Commençons par ce que l’on appelle un repentir : dans ma chronique N° 6 d’Octobre 2006, je mentionnais deux coffrets consacrés à Lucian Pintilie et à Shohei Imamura, mais je ne m’étendais pas assez sur les films. Je n’en disais pas assez la force et l’importance.
Alors répétons le, Trop Tard (1996) et L’Après midi d’un tortionnaire(1998 – qui sont analysés par Michel Ciment – MK2) sont des œuvres magnifiques, mélanges très personnels d’analyse politique et sociale décapante, désenchantée et de comédie farceuse. Deux enquêtes, la première sur des meurtres commis dans une mine, la seconde sur le passé horrifique d’un fonctionnaire attaché au régime de Ceausescu. Devenu apiculteur, il est interrogé dans sa cour, près de l’arbre où il aurait tué son père, par une jeune journaliste qui a des problèmes avec son magnétophone et une de ses victimes qui s’endort périodiquement. Leurs questions sont perturbées par le fils du tortionnaire qui estime que rechercher la vérité, c’est salir la Roumanie et vient perturber la discussion avec ses amis supporters de l’équipe de foot. Comme dans Trop Tard qui frappe aussi par l’originalité de ses scènes d’amour, Pintilie dénonce avec une ironie mordante l’alliance incongrue des anciens bourreaux communistes et des nouveaux nationalistes ultra conservateurs qui s’entendent sur le dos de la vérité
A côté de La vengeance est à moi (1979), la plupart des films d’horreur actuels font figure de bluettes. La description des deux premiers meurtres notamment nous prend de plein fouet. Leur réalisme évite tout voyeurisme, tout sentiment d’exploitation, ce qui décuple son intensité et le rend vraiment dérangeant. Les réactions des personnages secondaires, des témoins qui découvrent le corps sont filmées de manière fulgurante et toujours inattendue. Par la suite, Imamura devient plus elliptique dans la description des meurtres commis par son « héros », personnage terrifiant dans son opacité, mais dont on finit par comprendre certains ressorts, sans jamais l’excuser.
Le DVD reste un monde mystérieux. Après avoir revu au Quartier Latin un de ces films qui vous ont marqué, Le mépris (1963) de Jean-Luc Godard (dont j’avais été l’attaché de presse), l’un de ses grands chefs-d’œuvre, on découvre que la meilleure édition, et de loin, est l’Américaine (Contempt chez Criterion). Idem pour Bande à part (1964 – Band of outsiders, toujours chez Criterion). Seuls les dvddophiles américains peuvent vraiment apprécier la photo de Raoul Coutard et l’interprétation sublime de Bardot, Piccoli et de Fritz Lang impressionnant, « La mort n’est pas une conclusion », dit-il, phrase qu’il faut se répéter après la disparition de Francis Girod, Robert Altman, Philippe Noiret.
Il faut évidemment aussi citer la magnifique musique de Delerue. À propos de Delerue, signalons le CD qui groupe les musiques de Delerue pour Godard dans l’indispensable et magnifique collection dirigée par Stéphane Lerouge. On trouve également des CD d’Antoine Duhamel, de Philippe Sarde (pour Claude Sautet, Alain Corneau, Granier-Deferre, et moi-même), de Georges Van Parys etc …
Autre coffret important, celui qui regroupe deux des meilleurs films de Jean-Claude Brisseau (dont j’avais bien aimé Choses Secrètes – 2002 et son parfum érotico libertaire). On retrouve Un jeu brutal (1983) et De bruit et de fureur (1988) toutes les obsessions brissaldiennes, la description d’une école (déjà) minée, gangrenée par des problèmes dont on prendra conscience avec deux décennies de retard. Dans les bonus, L’Echangeur (1982) court-métrage bouleversant qui décrit sans moralisme ni commentaire un jeune garçon, un mineur qui parvient à survivre en se livrant à toutes sortes de trafics. Brisseau met à nu avec un regard incroyablement juste une réalité niée à l’époque par les politiques, les édiles, les institutions. Il n’avait que 20 ans d’avance. Ce film justifie à lui seul l’achat du coffret.
J’ai revu avec beaucoup de plaisir L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1971) de Jean-Daniel Pollet, comédie douce amère épatamment écrite par un Remo Forlani aussi en forme que dans sa meilleure pièce, Guerre et paix au café Sneffle. On y retrouve Claude Melki que personne, hélas, ne sut filmer et mettre en valeur comme Pollet. Qui fait une fois encore de son héros, Léon, une sorte d’Harry Langdon. Un ingénu aérien, martyrisé par l’amant de sa sœur, une brute imbécile, un proxénète borné qui aurait aimé « être facteur s’il ne fallait pas monter les étages », rôle en or pour le génial Jean-Pierre Marielle, lequel débite une litanie d’aphorismes stupides, de clichés (« tous les Anglais sont homosexuels. Sauf Winston Churchill »), de jeux de mots débiles : mets la nappe, oh Léon. Léon qui n’a jamais compris le vrai travail de sa sœur, inénarrable Bernadette Laffont, et qui va être touché par une jeune fille, jouée, eh oui, par Chantal Goya, toute aussi maladroitement charmante que dans le Godard.
J’ai aussi revu Betty Fischer et autres histoires (2001) de Claude Miller, un de ses meilleurs films (Edouard Baer et Mathilde Seigner sont particulièrement remarquables dans une distribution épatante) et Demonlover (2002) d’Assayas qui avait été sous estimé à Cannes.
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MK2 vient de sortir dans la catégorie découverte deux œuvres remarquables : Forty shades of blue (2005) de Ira Sachs qui se déroule à Memphis. Ce portrait doux amer d’une jeune femme russe mariée à un producteur de musique, magnifiquement joué par Rip Torn dont la vie se fissure, est filmé avec beaucoup de délicatesse et de tendresse. Tout comme Be with me (2005), première œuvre d’un cinéaste de Singapour, Eric Khoo. Impossible d’oublier les personnages de ce film, ces jeunes filles qui à force d’utiliser toute les technologies les plus modernes pour se parler, ne se disent plus rien. Contrairement à ces infirmes qui vont réussir à communiquer avec un minimum de mots. Tout ce qui touche à la cuisine comme lien émotionnel est formidable.
Dans le rayon patrimoine, signalons la sortie chez René Château d’un coffret Eddie Constantine avec deux de ses meilleurs films, Ca va barder (1955) de John Berry, Cet homme est dangereux (1953) de Jean Sacha et une nullité, L’homme et l’enfant (1956) de Raoul André où l’on voit pourtant la future Nadine de Rothschild se faire fesser. Chez Pathé où l’on s’intéresse enfin au patrimoine, sortie des Disparus de Saint-Agil (1938) d’après Pierre Véry, l’un des meilleurs Christian-Jaque. Et, enfin, une édition que l’on dit bonne des Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné.
J’ai enfin vu Jéricho de Henri Calef qui est un fort bon film, tout à fait fascinant. Il fut distribué en 1945 et tourné à la fin de 44, dans une vraie proximité avec les évènements qui l’inspirèrent (le bombardement, qui est le clou du film, se déroula fin 1943. Dans le film, Spaak et Calef le placent juste avant le débarquement). La plupart des pilotes anglais qui furent engagés dans le film, nous dit Calef dans le livre que lui consacrent Philippe Esnault et Marie Calef, participèrent au raid.
Le film grouille de personnages. Il y en a plus de 40, tous différents. La plupart d’entre eux sont très bien écrits par Charles Spaak et bien joués. Jean Brochard en chef de gare, Pasquali en conseiller municipal pleutre qui pour ne pas devenir un otage, démissionne sous prétexte d’un désaccord sur le stade, Jacques Charon en aristocrate, emprisonné pour avoir chanté la Marseillaise et qui veut tout le temps convaincre ses co-détenus d’entonner des hymnes.
La vision de Jéricho détruit un bon nombre de clichés : voilà un film qui ne montre pas que tous les Français sont des héros ou des résistants. On y voit des attentistes, des lâches, des égoïstes. Pierre Brasseur joue un personnage d’une rare abjection, anti-sémite, peureux, prêt à trahir tout le monde. Il s’agit moins d’un film sur la résistance que d’une étude sur différentes attitudes, prises de position qu’on a pu trouver durant l’occupation. Et aussi sur 50 personnes qui vont mourir. La scène où ils doivent écrire leur dernière lettre en se partageant les trois crayons donnés par les Allemands (souvenir des crayons qu’on donna à Spaak dans sa cellule pour écrire Les caves du Majestic) est tout à fait forte. Rappelons que Calef dut se cacher durant toutes ces années et qu’il refusa de porter l’étoile Jaune.
La photographie de Claude Renoir est spectaculaire, notamment dans les scènes de nuit et la réalisation de Calef inventive, avec de très nombreux mouvements d’appareil. J’aime beaucoup qu’il ait coupé le dialogue de la scène d’amour avec Pellegrin qu’il filme derrière une fenêtre.
Les films de Calef et la lecture du livre Henri Calef, cinéma sans étoile (Pilote 24 édition) de Philippe Esnault et Marie Calef m’ont donné envie de revoir L’alibi (1937) de Pierre Chenal (chez René Château, copie correcte aucun chapitrage ni bonus), excellent metteur en scène, hélas oublié des DVD. Où sont La maison du Maltais (1938), Le dernier tournant (1939), excellente adaptation du Facteur sonne toujours deux fois, L’homme de nulle part (1937) d’après Pirandello ? Dans L’alibi,Stroheim est formidable. (C’est même peut être le film français où il est le mieux), tout comme Préjean, Jany Holt et Jouvet. Il faudra un jour revenir sur le soi disant divorce entre Jouvet et le cinéma, car il existe une bonne quinzaine de films où il est formidable. Chenal dirigeait bien les acteurs, à l’américaine, sans les laisser commenter leurs rôles. La fin, imposée par le producteur et que Chenal regretta toute sa vie, est un cran en dessous mais le rythme, la mise en scène, la photo en font un vrai film noir qui mérite d’être redécouvert…
Deux découvertes grâce une fois de plus, aux Documents Cinématographiques et ce dans de beaux tirages : Brazza, ou l’épopée du Congo, épopée colonialiste filmée par Léon Poirier, au pittoresque parfois involontaire, qu’il est bon de revoir dans le cadre du débat sur les bienfaits de la colonisation. À signaler un des cartons les plus amusants de l’histoire des génériques français : après avoir vu défiler les noms des acteurs, on peut lire « Monsieur XXX, secrétaire personnel de Savorgnan de Brazza viendra dire quelques mots à la fin du film ».
Et surtout Lourdes et ses miracles (1955), documentaire en trois partie de Georges Rouquier (assistant Jacques Demy). Rouquier intervient dans deux parties : l’enquête sur les miracles, qui nous vaut trois interviews très pittoresques de miraculés et la conclusion. Il reste silencieux pendant l’épisode central durant lequel il filme sans commentaire une journée de pèlerinage, avec plusieurs plans impressionnants. À la fin, il revient sur deux guérisons qui se seraient produites durant cette journée. À ne pas manquer.
Dans le coffret Billy Wilder, j’ai découvert avec un immense plaisir Les 5 secrets du désert (1943 – Five graves to Cairo chez Carlotta. Copie magnifique), film tout à fait divertissant et très inventif. La photo de John Seitz est presque aussi impressionnante que dans le génial Assurance sur la mort (1944), toujours chez Carlotta. Le dialogue de Wilder et Brackett fait mouche à de nombreuses reprises aussi bien dans le sérieux (l’évocation précise de Dunkerque et du ressentiment des Français, sujet peu abordé à l’époque) que dans la cocasserie qui repose toujours sur une approche juste. J’adore le général italien dont les Allemands ont volé la brosse à dents à Benghazi et qui essaie de chanter des airs d’opéra, provoquant des réactions courroucées de ses « alliés ». Il déclare d’ailleurs « une nation qui rote ne peut pas comprendre une nation qui chante ». Rommel, lui, exige que quand il sera à Alexandrie, on joue « Aïda en allemand, en coupant le second acte qui est trop long et pas très bon ». Il ajoute qu’on ne peut compter sur les italiens qu’on soit avec ou contre eux…
Au rayon des westerns, Warner vient de sortir le dernier film de Raoul Walsh, La charge de la 8ème brigade (1964). On aurait aimé que notre génial borgne, auteur de tant de chefs-d’œuvre (L’enfer est à lui – 1949, La charge fantastique – 1941, Gentleman Jim – 1942, La grande évasion – 1941) termine sa carrière comme Altman ou John Huston. Ce n’est pas tout à fait le cas. Walsh commit l’erreur de choisir, comme scénariste, un de ses vieux complices, John Twist, auteur conventionnel, peu inventif. Et surtout la Warner l’obligea à prendre des jeunes acteurs, Troy Donahue, Susanne Pleshette, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont guère inspirants. Walsh tente par tous les moyens d’animer son héros et finit par le filmer en plan large. Il se rattrape avec James Gregory en général qui cite les auteurs latins et Claude Akins, escroc proxénète de la plus belle eau, et les scènes d’action sont remarquablement filmées. Walsh n’a rien perdu de son sens de la composition et sa collaboration avec le génial chef opérateur de Ford, William Clothier, donne de remarquables résultats. Dans le dernier tiers, la bataille (et tout ce qui précède, notamment les rapports avec le scout indien), la recherche des Indiens, l’exode dans le désert possèdent même un ton épique, une majesté, une grandeur tout à fait magnifique. Walsh parvient à intégrer plusieurs actions dans de nombreux plans de bataille, jouant sur la profondeur de champ (on voit des soldats mourir dans le lointain) et l’on comprend la tactique des uns et des autres… Dans sa dernière partie, il réussit plus de plans denses, tragiques, aigus qui font regretter qu’il n’ait pas pu tourner un autre film.
Les implacables (1955) est plus égal, mieux écrit, du moins superficiellement, mieux tenu, bien joué par Gable et Jane Russel (dont j’adore les chansons). Et bien sûr Robert Ryan dont la dernière réplique donne une nouvelle couleur à son personnage : parlant de Gable, il dit : « C’est le genre d’homme que l’on rêve de devenir quand on est petit et que l’on serait content d’avoir été quand on devient vieux ». La phrase qui ouvre le film est toute aussi fulgurante ; arrivant devant un pendu, Gable constate : « nous approchons de la civilisation… » Ce n’est pas pourtant un Walsh majeur dont les meilleurs moments ne rivalisent pas avec les beautés éparses que l’on trouve dans cette 8ème Brigade.