’habiller le chien de Mademoiselle Boussard ; le personnage du procureur (excellent Henri Crémieux) atteint d’un cancer du foie, autant de notations extrêmement originales qui confirment, au-delà des défauts du cinéaste (lourdeurs, didactisme, manque de subtilité) le très grand intérêt de certains films souligné par Lourcelles qui qualifie leur existence de révolutionnaire (AVANT LE DELUGE). Le dialogue de Charles Spaak est acéré et cinglant. Malheureusement le scénario dérape dans des bifurcations incompréhensibles tant elles sont maladroites, défauts pointés justement par Philippe Paul dans DVDClassik : des sous-intrigues entre Danièle Delorme et Daniel Cauchy ; Boussard disparaît totalement ; on nous égare sur des fausses pistes au lieu de suivre l’enquête du petit juge qui disparaît pendant de très longs moments. Selon Noel Herpe, la Censure aurait coupé des scènes qui déséquilibrent le film dans cette partie et aurait donc mutilé le film. Heureusement, les scènes d’interrogatoire avec Noël Roquevert, formidable en flic qui sort tout droit de l’Occupation et en a gardé les méthodes, même si elles auraient gagnées à être plus elliptiques, relancent l’intérêt tout comme Bernard Blier, magistral en flic parisien qui vient humer la province, mais la fin, astucieuse, voire même provocante dans son refus de privilégier le sensationnel paraît soldée.
Depuis, sur ce blog, Cayatte avait trouvé un défenseur très argumenté avec Dumonteil et je renvoie à tout ce qu’il a dit notamment d’AVANT LE DELUGE, œuvre majeure, l’une des rares à affronter l’antisémitisme, à évoquer l’homosexualité. Cayatte sera l’un des cinéastes qui reviendra le plus sur les drames causés par l’Occupation, avec une grande lucidité. Le personnage de Balpétré qui voit un complot juif partout dans AVANT LE DELUGE est inoubliable et paraît hélas très contemporain.
J’ai voulu revoir certains films dont justement ROGER LA HONTE et LA REVANCHE DE ROGER LA HONTE (René Château). Et ces nouvelles visions ont été bénéfiques. Déjà Cayatte s’attaque, fut-ce à travers un mélodrame qui a déjà inspiré plusieurs versions, à une erreur judiciaire. Certes les péripéties héritées du roman de Jules Mary (fortement influencé par Hugo et surtout le Dumas du COMTE DE MONTE CRISTO), pèsent parfois sur le film, surtout durant le premier épisode où certaines coïncidences ou astuces de narration paraissent énormes et donnent du fil à retordre aux acteurs ; notamment la confusion sur la houppelande, cadeau de son épouse à Roger qui incrimine ce dernier. Si ce vêtement est très à la mode, il n’est pas le seul à le porter et cet argument aurait pu être évoqué par l’avocat. On est vraiment dans la dramaturgie des « lèvres closes » comme disaient les auteurs de mélodrames italiens. Quelqu’un pose une question et une réponse honnête pourrait résoudre la situation : l’homme avec qui tu m’as surpris était mon frère mais je n’ai pas osé te le dire… Tout le quiproquo lors du retour de Roger après le crime où chaque mot se retourne contre lui parce qu’on ne pose jamais la seule question qui compte en est un bon exemple. Ce qui est très marrant, c’est que la séquence dans la serre entre Roger et sa maitresse avec qui il veut rompre, moment lourd, pesant, raide, explicatif où Casarès est coincée, est toute aussi mauvaise, statique voire pire, et encore plus mal jouée, dans la version Freda qui l’avait bâclée en une prise tournée à trois caméras, s’aliénant totalement son actrice principale, Irène Papas. Dans les deux versions les séquences familiales ne sont pas ce qu’il y a de plus excitant. Tout ce qui relève en revanche de la machination, de l’engrenage judiciaire, est beaucoup plus excitant : toutes les discussions financières (un héritage de Dumas et du COMTE DE MONTE CRISTO), les séquences de tribunal (fort bien jouées) sont rondement menées et la circulation des billets qui vont accabler Roger crée une vraie tension dramatique. Les personnages de méchants volent bien sûr la mise : Tissier est délectable en banquier joueur, corrompu et maitre chanteur qui sait s’aplatir devant tous les puissants et courtise avec délectation les jeunes danseuses, Paul Bernard sinistrement glacial en assassin égoïste (« on doit toujours d’abord penser à soi »). Cayatte a très souvent su bien distribuer ses films et tirer le meilleur parti de comédiens de répertoire comme Louis Salou en policier entêté et désabusé qui noie sa désillusion dans l’absinthe, Jean Debucourt impeccable en avocat ami fidèle qui parvient à faire passer un coup de théâtre croquignolet durant le procès, Paulette Dubost et même Gabriello. Lucien Coeldel, acteur méconnu et trop oublié dont la fin fut tragique, donne une grande vérité à ces péripéties et son jeu reste très moderne. Il enracine le film dans son époque, dans son milieu social. C’était un immense acteur qui amenait une vérité à la Vanel, à la Gabin. A l’actif du film, une narration rapide et certaines belles idées de mise en scène comme ces splendides mouvements de grue lors de la déposition de la fille de Roger (meilleure durant le procès que dans les scènes qui précèdent) ou ce foudroyant champ-contrechamp qui joue sur un miroir qui ponctue dans la REVANCHE DE ROGER LA HONTE la nouvelle rencontre entre Roger, son ancienne maitresse et Casarès. J’ai été frappé aussi par le ton inventif, savoureux mais retenu de dialogues signés, ce qui est très curieux, par deux auteurs différents : Hélène Mercier, coscénariste du DESSOUS DES CARTES, pour le premier épisode et Charles Spaak pour LA REVANCHE avec des notations sociales perçantes, aigües mais sous-jouées et filmées sans ostentation. Casarès déclare à sa camériste qu’elle est heureuse de recevoir ses amis. Cette dernière lui répond qu’elle n’a jamais eu d’amis. Casarès continue sans l’avoir écoutée, qu’elle se sent très heureuse. Elle lui répond qu’elle n’a jamais connu le bonheur et se voit envoyée à l’Automobile Club. Ce petit échange est filmé en douce, à l’arrière-plan et pointe l’égoïsme autiste des classes possédantes. On retrouvera des notations aussi fortes dans AVANT LE DELUGE, LE PASSAGE DU RHIN, OEIL POUR OEIL, JUSTICE EST FAITE. Et aussi dans LE DESSOUS DES CARTES, variation assez passionnante sur les conséquences de l’Affaire Stavisky où Madeleine Sologne est crédible en femme fatale toute aussi égocentrique que Casarès (elle refuse de se réfugier en Espagne ou en Italie, « ces pays où on grossit »). Et dans ce film, Cayatte montre qu’il sait fort bien filmer la nature, les paysages de montagne. Certains plans anticipent sur OEIL POUR OEIL. Et le personnage de Paul Meurisse, flic corrompu qui fabrique de fausses preuves pour faire condamner un innocent et cacher ce qu’il a commis, évoque nettement l’inspecteur Bonny, qui deviendra l’un des chefs de la sinistre carlingue.

LE DERNIER SOU, hélas introuvable, est un petit film noir original, vu dans une horrible copie. Cayatte y utilise très adroitement Noël Roquevert, le sort de ses emplois habituels en lui donnant un personnage de détective privé. Le même Roquevert, il faut s’en souvenir, est absolument génial dans JUSTICE EST FAITE.

Toujours grâce à Noel Herpe qui en était l’avocat, je me suis résigné à voir LE CHANTEUR INCONNU (René Château) avec Tino Rossi. Eh bien, ce mélodrame aux péripéties souvent ultra-rocambolesques, a été une très bonne surprise. Avec d’abord ce personnage, joué par Bussières, de projectionniste itinérant qui se reconvertit dans le music-hall mais surtout, durant la seconde partie, à cause de ses recherches formelles souvent audacieuses. On assiste à un véritable festival de caméra subjective, avec des plans audacieux, raffinés, cocasses (une cigarette qu’on allume devant l’objectif). Le scénario (parmi les adaptateurs oubliés de tous les livres et autre IMDB, figurent Cayatte, bien sûr, et… Jean Devaivre qui ne m’en avait jamais parlé) témoigne d’un romantisme, d’une fièvre que l’on sent dans ROGER LA HONTE, dans AVANT LE DELUGE, dans LE PASSAGE DU RHIN. Le côté secret de Cayatte. Voilà qui mérite un coup d’œil et un coup de chapeau.

On ne peut quitter Cayatte sans évoquer le très original ŒIL POUR ŒIL sobrement dialogué par Pierre Bost qui bénéficie d’une fort belle photo en couleurs de Christian Matras avec de belles scènes nocturnes. Dans ce qui va devenir un face à face impitoyable, Cayatte dresse un constat décapant du monde colonial et une fois de plus, Jurgens montre qu’il vaut mieux que sa réputation.

  

LE PASSAGE DU RHIN est un des Cayatte les plus réussis : fouillé, complexe, exempt de parti pris, ce film tourne le dos à bien des clichés, héroïques ou nationalistes et la peinture de la vie d’Aznavour en Allemagne paraît extraordinairement juste, non revancharde mais exempte aussi de toute complaisance envers les collabos. Magnifique création d’Aznavour.

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Mai
09

CINÉMA FRANÇAIS
Commençons par CÉLINE de Jean-Claude Brisseau qui, de nouveau, m’a procuré une immense émotion, de par son ton insolite, la manière dont l’histoire est racontée. Cette irruption du fantastique dans un quotidien quasi-bressonien ne ressemble à rien de ce qui se faisait à l’époque (et encore aujourd’hui). Le style des dialogues, la diction, les brusques ellipses vous entraînent peu à peu dans un monde insolite, décalé où l’on perd ses repères. Je ne serai pas fichu de vous dire si Isabelle Pasco joue bien ou mal contrairement à Lisa Heredia qui est épatante comme toujours. On est ailleurs et la grâce peu à peu envahit l’œuvre, comme à son insu.
Et signalons la sortie si souvent réclamée en DVD d’ANGÈLE et de REGAIN, ces deux chefs d’œuvre. Editions chères, hélas, mais Nicolas Pagnol me dit que la Région ne l’aide pas et que ces films ne sont plus achetés, en dehors d’Arte, par le service public.

  

LIVRES
ROLAND BARTHES – GROTESQUE DE NOTRE TEMPS, GROTESQUE DE TOUS LES TEMPS (Kimé) est un pamphlet réjouissant qui démonte avec méticulosité les revirements, simplifications, les absurdités pompeuses et jargonnantes auxquelles Barthes s’adonna après MYTHOLOGIES qui était un beau livre, tout comme FRAGMENT D’UN DISCOURS AMOUREUX. J’ai aussi aimé certains articles de THEATRE POPULAIRE. Mais son livre sur Racine fut impitoyablement démonté par Picard et à nouveau ici par Pommier qui montre que Barthes omet les quatre vers qui contrediraient ses oiseuses analyses. C’est une lecture revigorante où Pommier montre que Barthes après avoir décrété la mort de l’auteur (ce qui entraîna de multiples déclinaisons chez ses disciples, notamment dans la critique de cinéma), le fait renaître (« un auteur c’est une suite d’amabilités discontinues », définition aussi ébouriffante qu’un « scénario, c’est une suite de dispatchings syntagmatiques ») puis déclare que l’auteur au cinéma, c’est le metteur en scène. Ce pamphlet sans doute injuste et peu politiquement correct mais gondolant par l’auteur d’ASSEZ DÉCODÉ, jette une lumière lucide sur certains propos de Barthes sur Sade qui feraient rugir les féministes et le mouvement #MeToo.
Un petit extrait de sa destruction du SUR RACINE de Barthes : « Qu’on l’admire ou qu’on ne l’admire pas, il est difficile d’écrire sur Roland Barthes. Si on l’admire, on ne sait pas trop que dire et, si on ne l’admire pas, on n’a que trop à dire. On ne peut, en effet, l’admirer qu’à la condition de ne jamais s’interroger, de ne jamais se demander ce qu’il a vraiment voulu dire, et encore bien moins s’il a eu raison de le dire.
Quand on commence, en revanche, à lire Roland Barthes d’un œil critique, quand on entreprend de relever toutes les contradictions que l’on rencontre dans ses écrits, de réfuter toutes les contrevérités qu’on y trouve, d’en sonder toutes les sottises, très vite on ne sait plus où donner de la tête. Qui voudrait vraiment passer au crible toutes les fariboles que Roland Barthes a débitées, risquerait fort d’y consacrer une bonne partie de son existence. Si grand que fût mon désir de mettre à nu l’étonnante nullité intellectuelle de celui qui passe pour l’une des principales lumières de notre temps, je ne me suis pas senti le courage de me lancer dans une aussi longue et fastidieuse entreprise. Il me restait donc à choisir entre deux méthodes opposées : ou bien survoler rapidement l’ensemble des écrits de Roland Barthes, en faisant un sort aux sornettes les plus notables, et proposer ainsi aux lecteurs une espèce de florilège de la faribole barthésienne; ou bien, au contraire, s’en tenir à un seul ouvrage et le soumettre à un examen aussi serré, aussi minutieux et aussi exhaustif que possible. Chacune de ces deux méthodes a, bien sûr, ses avantages et ses inconvénients. La première méthode est, sans doute plus facile et, surtout, plus divertissante. Dans la mesure où elle donne une beaucoup plus grande possibilité de choix, elle permet de ne retenir que les sottises les plus ridicules, que les foutaises les plus grotesques, et il y a assurément de quoi constituer, avec tous les écrits de Roland Barthes, une anthologie de balivernes tout à fait désopilante. Mais, bien qu’on ait logiquement toutes les raisons de ne plus faire crédit à un auteur chez qui ont été relevées un nombre important d’âneries monumentales, cette méthode, qui est celle du pamphlet, ne convainc, d’ordinaire, que ceux qui sont déjà convaincus. Les autres, surtout s’ils sont des admirateurs de cet auteur, resteront le plus souvent persuadés qu’on a fait preuve à son égard d’une insigne mauvaise foi et qu’on n’a jamais cherché vraiment à comprendre sa démarche et à entrer dans sa pensée. Si l’on veut essayer de les convaincre, il vaut donc mieux adopter la seconde méthode et choisir de n’étudier qu’un seul livre, afin de pouvoir le faire de la manière la plus patiente et la plus attentive, en s’efforçant de suivre pas à pas la démarche de l’auteur. C’est pourquoi, malgré l’envie que j’ai eue parfois de suivre la première méthode, j’ai finalement décidé de m’en tenir à la seconde et de n’étudier, en essayant de le passer au crible, que le Sur Racine.
Si j’ai choisi le Sur Racine plutôt qu’un autre livre de Roland Barthes, c’est, outre des raisons d’ordre personnel et professionnel, parce que, de tous les livres de Roland Barthes, il est celui qui, par ses ambitions, ressemble le plus à un livre de critique universitaire. De ce fait, il est aussi, sans doute, celui qui permet le mieux de mesurer à quel degré, tout à fait extraordinaire pour qui prend la peine d’y regarder de près, son auteur est dépourvu de toutes les qualités logiques les plus élémentaires. Faute de nous apprendre quoi que ce soit sur la tragédie racinienne, le Sur Racine nous apporte d’innombrables et d’inappréciables renseignements sur les très étranges démarches de la pensée barthésienne, c’est-à-dire d’une pensée dont le principal caractère est que tous les mécanismes de contrôle semblent totalement abolis et qui va continuellement de contradiction en contradiction et d’absurdité en absurdité, sans jamais s’en apercevoir. »

POUR L’AMOUR DES LIVRES de Michel Le Bris (qui me conseilla le texte de Pommier) est une vibrante défense de la lecture. Le Bris évoque avec chaleur ses découvertes depuis l’enfance et j’ai retrouvé bien des noms et des titres, Jules Verne, Stevenson, James Oliver Curwood, ce pilier de la Bibliothèque Verte, par exemple et ses CHASSEURS DE LOUPS et autres CHASSEURS D’OR sans oublier le GRIZZLY. Je ne savais pas que nous dévorions un auteur écologique qui influença Hugo Pratt et fut réhabilité par Francis Lacassin dans un volume de la collection Bouquins. Il y a des pages fastueuses dans ce livre à la gloire des auteurs – l’éblouissement ressenti devant LA GUERRE DU FEU qui m’a donné envie de relire ce roman – et des citations magistrales – « Toute vocation commence par l’admiration » (Michel Tournier) – à commencer par celle-ci, percutante : « Les méchants envient et haïssent : c’est leur manière d’admirer. » (VICTOR HUGO). J’adore les chapitres sur les bibliothèques : les paragraphes sur le mauvais accueil à la Bibliothèque Nationale sont hilarants et la perplexité de Le Bris partagée par Alberto Manguel nous vaut cette remarque : « Les bibliothèques rendent fous à commencer, parfois, par les bibliothécaires. » Ne pas manquer ce livre.

Et enfin, pour compléter cette trilogie, LA LITTÉRATURE EN PÉRIL, petit opuscule brillant et incisif de Tzvetan Todorov qui revient sur les ravages provoqués par le structuralisme (dont il épousa un moment les combats avant de s’en dissocier) notamment en détournant ce que devrait être l’enseignement de la littérature. « On n’apprend plus de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques… Non seulement on étudie mal le sens d’un texte si l’on s’en tient à une stricte approche interne, alors que les œuvres existent toujours au sein d’un contexte et en dialogue avec lui ; non seulement les moyens ne doivent pas devenir fin, ni la technique nous faire oublier la finalité de l’exercice… Autrement dit, on représente désormais l’œuvre littéraire comme un objet langagier clos, autosuffisant, absolu. En 2006, à l’université française, ces généralités abusives sont toujours présentées comme des postulats sacrés. Sans surprise, les élèves du lycée apprennent le dogme selon lequel la littérature est sans rapport avec le reste du monde et étudient les seules relations des éléments de l’œuvre entre eux. » Voilà qui peut s’appliquer à la critique de cinéma.

Les POLAROÏDS d’Eric Neuhoff (Editions du Rocher) sont une collection de petits textes incisifs, mordants. Des croquis finement écrits où l’influence des hussards, de Nimier, revendiquée jusque dans les allusions littéraire se teinte de mélancolie et où apparaissent des actrices comme Jean Seberg. Plusieurs de ces nouvelles sont poignantes jusque dans leur légèreté.

  

Philippe Roger qui aime tant Grémillon et Ophuls vient d’écrire le remarquable L’ATTRAIT DU PIANO consacré à la place du piano dans l’œuvre de certains metteurs en scène (Ophuls, Sirk, Grémillon, Borzage, Hitchcock), le choix, parfois récurrent, des morceaux qu’ils utilisent, airs classiques ou chansons populaires. Roger pointe la fascination de ces réalisateurs pour certains thèmes qu’il a tous identifiés, ce qui sera précieux pour nombre des habitués de ce blog. L’analyse d’une longue séquence de CINQUIÈME COLONNE et la manière dont le piano nous révèle un Hitchcock inattendu est un des exemples les plus réussis de cette approche très originale.

AU BONHEUR DES FAUTES (Points) par Muriel Gilbert est un petit ouvrage extrêmement amusant écrit par une correctrice. On y découvre que « ressasser » est le plus long palindrome de la langue française (autre exemple : élu par cette crapule), que « oiseaux » est le seul mot qui contienne toutes les voyelles et dont on ne prononce aucune lettre, que le plus célèbre pangramme (phrase qui utilise toutes les lettres de l’alphabet ) est « portez ce vieux whisky au juge blond qui fume », que la manière d’écrire « chef-d’œuvre » au pluriel a changé 6 fois entre 1694 et 1835 et surtout que l’accent sur la cime est tombé dans l’abîme, moyen mnémotechnique pour savoir où placer l’accent circonflexe.
Et je rappelle la parution chez Actes Sud de LUNE PÂLE de W.R. Burnett qui suit LE VENT DE LA PLAINE d’Alan Le May. Aucune réaction sur ces deux magnifiques romans, dont l’un donna lieu à un grand film de John Huston.

MICHEL LEGRAND
L’incontournable, l’indispensable Stéphane Lerouge vient de compiler un coffret fabuleux de 20 CD consacré à Michel Legrand où j’ai pu retrouver ses incursions dans le jazz avec Miles Davis, ses albums avec Stan Getz, Phil Woods, Stéphane Grappelli (une découverte), ses musiques de films pour Demy, Rappeneau, Delon (y compris la partition rejetée du CERCLE ROUGE), ses chansons interprétées par des artistes français – de Claude Nougaro à Nathalie Dessay en passant par Christiane Legrand – et américains, de Streisand à Louis Armstrong. J’ai enfin pu entendre MONTE CRISTO drame musical d’après Dumas écrit par Jean Cosmos (lyrics d’Eddy Marnay), la musique sublime du MESSAGER et mille curiosités. Des heures de délice.

ITALIE
Il faut saluer très fort TF1 qui vient de faire ressortir dans des copies sublimes plusieurs films très importants, à commencer par ce chef d’œuvre qu’est LES CAMARADES de Mario Monicelli. Cette fresque bouleversante retrace l’histoire d’une grève à Turin en 1905 dans une fabrique textile où l’on travaille 14 heures par jour, où les accidents ne sont jamais pris en charge, grève qui se heurte à la dureté d’une direction âpre au gain, arc-boutée sur ses privilèges, sûre de ses droits. On voit bien là que le marché ne s’auto-régule pas et que si on n’impose pas des limites aux possédants, ils vous écraseront encore plus. Comme l’écrit le programme du Festival Lumière de Lyon : « Filmant en noir & blanc comme pour mieux rendre compte d’une époque passée, Mario Monicelli dépeint justement la vie quotidienne des ouvriers, leurs conditions de travail et de vie. Les décors, costumes et faits historiques sont reconstitués de façon exemplaire. Le cinéaste emploie un langage hors du temps, non daté, et analyse une période charnière de l’évolution sociale, rendant hommage aux premiers mouvements sociaux et aux intellectuels socialistes.
Le véritable sujet, universel, est l’éveil de la conscience de classe, et c’est en cela que, même si le film se déroule au tout début du XXe, LES CAMARADES est contemporain. « Ce que je voulais dire, c’est que, comme celles d’aujourd’hui, les luttes ouvrières de cette époque avaient des motivations élémentaires ; je voulais dire aussi que la défaite n’est jamais totale, qu’elle sert à cimenter, à faire comprendre ce que veut dire lutter ensemble. » (Mario Monicelli, Positif n°185, septembre 1976) »
J’ajoute que la première apparition de Mastroianni qui reçoit pratiquement une boule de neige est une des plus formidables introductions d’un personnage dans un récit. Filmé dans un noir et blanc somptueux, le film est truffé de petits détails bouleversants ou savoureux, glissés en fond de plan : ces enfants qui subtilisent des boulets de charbon ou ces deux ouvriers qui se castagnent en pleine manifestation.

  

LA CIOCIARA mérite aussi d’être revue et plusieurs séquences témoignent d’une force, d’un engagement humain considérables. On aurait envie de dire que c’est le plus grand rôle de Sophia Loren mais on pense à L’OR DE NAPLES et à HIER, AUJOURD’HUI ET DEMAIN. Le film est inégal et certains défauts proviennent du roman de Moravia mais il faut saluer l’audace de certaines scènes qu’on hésiterait à tourner de nos jours : le viol des deux femmes dans une église par des soldats de couleur censés les « libérer » du fascisme est une séquence forte qui contredit la vision d’un Spike Lee par exemple. Certains analystes parlent de soldats noirs mais le critique italien qui émet beaucoup de banalités dans les bonus, parle de « Maroquinades ».
On vient de ressortir ROMA de Fellini que je ne me lasse pas de revoir. Que de séquences éblouissantes, virtuoses, euphorisantes mais aussi bouleversantes.

  

THE YOUNG POPE est une série de Paolo Sorrentino dont on retrouve le ton sarcastique, l’ironie parfois mordante (le chapitre 5 et le discours du Pape aux Cardinaux, très provocateur, est un régal) envers la pédophilie, le lobby gay de même que les préciosités visuelles. Très belle utilisation des décors naturels. Jude Law est convaincant et Ludivine Sagnier possède une grâce infinie de même que Cécile de France.
Je crois n’avoir jamais parlé du très émouvant ÉTÉ VIOLENT de Zurlini, cinéaste qu’il faut sans cesse redécouvrir.

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