Déc
04

Voici le discours prononcé le 18 octobre 2019 à l’Institut Lumière à Lyon, lors de la remise du Prix Lumière 2019 à Francis Ford Coppola.

Quand on demandait à Alphonse Allais, le Mark Twain français, s’il connaissait Francisque Sarcey, célèbre critique dramatique, Allais répondait : « Je l’ai vu deux ou trois fois, rue de Douai, sur le balcon du 4ème étage de son appartement. Il battait ses tapis. Honnêtement, je n’appelle pas cela connaître. »

Eh bien moi, toutes proportions gardées, cher Francis Coppola, je pourrais dire la même chose vous concernant. A deux exceptions près :

1) il est impossible de vous comparer à Francisque Sarcey, anti-dreyfusard notoire et auteur du retentissant : « les paysans bretons sont si ignorants qu’ils croient à l’influence de la lune sur les marées », montrant qu’un critique pouvait ignorer Aristote, Galilée et Newton.

2) je ne vous jamais vu battre de tapis.

Je vous ai bien croisé à deux ou trois reprises, tout d’abord en 63, à Los Angeles, lors d’une party organisée par Roger Corman pour remercier Robert Benayoun, son premier défenseur que j’accompagnais. Corman nous présenta des acteurs, des collaborateurs, Jack Nicholson, Monte Hellman, Dick Miller parmi lesquels, un jeune homme de 24 ans, vous, son ingénieur du son, son assistant et réalisateur de seconde équipe pour THE YOUNG RACERS.

Vous veniez de tourner DEMENTIA 13 et il ne tarissait pas d’éloges sur vous.

La seconde fois, ce fut un dimanche soir, à Paris, au restaurant L’ami Louis où je retrouvais le producteur Irwin Winkler. Vous étiez attablé avec des amis, des membres de votre famille, autour de ces énormes platées de foie gras, spécialité de l’endroit, d’un poulet rôti ou d’un gigot.

Et je me suis retrouvé à vos côtés avec Martin Scorsese mais seulement sur une feuille de papier pour servir de garant à Michael Powell auprès des assurances pour un film tiré d’un opéra de chambre de Philip Glass, THE JUNIPER TREE.

Honnêtement, je n’appelle pas cela connaitre.

Et pourtant, j’ai l’impression d’en savoir pas mal sur vous, de vous avoir souvent côtoyé. C’était à travers vos films qui faisaient naitre en moi des émotions très fortes, très intimes. Je sentais vibrer la personne qui les avait réalisés et vibrais avec elle. J’épousais ses passions, vos passions, je partageais vos doutes, admirais vos audaces narratives ou visuelles, m’identifiais à vos personnages rebelles ou désillusionnés, bravaches, colériques, meurtris par la vie. A travers eux, vous parliez de l’Amérique mais aussi de vous. Tout cela me rendait admiratif. J’étais impressionné. Je le suis encore plus ce soir. Il est difficile de partager une admiration en public. On a peur d’être grandiloquent ou trop sentimental. On a peur d’admirer mal.

Je viens de passer ces dernières semaines à me promener à travers votre œuvre et ce furent des moments exaltants que de revoir un bon nombre de ces films même certains que l’on considère comme des commandes. Ainsi L’IDÉALISTE (THE RAINMAKER) m’a paru tenir formidablement le coup. Cette charge contre la dictature des compagnies d’assurance avec cette fin hustonienne prend encore plus de force, d’urgence après la crise des subprimes.

Rassurez vous je ne vais pas les évoquer tous. Simplement en choisir quelques-uns qui me touchent ou que je trouve méconnus comme ce JARDINS DE PIERRE, un des rares films américains sur le Vietnam à n’évoquer que les conséquences plutôt que la guerre sur le terrain, à travers ces soldats chargés d’enterrer les morts au cimetière d’Arlington. Les opérations militaires étaient juste entrevues à la télévision, des images d’actualité en fond de plan. Cette suite de rituels, enterrements, défilés, hommages, commémorations où prime le poids du deuil et des souvenirs accompagnés par le beau lamento de Carmine Coppola en fait votre film le plus Fordien. John Ford qui même dans ses documentaires de propagande s’attardait sur les morts, les blessés, le prix à payer. « Faites que l’ambulance arrive à temps », s’écriait Jane Darwell dans LA BATAILLE DE MIDWAY. Supplique bouleversante qui me renvoie aux larmes toutes aussi bouleversantes de Marie Stuart Masterson, la jeune héroïne de JARDIN DE PIERRE. Comment oublier cette histoire d’amour si adulte, si mélancolique, si exempte d’effets de maniérismes entre Anjelica Huston et James Caan, celle qui croit que le Vietnam est un génocide et celui qui croit que c’est une atroce erreur mais qu’on n’a pas le droit de la critiquer.

James Caan qui était déjà présent, avec Robert Duvall dans LES GENS DE LA PLUIE. Et cher Francis Coppola, je crois que je vous ai aimé dès ce film, dès ce road movie géographique et moral, cette quête entreprise par une femme que jouait Shirley Knight, à la fois égoïste et généreuse, arrogante et peu sure d’elle, instable et décidée, sincère et affectée (elle aime parler d’elle même à la troisième personne), naturelle et artificielle. Qui plaque tout et tombe en chemin amoureuse d’un homme de prime abord aussi simple qu’elle est complexe. Comme certains « innocents » de Faulkner, il est fragile, perdu mais d’une grande intégrité morale. Ce film, nous l’avions passionnément défendu, Jean Pierre Coursodon et moi-même dès sa sortie et voilà ce que nous écrivions : « Coppola a toujours voulu que ses films ressemblent à ce dont ils parlent (c’est sa propre expression) et la méthode de production adoptée pour THE RAIN PEOPLE reflète déjà ce principe. Le tournage lui-même fut un itinéraire, une quête au cours duquel le cinéaste tenta d’élucider son personnage au jour le jour, au fil du voyage… Cette ouverture, cette disponibilité donnait au film une liberté d’allure très rare dans le cinéma américain de l’époque… ».

Pourtant la mise en scène, en dehors de moments documentaires (qu’on retrouvera dans de nombreuses œuvres, les scènes de fête des PARRAINS) n’est pas toujours celle qu’on pourrait attendre d’un film en partie improvisé. Un bon nombre de séquences sont rigoureusement structurées et ce mélange de liberté narrative et de recherches formelles annonce aussi bien CONVERSATION SECRÈTE, APOCALYPSE NOW, RUSTY JAMES, que COUP DE COEUR, OUTSIDERS et bien sûr les PARRAIN 1 et 2 avec ces va-et-vient dans le temps et les lieux, ces montages parallèles, ces époustouflantes ellipses temporelles si bien analysées par un Steven Spielberg qui déclare avoir voulu abandonner le cinéma tellement il était impressionné par ces films. Il cite ce moment où l’on passe avec un CUT de la Sicile à Diane Keaton, laquelle tombe brusquement sur Al Pacino, apprenant qu’il est rentré depuis un an. Rien n’est expliqué mais par cette ellipse, cet interstice entre deux plans, le visage de Pacino, on comprend qu’il est devenu le Parrain.

Nous avions donc vu dans LES GENS DE LA PLUIE un film matrice, fondateur qui impose d’emblée toute une série de principes, de paris qui peuvent rivaliser, question audace, avec ceux de Michael Powell et d’Emeric Pressburger. Des paris, non seulement sur le courage des financiers mais aussi sur la curiosité, l’ouverture d’esprit du public.

Audace qu’on retrouvera dans le choix et la diversité des sujets mais aussi dans leur traitement avec ces brusques bifurcations narrative, ces fins en suspension, ce désir constant de transcender, de dépasser le réalisme.

La dramaturgie se veut ouverte, la structure éclatée, truffée de parenthèses, longues scènes de fêtes, d’anniversaire, de cérémonies religieuses refusant la dictature de l’intrigue pour mieux avoir l’air de s’inventer au fur et à mesure du récit. Une liberté paradoxalement confortée par des parti pris visuels flamboyants.

Ainsi, CONVERSATION SECRÈTE s’ouvre sur un plan anthologique, ce long travelling avant au dessus d’une foule qui repère puis isole Gene Hackman, lequel fait le même boulot que la caméra : il suit et espionne un couple dont il enregistre les conversations et le scénario tourne entièrement autour de l’interprétation d’une phrase captée clandestinement dans une foule – « he’d kill us if he got a chance » – et de la manière dont elle est prononcée, qui doit déterminer si on a affaire à la victime ou au meurtrier. Dans cette histoire de paranoïa et de culpabilité, Walter Murch, votre sound designer et vous, révolutionnez tout un type de rapports au son avec des années d’avance sur la technologie de l’époque. J’ai toujours eu un faible pour les moments où Hackman (que Jean-Pierre Marielle tenait alors pour le plus grand acteur du monde), joue du saxophone dans son appartement rajoutant ses solos à des disques notamment sur To Each his own. Moment de solitude et de répit. Dès ce film, vous bousculez bien des archétypes, des mythes américains comme le héros chamboule à la fin son appartement, dénonçant, avec des années d’avance, l’intrusion illicite de la vie privée par une technologie non contrôlée. Ce qui a pris une nouvelle urgence avec les révélations de Snowden sur les pratiques de la NSA, des Gafa.

Et vous allez continuer. Parfois de manière oblique, ironique : la première phrase du magistral monologue qui ouvre LE PARRAIN « Je crois en l’Amérique. L’Amérique a fait ma fortune » est prononcée par quelqu’un qui demande à Don Corleone de liquider les deux salopards qui ont tabassé et violé sa fille et que le tribunal a libéré dans un jugement inique.

CONVERSATION SECRÈTE traite aussi d’un thème que l’on retrouvera souvent chez vous jusque dans OUTSIDERS, RUSTY JAMES : le conflit entre une vie privée jalousement protégée (familiale dans les PARRAIN, solitaire dans THE CONVERSATION) et une activité violente ou criminelle, celle-ci finissant par parasiter celle-là. La famille joue un rôle capital dans votre œuvre, la famille de cinéma si soudée (Walter Murch, Dean Tavoularis, Gordon Willis, John Milius, Nicolas Cage, Tom Waits, Carmine et Roman et Sofia Coppola, la liste est longue) et la famille de fiction déchirée parfois par des jalousies, des fissures, des rancoeurs mais où ou abondent des détails sans doute autobiographiques comme la recette des boulettes et saucisses italiennes à la tomate du PARRAIN, certaines réactions qui sonnent si justes, (James Caan qui se mord la main pour réprimer une crise de violence), ces scènes de danse ou de repas, tous les moments avec les enfants.
C’est particulièrement vrai du PARRAIN 2, chronique familiale shakespearienne sur la manière dont le crime organisé détruisait une famille.

  

Le monde de la Mafia y était décrit comme un univers laborieux, petit bourgeois, gangrené par la suspicion, la paranoïa, la trahison. Les femmes n’y avaient aucune place. C’est votre regard, cher Francis Coppola et lui seul qui nous bouleversait en arrachant à ce monde de violence, des émotions, des sentiments, un moment d’espoir – le sourire d’une jeune sicilienne, un enfant qui joue avec un vieillard dans un jardin – ou d’échec (cette porte que Pacino claque sur Diane Keaton vous cloue le cœur), en s’arrêtant quelques secondes sur un paysage de Sicile sublimé par la géniale partition de Nino Rota.

Tout cela nous paraît maintenant aller de soi. Et pourtant, vous avez dû vous battre pour imposer ces idées et ce soir, je voudrais saluer cette exigence tenace. Face à des dirigeants de studio qui ne voulaient ni de Brando, ni de Pacino, ni de la Sicile. Qui exigeaient de couper dans COTTON CLUB et dans d’autres films qui ressortent maintenant dans des versions plus longues (vous battez même Ridley Scott sur ce terrain). J’admire votre énergie qui vous fit produire des films de Caroll Ballard, Barbet Schroeder, Sofia Coppola comme l’ETALON NOIR, MISHIMA, BARFLY, SOMEWHERE, soutenir Kurosawa et Abel Gance, faire exister envers et contre tout LE PARRAIN III, dont j’adore le dernier tiers somptueusement rythmé par l’opéra de Mascagni et la description au vitriol d’un Vatican assimilé à la Mafia et peut-être à Hollywood. Admirer stimule, vous ouvre l’esprit. Oui cher Francis Coppola, j’ai aimé admirer vos films. Victor Hugo écrivait « Il y a dans l’admiration je ne sais quoi de fortifiant qui dignifie l’intelligence », ajoutant : « Il faut dire, Monsieur, que j’ai pour principe d’admirer l’admirable et de m’en tenir là. »

Et puis il y a eu cette fin de matinée sur les Champs-Élysées. On sortait du Gaumont Ambassade où avait eu lieu la projection presse d’APOCALYPSE NOW. On était sonné. Moi en tout cas et une bonne partie de mes amis. Je savais que ce film allait faire partie pour toujours de ma vie, de ces œuvres qui vous collent à la peau, s’incrustent dans vos souvenirs. Dont l’ambition folle, la vision si ample transforme à chaque pas le réel en mythe. On avance sur un sol qui paraît se dérober sous nos pas, sous ceux des personnages, où la violence surgit comme par mégarde. A chaque instant, on a l’impression de côtoyer l’éternité, de longer de vertigineux abîmes, d’assister à des atrocités plus réelles que la réalité. Bref de s’enfoncer physiquement, moralement au cœur des ténèbres pour paraphraser le roman dont vous vous êtes inspiré. Et la plupart des personnages, Willard, Kurtz (cette version noire de Lord Jim), Kilgore, Hicks pourraient reprendre à leur compte ce qu’écrivait Robert Penn Warren dans L’ESCLAVE LIBRE (BAND OF ANGELS) : « Nous ne vivons pas notre vie, c’est notre vie qui nous vit. Nous ne sommes au bout du compte que ce que l’Histoire nous fait. »

A côté de ces films qu’on pourrait qualifier d’épiques qui brassent le monde, à travers la guerre, le crime organisé, il y a ces chroniques sentimentales intimistes, fragiles, qui dansent sur un fil comme Nastassja Kinsky dans COUP DE CŒUR. Que vous situez, ultime provocation, dans un cadre totalement artificiel, Las Vegas. Un lieu qui ressemble déjà à une parodie toc de décor hollywoodien que Dean Tavoularis recrée génialement en studio en le magnifiant, synthétisant par l’artifice cette ville improbable que Vittorio Storaro illumine comme de l’intérieur. C’est par la lumière que l’on passe d’un lieu dans un autre, que l’on navigue dans le temps. Les personnages évoluent dans une suite de décors gigognes qui s’ouvrent les uns sur les autres au hasard des souvenirs : intérieur de Teri Garr que l’on retrouve dans ses vitrines, appartement enchâssé dans un autre appartement comme ces boites de Joseph Cornell. COUP DE CŒUR qu’on dirait aux antipodes d’APOCALYPSE NOW, partage les mêmes ambitions intransigeantes. L’un et l’autre imposent une même construction musicale, une même méfiance de la psychologie et du réalisme. Les cadrages, les mouvements d’appareil, les jeux avec la lumière, la musique transcendent le canevas, jusqu’à faire partie intégralement du sujet comme d’ailleurs dans TUCKER. Et font surgir comme par magie, dans ce cadre baroque, ostentatoire, des moments de pure intimité tout à fait uniques.

Plus modeste, OUTSIDERS me touche encore plus. Tout parait murmuré dans cette chronique mélancolique où l’on est brusquement ému par une discussion sous un arbre, la lumière d’une fenêtre sous un porche. Des notations subtiles nous font sentir le décalage, les interrogations des personnages, un lien familial fragile, ténu mais auquel peuvent se raccrocher ces ados trop pauvres pour s’intégrer dans une Amérique du succès, trop rêveurs pour surmonter les handicaps de leur classe. A la suite d’une bagarre, deux d’entre eux après une longue cavale se réfugient dans une église abandonnée et cette errance panthéiste constitue l’un des sommets de cette œuvre.

Albert Camus, quand il reçut le prix Nobel écrivit et ces mots, cher Francis Coppola me semblent si bien s’appliquer à tout ces films que j’ai cités. Il suffit de remplacer romancier par cinéaste : « Le romancier doit être vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté… Qui après cela pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. »

Lire la suite »
Oct
11

LECTURES

POUR UNE ÉCOLE PUBLIQUE ÉMANCIPATRICE de Véronique Decker (Libertalia), auteure de TROP CLASSE, L’ECOLE DU PEUPLE, est un texte clair, concis, percutant sur le rôle que devraient jouer l’école et l’éducation si on s’inspirait davantage des méthodes Freinet. Veronique Decker a été directrice d’établissements à Bobigny et à Montreuil. Elle connaît les quartiers en difficulté, a été confrontée à la violence de certains élèves, à la misogynie de caïds, à l’ignorance satisfaite mais aussi à la bonne volonté, au désir d’apprendre et énumère des petits faits, des constatations. Elle se heurte aux décisions changeantes, jamais expliquées, souvent incompréhensibles d’une administration nébuleuse. Un jour, on lui envoie une stagiaire qui doit travailler dans deux écoles. Mais on ne lui donnera jamais le nom de la deuxième. Et deux après, ce poste est supprimé toujours sans explications. Elle nous parle des portables et des parents qui sont ravis que leur enfant de 8 ans soit une « youtoubeuse ». « Beaucoup de gens pensent que c’est le rôle de l’école de faire ce travail d’apprentissage des mondes virtuels. Mais personne ne se soucie de vérifier que nous disposons de la formation, du matériel et du temps d’enseignement indispensable pour le faire. » Les passages sur les rapports avec les Roms sont poignants : elle héberge pendant quelques semaines deux crevettes avec l’aide d’un avocat, découvre très vite pourquoi elles étaient souvent insupportables en classe : eczéma, dents cariées, elles sont carencées en sommeil à dormir à 4 dans une chambre d’hôtel, l’une est blessée au bras et l’autre a besoin de semelles orthopédiques. Et la conduite, les résultats seront nettement meilleurs. Obligation d’une vraie politique de santé scolaire : « A 13 ans, l’aînée aura vécu dans trois pays différents et aura du apprendre deux langues étrangères pour s’y adapter. Une enfance Erasmus. »

J’ai été passionné par EXTRÉMISME RELIGIEUX ET DICTATURE (Actes Sud) d’Alaa El Aswany, l’auteur de L’IMMEUBLE YACOUBIAN (Actes Sud) qui fut défendu par Gilles Kepel dans Le Monde et dont on tira un film tout à fait estimable et de J’AURAIS AIMÉ ÊTRE ÉGYPTIEN (Actes Sud). Il s’agit de petites chroniques écrites pour divers journaux (Al-Shorouk, El Masri El-Yom), en prise avec les problèmes de la vie quotidienne, qui abordent des sujets polémiques tous d’actualité : la persécution d’une doctoresse bahaïe, la persécution des coptes. Certains titres parlent d’eux mêmes : « Pourquoi sommes nous en retard sur le reste du monde ? », « Comment vaincre la séduction des femmes ? », « Pourquoi les religieux extrémistes sont-ils si préoccupés par le corps de la femme ? », « l’Egypte face au fascisme ». Ces articles sont écrits avec une ironie décapante qui évoque Albert Cossery mais aussi une douleur face à la dégradation de la tolérance, de la civilisation en Egypte. Il donne des chiffres accablants sur les perversions sexuelles, les viols, les agressions sur enfants dans les milieux extrémistes religieux : en 2008, 850 jeunes filles saoudiennes ont fui leur domicile à cause d’agressions la plupart d’ordre sexuel, de leurs parents proches.

Dans QUESTIONS DE CINÉMA (Carlotta), Nicolas Saada interroge des cinéastes, Jarmusch, Ethan et Joel Coen (ce chapitre est excellent), Paul Schrader (idem), fait dialoguer John Carpenter et Dario Argento. Peu de Français comme le veut la mode (Chabrol mais sur DOCTEUR M.) mais John Woo et Wong Kar-wai… J’ai beaucoup apprécié son interview d’Elmer Bernstein où l’on découvre que dans de très nombreux cas, Bernstein ne rencontra, du moins durant ses premières années, que les dirigeants des secteurs musique des studios qu’il jugeait intelligents et talentueux. C’est le scénariste producteur Sidney Buchman qui lui confie la musique de l’excellent SATURDAY’S HERO de David Miller. Il ne rencontra jamais John Ford pour SEVEN WOMEN ni même Anthony Mann pour COTE 465, partition percussive particulièrement mémorable. Quelques exceptions : Preminger avec qui il s’entendit très bien pour L’HOMME AU BRAS D’OR et Cecil B. DeMille qui savait ce qu’il voulait et l’expliquait bien (il y a aussi un très bon entretien de Michel Ciment avec Bernstein dans un numéro de Positif). Passionnante interview de Schiffrin. Lui et Bernstein sont très respectueux du travail de Frank Waxman (AVENTURES EN BIRMANIE, LE BOULEVARD DU CRÉPUSCULE) lequel composa après FENÊTRE SUR COUR une suite qui incorporait des morceaux NON utilisés par Hitchcock : du Bernstein avant Bernstein déclare Schiffrin. On croise beaucoup d’autres créateurs dans ce livre, de Thelma Schoonmaker à Angelo Badalamenti et à l’omniprésent Francis Ford Coppola, sans oublier David Lynch et Dianne Johnson. Bref, je me suis régalé.

SAMUEL FULLER – JUSQU’À L’ÉPUISEMENT (Rouge Profond) de Frank Lafond offre une approche assez originale de Fuller en privilégiant certains angles, en se concentrant sur certains films et surtout en allant piocher des faits, des explications dans les archives des studios. On découvre ainsi le processus de production de certaines œuvres, les remarques de la Censure, les modifications que cela entraîne dans le scénario avant le tournage. Lafond a regardé parfois plusieurs versions du scénario ce qui l’amène à faire des remarques souvent passionnantes : les scènes sentimentales, les rapports amoureux entre Robert Stack et une jeune Japonaise constituent un vrai apport de Fuller qui enrichit le scénario original de Harry Kleiner pour LA DERNIÈRE RAFALE de William Keighley (un bon film noir où Widmark jouait le gangster que reprend Robert Ryan). Lafond étudie longuement la tragique histoire du tournage de CHIEN BLANC qui fut assassiné avant sa sortie par des militants noirs qui n’avaient pas vu le film qu’ils jugeaient aussi raciste que NAISSANCE D’UNE NATION. Deux de ces militants noirs avaient été enrôlés par le studio pour donner un feu vert. Ils ne firent aucune observation durant le tournage mais se déchaînèrent dès qu’ils furent retirés des listes de paie. Leurs critiques témoignent d’une méconnaissance sidérante du film, des intentions du cinéastes, du roman de Romain Gary écrivain qu’ils ignorent totalement, le traitant d’auteur minable de troisième zone qui ne s’est jamais intéressé aux Noirs. Ils oublient simplement la dénonciation du colonialisme qu’on trouve dans LES RACINES DU CIEL. Cela dit, le roman CHIEN BLANC les ferait hurler, pour sa dénonciation au vitriol de la manière dont certains membres de Panthères Noires abusèrent de Jean Seberg, la rançonnant avec une misogynie crasse. Toute cette partie de ce livre extraordinaire avait été écarté par Fuller et par tous les scénaristes qui voulurent adapter le roman. J’ai appris aussi beaucoup de choses sur l’exploitation de J’AI VÉCU L’ENFER DE CORÉE, rebaptisé SERGENT ZACK.

Irwin Winkler dans A LIFE IN MOVIES (Abrams Press) évoque sa carrière de producteur riche en œuvres marquantes sous forme d’un journal. Du moins après les premières années. Avant, il entre tout de suite dans le vif du sujet. Rien sur son enfance, ses parents. En deux phrases, il relate comment dans l’Armée, il déclara qu’il pouvait taper à la machine, ce qui n’étais pas tout à fait exact mais réussit à se rendre indispensable en mettant la main sur des dossiers égarés concernant des troupes d’infanterie en Corée (« Une guerre inutile dans laquelle 52 000 Américains périrent »). Il trouve un travail à la William Morris, grimpe les échelons, devient un petit agent, s’associe avec un jeune diplômé, Robert Chartoff. Ils parviennent à gérer certains contrats de Julie Christie et la mettent en rapport avec Ponti et Lean qui préparaient LE DOCTEUR JIVAGO. Christie est choisie de préférence à Jane Fonda et Winkler et Chartoff doivent emprunter de l’argent pour se rendre à Londres assister à la première de DARLING. A la MGM, ils trouvent un sujet pour Julie Christie. Bob O’Brien, le président, le lit et leur dit qu’il est d’accord pour le produire à condition qu’on adapte le personnage de Christie pour Elvis Presley. Et Winkler s’entend répondre : « C’est un très bonne idée, Bob. » Cela donnera DOUBLE TROUBLE de Norman Taurog qu’on peut conseiller aux apprentis scénaristes pour voir comment a fonctionné le changement d’interprète. Taurog qui était pratiquement aveugle comme le découvre Winkler. Des histoires comme cela, on en trouve des centaines. Il y a celles sur la naissance de ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX. Les pages décrivant comment Winkler et Chartoff vont réussir à se débarrasser de James Poe que Fonda avait choisi comme réalisateur « parce qu’il portait les mêmes bottes que John Ford » et imposer en douce Sydney Pollack sont très savoureuses. Il y a encore les passages sur RAGING BULL, L’ÉTOFFE DES HÉROS, NEW YORK, NEW YORK, deux films avec Costa Gavras dont l’excellent MUSIC BOX, AUTOUR DE MINUIT (Costa et moi, nous nous en sortons bien). Winkler évoque sans prendre de gants aussi la politique souvent erratique, incompréhensible des Studios, qui stoppent un projet quelques jours avant le tournage après l’avoir couvert d’éloge pendant huit mois, les luttes imbéciles pour le pouvoir. Il déclare détester Ken Russell et son VALENTINO, ne mâche pas ses mots contre la conduite arrogante de Peter Bogdanovich qui saccage dans NICKELODEON un fort bon scénario, contre le Verhoeven de BASIC INSTINCT, s’en prend violemment à David Biggelman qui dirigea un temps la Columbia et fut condamné pour escroquerie. Il prend des positions progressistes sur de nombreux sujets et montre comment le montage financier de ROCKY (ils hypothéquèrent leurs maisons pour financer le film refusé par tous) reproduit le thème du film, la revanche d’un prolétaire.

    

FESTIVAL LUMIÈRE

Le festival projette sous un titre un peu trompeur (certains ont été produits par la MGM mais rachetés et restaurés par Warner les Tresors Warner), une dizaine films Pre-Code que j’ai plusieurs fois défendus dans cette chronique pour leur audace, leur vitalité, leur énergie narrative, leurs dialogues souvent percutants. On pourra voir :

ÂMES LIBRES de Clarence Brown où Norma Shearer campe un personnage qui a des rapport sulfureux avec Clark Gable.

L’ANGE BLANC de Wellman avec Barbara Stanwyck et encore Gable qui fait une entrée fracassante en lui filant un bourre pif : « Je suis Max le chauffeur ».

BLONDE CRAZY, un des très bons Roy del Ruth avec Cagney et la merveilleuse Jan Blondell sa partenaire préférée qui lui tient tête.

JEWEL ROBBERY, une délectable comédie où William Powell et Kay Francis forment un couple éblouissant.

RED DUST (LA BELLE DE SAIGON), la première version de MOGAMBO, là encore dialogue truffé de sous-entendus. Gable et Harlow donnent une sensualité, une force érotique à toutes leurs scènes et Myrna Loy est excellente.

LA FEMME AUX CHEVEUX ROUGES s’ouvre sur une question de Harlow : « vous ne trouvez pas que cette robe est un peu transparente » – « oui Madame » – « Bien je la prends ». Le ton est donné.

EMPLOYEE’S ENTRANCE est peut être le meilleur Roy Del Ruth que j’ai vu : rapide, caustique, audacieux. Warren Williams est aux acteurs Pre-Code ce que Barbara Stanwyck est aux actrices. Il imposera une série de personnages de canailles cyniques, impitoyables mais charmeuses et désinvoltes. TOUTES les situations et les répliques paraissent en prise avec les crises économiques actuelles et le rapport avec les banques.

THE MIND READER, toujours du même cinéaste, très inspiré à cette époque, avec encore Warren Williams.

BABY FACE a été reconnu ces dernières années comme un des films les plus féministes. Dans les 15 premières minutes, Stanwyck piétine un bon nombre de tabous dont il se ra interdit de parler après 33 : un père qui prostitue sa fille, la corruption politique, parricide, rapports sexuels dès la première rencontre etc. On peut brièvement voir John Wayne.

FEMALE est attribué à Curtiz qui pourtant ne tourna qu’une semaine à la fin nous apprend Aman K. Rode dans son indispensable biographie. Le film fut commencé par Dieterlé, repris par Wellman qui en tourna la majorité, Curtiz assurant surtout des retakes qui amoindrissent le ton caustique de l’oeuvre.

Parmi d’autres films de la même période, ANN VICKERS de John Cromwell (zone 1) adapte Sinclair Lewis et édulcore le roman sans en déformer le sens. Ann n’épouse pas l’homme qui prétend l’aimer et qui l’oublie dès qu’il revient de la guerre mais la violence masculine est toute aussi forte. Et elle file un parfait amour avec Walter Huston qui est marié. Cromwell tourne pratiquement toutes les scènes de prison souvent violentes et dures (matraquages, repas, courses dans les couloirs) en d’impressionnantes plongées comme si la caméra épousait le point de vue de l’héroïne qui ne peut que regarder de loin, d’une passerelle. Personne ne note ni à l’époque, ni dans les commentaires actuels, cette recherche esthétique pourtant forte.

PICTURE SNATCHER (Warner) récit dynamique qui fonce à cent à l’heure est un petit joyau avec des détails vraiment noirs : le héros trompe honteusement un pompier à moitié fou, on assiste à l’exécution d’une femme durant laquelle Cagney vole une photo de la condamnée sur la chaise électrique. Ce moment s’inspire de l’exécution de Ruth Snyder que quelqu’un parvint à photographier. Le film est truffé de remarques cyniques sur les journaux qu’un étudiant définit naïvement comme « cette somme de travail, de sueur, de photos qui va sortir demain. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes vont nourrir leurs âmes médiocres et affamées des indiscrétions et des aventures d’autrui. Et après qu’est-ce qu’il deviendra ? » – « Vous ne savez pas », dit Cagney, « on s’en servira pour emballer les harengs ».

  

BLONDIE JOHNSON (Warner) est un de ces épatants films Pre-Code dont la Warner avait le secret dont on doit attribuer les vertus (narration concise, réalisation rapide, dégraissée) autant au studio, au chef opérateur Tony Gaudio qu’au réalisateur. Les séquences d’ouvertures foudroyantes tracent en quelques plans un portrait fort peu flatteur de diverses institutions dont aucune ne veut aider l’héroïne, Blondie (l’irréprochable Joan Blondell, l’une des reines du Pre-Code) : l’aide sociale, les avocats (« pas d’argent, pas de procès »), l’Eglise représentée par un prêtre aussi onctueux qu’antipathique. Elle décidera de se venger en s’élevant dans l’échelle sociale mais en se servant de son astuce, de son intelligence plutôt que de son pouvoir sexuel, ce qui rend le personnage assez original : « Pour moi, le travail prime toujours sur le plaisir », dit-elle.

FIVE STAR FINAL (zone 2) de Mervyn LeRoy est une charge incroyablement violente contre la presse à scandale où l’on attaque aussi les lecteurs. Edward G. Robinson s’en prend constamment à eux, les considérant comme une bande d’illettrés stupides, bigots et ignorants. Les victimes sont décrites de manière un peu trop mélodramatique et leurs scènes paraissent plus statiques. Mais tout ce qui se déroule à l’intérieur du journal est rapide, dépouillé, brutal. Boris Karloff campe remarquablement un reporter salace, ivrogne, obsédé sexuel, particulièrement répugnant, qui se déguise en prêtre pour extorquer une photo. « Vous êtes un blasphème vivant », lui dit Robinson.

THE HOUSE ON 56 STREET (zone 1) est un mélodrame tarabiscoté où Florey parvient à atténuer le coté incongru, invraisemblable et un peu zinzin de certaines péripéties : l’héroïne sort de prison et se voit offrir un travail dans une maison de jeu qui se trouve être l’appartement où elle tomba amoureuse.

ANDRÉ CAYATTE

Revoir les films de Cayatte (sortis en Blu-ray par Gaumont) fut un exercice salutaire, une manière saine de remettre en cause une vision archaïque, réactionnaire (en fait beaucoup d’attaques venaient de la droite) et simpliste de son œuvre qui comprend moins de films à thèse qu’on le dit. Et parmi ceux-là, il est vrai que JUSTICE EST FAITE pour mettre en lumière la difficulté de juger équitablement, s’appuie sur un cas extrême : l’euthanasie qui déclenche encore aujourd’hui des polémiques infinies. Pensez à l’affaire Lambert qui redonne une actualité à ce film. Par ailleurs, à chaque vision, je suis subjugué par le nombre, la variété des personnages, des milieux sociaux, la rapidité elliptique avec lesquels ils sont décrits. On côtoie aussi bien des bourgeois que des policiers, des magistrats, des ouvriers, des anciens militaires (Noel Roquevert est particulièrement spectaculaire), des paysans. Cayatte remet en question leur regard et le nôtre. Le propos est beaucoup plus ouvert qu’on le laisse entendre et il questionne aussi le spectateur. Il faut dire qu’il trouve en Charles Spaak un complice indispensable.

NOUS SOMMES TOUS DES ASSASSINS est le premier film qui aborde la peine de mort de manière frontale et non en fin de récit comme dans J’AI LE DROIT DE VIVRE de Lang et autres œuvres généreuses. Est-ce que questionner le bien fondé de la peine de mort est une thèse ou un constat ? Il est vrai que Spaak prend ouvertement position à travers des personnages de médecins (parfois idéalistes mais est ce un crime ?), de prêtres, certaines femmes ou ce que disent les condamnés. Qui contrairement à ce que l’on affirme ne sont pas innocents. Il y a même des tueurs répugnants parmi eux qui ont assassiné des enfants, tué et violé une petite fille. Même Mouloudji qui commence à apprendre à lire et se transforme ne peut pas imputer tous ses crimes à la société. Il est certes alcoolique, vit dans un milieu effroyable, avec une mère atroce de brutalité mais il est comme possédé par une rage, une violence qui explose à l’improviste et le fait tirer plusieurs fois surs son chef de réseau. Est-ce une thèse que de montrer l’horreur froide, méthodique qui préside à une exécution capitale avec tout ce personnel qui arrive en chaussettes au petit matin, ce rituel épouvantable, la froideur des formules officielles qui fait ressortir la compassion de certains gardiens (Frankeur épatant) ? On retrouve dans ce film puissant, dirigé une fois encore avec une rapidité dans le récit, un gout pour l’ellipse, une extraordinaire variété de décors – chopés avec justesse en deux ou trois plans -, de milieux, dans ce film extrêmement bien joué de Mouloudji à Balpétré en passant par Pellegrin, Renaud Mary et des dizaines d’autres tout ce qui fut analysé et développé par Robert Badinter.

J’ai dit le bien qu’il fallait penser de la première partie du DOSSIER NOIR qui gagne à être revu et dans la deuxième partie la force des deux personnages de policiers incarnés par Blier et Roquevert.

  

PIERRE ET JEAN n’est pas un film à thèse mais une belle histoire d’amour tirée de Maupassant qui donne à Renée Saint Cyr, remarquable, le rôle de sa vie. Cayatte impose un ton retenu, dépouillé, une vision plutôt sombre avec des rapports minés par la jalousie, l’envie (entre les deux frères), l’égoïsme masculin, le contentement de soi (pour le couple Saint Cyr/ Roquevert, encore lui). La dernière réplique, sidérante de pessimisme inconscient (« tu te rends compte ma pauvre vieille, on va rester ensemble jusqu’à notre mort » – je cite de mémoire),  est absolument anthologique. Terminer un film de cette façon est remarquable.

Je suis très heureux de découvrir LE DERNIER SOU dans une copie restaurée qui m’avait bien plu même dans une horrible version. Cette histoire d’escroquerie est rondement menée surtout dans les deux premiers tiers et Cayatte s’appuyant sur un scénario co-écrit avec Louis Chavance lui donne une noirceur, une âpreté rare dans ce genre d’histoire. Une fois de plus, Noel Roquevert est royal dans un personnages aux nombreuses facettes, charmeur, caustique, fourbe et en fin de compte impitoyable. Ginette Leclerc dégage un charme fou, une chaleur dans un personnage plus sympathique qu’à l’ordinaire. Certains extérieurs de rues, reconstitués en studio, paraissent aussi oppressants, aussi désolés que les couloirs de la prison. A découvrir.

   

ŒIL POUR ŒIL reste un film profondément original surtout dans ses deux premiers tiers, avec une description retenue et lucide de la colonisation, de belles scènes nocturnes et de magnifiques et très nombreux extérieurs alors qu’on décrivait le cinéma de Cayatte comme confiné en studio. Ce qui est faux dès LE DESSOUS DES CARTES et va être battu en brèche par LE PASSAGE DU RHIN, peut être son chef d’œuvre avec AVANT LE DÉLUGE. Deux œuvres complexes, surprenantes qui réfutent bien des idées reçues et témoignent d’une grande ouverture d’esprit. Peu de film ont évoqué l’antisémitisme comme AVANT LE DELUGE ou le personnage de Balpétré qui voit partout un complot juif est inoubliable comme est inoubliable Aznavour dans LE PASSAGE. Deux films à redécouvrir absolument. Dans le premier, la construction en flashback est parfois appuyée, soulignée (défaut compensé par l’écriture acérée de certaines séquences, la justesse du personnage de Blier ce militant socialiste épris de l’humanité mais aveugle face à son fils et surtout à sa fille), défaut auquel échappe LE PASSAGE DU RHIN dont la liberté de ton est encore plus frappante aujourd’hui.

COPPOLA

Dans les films de Francis Coppola dont beaucoup ont été admirablement restaurés par Pathé, ceux qui m’ont spécialement touché en dehors des PARRAIN qui tiennent incroyablement le coup et d’APOCALYPSE, c’est OUTSIDERS, chronique mélancolique, bouleversante qui me touche plus des années après que RUSTY JAMES pourtant impressionnant visuellement. J’ai aussi adoré revoir CONVERSATION SECRÈTE et son extraordinaire premier plan, JARDINS DE PIERRE, œuvre méconnue, secrète, émouvante et TUCKER qu’on oublie trop souvent mais qui n’est disponible qu’en zone 1.

  

Lire la suite »
Sep
02

4 MAÎTRES

Quatre maîtres (puisque Decoin semble avoir arraché après le Festival Lumière, son ticket d’entrée) dont l’œuvre devient de plus en plus accessible, on a envie de dire, enfin.

Célébrons la sortie de plusieurs œuvres de Jean Grémillon en Blu-ray : le sublime GUEULE D’AMOUR qui n’a pas pris une ride et où Gabin est absolument bouleversant, charmeur, conquérant puis fragile, meurtri, pleurant. Voir Gabin pleurer… ; INAH LA METISSE avec quelques plans, quelques minutes en plus ; PATTES BLANCHES (Gaumont) et rappelons LUMIÈRE D’ÉTÉ et LE 6 JUIN A L’AUBE.

    

Sortent en Blu-ray pour Decoin : LES INCONNUS DANS LA MAISON ; le merveilleux BATTEMENT DE CŒUR et PREMIER RENDEZ-VOUS qui rejoignent LA VÉRITÉ SUR BÉBÉ DONGE, RAZZIA SUR LA SCHNOUFF. Mieux vaut oublier le léthargique MASQUE DE FER.

    

Duvivier se voit consacré un très beau coffret magnifiquement fabriqué par Pathé, dans lequel on peut revoir d’immenses chefs d’œuvre : LA BELLE ÉQUIPE malgré une fin aléatoire dans les deux versions ; LA FIN DU JOUR ; LA FÊTE À HENRIETTE ; le si noir et si percutant VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS. Et je dois dire que j’ai mieux aimé MARIE OCTOBRE en le revoyant même s’il est en dessous de ces chefs d’œuvre. Je suis toujours un peu gêné par l’idée du sujet qui me paraît toujours mécanique, avec cette réunion de suspects et la Résistance est décrite de manière assez abstraite : sans doute par frilosité, les auteurs n’osent pas affronter sinon de manière oblique, à travers une réaction, une phrase ce qui opposait certains courants de la Résistance : les communistes, les gaullistes mais aussi, les partisans de Frenay et Combat. Lors de cette vision, j’ai trouvé que des comédiens comme Ventura ou Blier ancraient davantage que dans mon souvenir le film dans la réalité mais cela restait périphérique et c’est dommage. Il y a dans ces affrontements un côté théâtre ambitieux de boulevard. Mais le travail de Duvivier, l’utilisation des décors, laissent admiratifs. Cela dit, le personnage de Marie Octobre m’a paru plus effacé malgré Darrieux que dans mon souvenir.

Par ailleurs, la sortie de UNTEL PÈRE ET FILS chez Gaumont est une vraie découverte. La version restaurée a réinséré des séquences coupées lors de la sortie, souvent dans des conditions difficiles à démêler. Heureusement dans les bonus, Eric Bonnefille auteur du livre « Duvivier, le Mal Aimant du cinéma français » (2 volumes Harmattan) éclaire certains points (pas tous), entre les coupes exigées par la Censure, celles effectuées pour la sortie en Amérique et la version ressortie après guerre. En fait, on découvre un film nouveau, passionnant pour de nombreuses raisons, parfois un peu naïf, à la progression hasardeuse, mais souvent audacieux. On y découvre une scène étonnante où Raimu prend la défense des étrangers qui viennent chercher refuge en France pour des raisons politiques. Duvivier et ses scénaristes prennent une position peu démagogique, qui les honore. Il suffit de penser, quasiment à la même époque, aux lettres qu’écrivit Jean Renoir sur l’élimination des indésirables. Je trouve l’un des passages où Jouvet employé colonial, attend les secours, vraiment fort et la scène entre Suzy Prim et un Raimu vieilli est bouleversante et empreinte de chaleur et de compassion. Duvivier reconstitue brillamment le siège de Paris, épouse le point de vue de la Garde Nationale qui fut trahie, manipulée par le terrible général Trochu (« participe passé du verbe trop choir », écrivait Hugo) que Henri Guillemin considère comme un traître identique à Bazaine. Ecouter ces conférences qui viennent d’être éditées. Duvivier utilise intelligemment les maquettes, les fausses perspectives, raconte toujours l’Histoire du point de vue de ceux qui la subissent et qui sont souvent bernés ou trahis par les dirigeants. Là, réside le vrai lien entre les histoires. Là, je m’oppose gentiment à Eric Bonnefille quand il dit que les héros du film auraient pu devenir pétainistes, se ralliant à différents régimes qui, il faut le reconnaître, sont toujours républicains au contraire de Vichy. Et pratiquement tous les héros s’engagent, servent la patrie, la défendent. Ils ne démissionnent pas devant l’ennemi. Alors, oui, ils sont malchanceux, ils se font tuer mais d’une certaine manière tiennent bon. Ajoutons que Duvivier préféra s’exiler que de répondre aux offres de Vichy. Rebatet disait qu’en épousant une juive, il était l’esclave d’Israël et son scénariste, Charles Spaak eut une conduite exemplaire pendant l’Occupation et on ne peut pas lui reprocher un seul dérapage. Mais le pessimisme de Duvivier devient parfois une forme de lucidité. Elle l’empêche de souscrire totalement à des élans romantiques mais elle le préserve des nombreuses infamies proférées à l’époque par le PC et les compagnons de route : « Mieux vaut Hitler que Blum », « De Gaulle est l’allié des banquiers de la Cité, des fauteurs de guerre et du juif Mandel » (tract sans doute transporté par Guy Moquet).

Et Gaumont a eu la bonne idée de sortir SANS LENDEMAIN qui n’est pas un Ophuls mineur. On sent déjà la patte de l’auteur de MADAME DE, cette élégance visuelle traversée par de brusques éclairs de dureté, de gravité. Comme je l’avais déjà écrit : SANS LENDEMAIN est un film d’Ophuls qui est moins lyrique, plus dépouillé dans l’énoncé du sujet. Une femme pour ne pas décevoir l’homme qu’elle a aimé, prend une fausse identité avec l’aide d’un gangster qui espère faire chanter l’ancien amoureux. Le traitement est souvent très moderne, épuré, rapide. Il y a des enchaînements de plans haletants qui témoignent d’une grande sensibilité et d’une attention au détail. Certains des acteurs masculins sont excellents, de Daniel Lecourtois, très crédible, à Paul Azaïs en passant par Georges Lannes qui impose une vraie menace. Jane Marken et Mady Berry, dans un registre plus évident et plus typique du cinéma français des années 30, imposent des ruptures de ton souvent adroites. J’ai plus de réserves sur Edwige Feuillère qu’encense Vecchiali dans son ENCINÉCLOPÉDIE. Je trouve son jeu méticuleux mais fabriqué. On voit les intentions. Mais elle ne bloque pas l’émotion des séquences finales. Et en revoyant le film, certains de ces reproches tombent.

DIVERS

J’ai bien aimé revoir GALIA de George Lautner qui, surtout dans la première moitié, témoigne d’une vraie sensibilité (celle d’ARRETEZ LES TAMBOURS, du SEPTIÈME JURÉ). Il y a un ton personnel et on sent que Lautner aime à filmer Mireille Darc. Il la fait déambuler, s’allonger, se déshabiller et elle est gracieuse, chaleureuse, très loin des mantes religieuses, des femmes fatales chères au cinéma français. Bien au contraire, on est touché par sa gentillesse jusque dans la liberté sexuelle. Dans le dernier tiers comme souvent avec Vahé Katcha, l’intrigue prend le dessus et ce n’est pas toujours pour le meilleur.

  

LES GRANDES FAMILLES, super bien restauré par TF1, procure toujours autant de plaisir. C’est pour moi le meilleur film de Denys de la Patellière, grâce au superbe dialogue de Michel Audiard, dont certaines répliques restent prodigieusement actuelles. Quand Jean Desailly, pour défendre les « innovations » drastiques qu’il a imposées au journal dont il vient de prendre la tête, déclare : « Nous allons gagner 100 000 nouveaux lecteurs », ce à quoi Gabin « et en perdre 200 000 dans les habitués », on pense à tous ces journaux repris par des banquiers qui les ont tous systématiquement enterrés à force de vouloir trouver un nouveau public et séduire des jeunes qui ne lisent aucun journal. Gabin donne l’impression qu’il a toujours dirigé un consortium et ses échanges avec un Pierre Brasseur, plus tenu, moins envahissant, restent des grands moments.

On ne peut pas en dire autant d’ARCHIMÈDE LE CLOCHARD, sur un sujet de Gabin (« Et si je jouais un clochard ? ») s’épuise très vite après quelques tirades drolatique : « Eh ben moi, ce qui me les casse, c’est les faux affranchis, les pétroleurs syndiqués, les anars inscrits à la sécurité sociale. Ça refait la Chine, ça prend la Bastille, et ça se prostitue dans des boulots d’esclaves. Ah, ils sont beaux les réformateurs du monde… Le statisticien qui baguenaude un placard d’usurier, le chinetoque qui propage les danses tropicales, et le mange-merde qui prône la gastronomie. Ah, il est mimi le triumvirat ! Un beau sujet de pendule ! Allez, viens ma belle, qu’on foute le camp, qu’on voit plus ces affreux. »
On peut aussi sauver Darry Cowl, sobre, juste et ses affrontements avec Gabin sont ce qu’il y a de mieux mais la paresse reprend le dessus.

  

CETTE VIEILLE CANAILLE est une œuvre intéressante d’Anatole Litvak d’après une pièce de Fernand Nozière qui offre à Harry Baur un de ces personnages secrets, ambigus qu’il affectionnait. On retrouve le gout de Litvak pour les plans très longs, les mouvements d’appareil et sa réalisation est élégante et retenue, gommant les éclats mélodramatiques. Il lui manque l’élan, l’incandescence de CŒUR DE LILAS (René Château) que je recommande encore, et le sens du tragique de L’ÉQUIPAGE (Pathé).

FILMS D’AILLEURS

Disons le, j’ai été déçu par GANGS OF WASSEYPUR – Part 1 d’Anurag Kashyap  qui brasse pourtant dans un mouvement assez original des éléments de Bollywood (chansons, péripéties mélodramatiques), des péripéties souvent violentes (massacres entre deux gangs, pillages, meurtres en série), des détails très crus (la femme d’un des protagonistes, Sardar Khan, le fils de Shahiud Khan et le père de Fizal Khan, décrit son mari comme un obsédé sexuel avec des termes précis qui surprennent dans un film indien : « c’est un obsédé de la fente »). On est médusé devant certains faits qui doivent être historiques – l’absence de sécurité dans les prisons indiennes – devant la violence des échanges entre maris et femmes, parents et enfants où tout le monde se tape dessus. Un sous-ministre local se fait incroyablement insulter par un gangster, puis par son père. On est souvent stupéfait mais je ne suis jamais parvenu à m’intéresser aux personnages, aux buts qu’ils poursuivent. Comme on l’écrit sur Film de Culte : «  Pas lyrique (ce n’est pas un mélo), pas drôle (ce n’est pas une comédie), peu chanté (ce n’est pas le genre abordé ici), pas emphatique (ce n’est pas vraiment une grande fresque historique, mais si ça s’en rapproche un peu)… Le film se situe dans une espèce d’entre-deux, une sorte de téléfilm historique en plusieurs parties, couvrant plusieurs générations d’une même famille à travers le prisme d’une incessante guerre des gangs, réalisé sans honte ni génie. Et si le film est constant, il l’est hélas aussi dans sa manière de ne jamais sortir de ce ton unique, très sérieux et sans lyrisme, avec ces scènes d’actions honnêtes mais sans grand spectacle. Un curieux film du milieu, qui va et vient entre les époques selon les scènes, abandonnant un personnage adulte pour le retrouver enfant la seconde d’après. Cela crée non pas de la confusion (c’est une autre surprise du film : ce n’est pas aussi incompréhensible qu’on pourrait le craindre) mais plutôt un non-attachement permanent aux personnages, réduits à des marionnettes de l’Histoire. Je me venge, tu te venges, mon fils se venge… GANGS OF WASSEYPUR est une ronde qui pourrait donner quelque chose de très stimulant (de l’humour ? du souffle poétique ? de l’ironie amère ?) s’il ne tournait pas en rond dans une trop écrasante froideur. Les personnages sont tellement à des kilomètres de nous que cette répétition de coups bas n’entraîne qu’une stérile et vaine répétition. »

Du même cinéaste, j’ai néanmoins acheté THE MUMBAI MURDERS.

J’ai trouvé beaucoup plus passionnant, touchant, voire poignant DELHI CRIME, série en 7 épisodes tournée pour Netflix de Richie Mehta   qui raconte l’enquête menée par une femme flic (la Commissaire des district du Sud de Delhi) à la suite d’un viol collectif particulièrement odieux. On ne voit rien mais on ne nous fait pas grâce dans les dialogues, de certains faits particulièrement horrifiques et qu’un des suspects évoque sans la moindre honte (moment terrible). Cette enquête est freinée par l’absence de moyens, la paresse, l’incapacité de certains policiers (l’héroïne passe son temps à les muter par poignées), la dictature des médias, la panique des politiques qui interviennent n’importe comment et sans avoir les faits. On évolue dans des décors surprenants, avec des pratiques culturelles sidérantes, des règles légales qui ont de quoi interloquer : on cogne sur les suspects, on évoque leur pendaison prochaine. Comme il n’y a pas de menottes, les policiers tiennent les prisonniers par le poignet et ces derniers ont l’air traumatisé devant les flics si bien qu’ils ne mouftent pas, ce qui en dit long sur les pratiques policières. Et le fait qu’on aille impliquer leurs familles les bouleverse plus que leur crime. C’est extrêmement bien joué et fait ressortir la frilosité de décideurs européens qui devraient essayer de monter des histoires analogues en Afrique, dans le Maghreb, voire en Asie où il y a des policiers français qui sont impliqués dans des actions importantes. Certes, DELHI CRIME est découpé comme une série américaine : scènes courtes, musique omniprésente mais son acuité descriptive, la justesse des décors, du jeu (contrairement à GANGS OF WASSEYPUR) emportent l’adhésion. Signalons que Richie Mehta a coécrit et tourné trois longs métrages : SIDDARTH, AMAL (que l’on trouve avec des sous-titres anglais en prime vidéo en zone 1) et LA CHANSON DU PASSÉ.

  

Carlotta a eu la superbe idée de jeter un coup de projecteur sur Edward yang, cinéaste de génie mort trop jeune. A BRIGHTER SUMMER DAY et TAIPEI STORY sont deux chocs inoubliables. J’avais adoré YIYI  et retrouve intact l’élan, les palpitations qui font vibrer le moindre plan.

Je n’avais jamais vu QUELQUE PART EN EUROPE, longtemps considéré comme un grand classique. J’avais peur de ce film, écrit par Béla Balsz, poète, dramaturge qui écrit le livret du Château de Barbe Bleue, des textes théoriques et critiques. Il est le premier à proclamer la naissance du septième art dans sa théorie du cinéma, Der sichtbare Mensch (L’Homme visible, 1924). Le succès de ce livre, dont l’originalité réside dans l’approche poétique des images, surtout celles des « premiers plans », lui vaut une invitation à Berlin où il vit de 1926 à 1931. Là, il participe, aux côtés d’Erwin Piscator et de Max Reinhardt, au théâtre d’agit-prop, et écrit de nombreux scénarios dont ce film. René Gainville (LE COMPLOT, L’HOMME DE MYKONOS), réalisateur d’origine hongroise m’avait dit qu’il avait été assistant sur QUELQUE PART EN EUROPE, ce qui n’avait pas calmé mes appréhensions. Le propos est pourtant passionnant : des bandes de gamins orphelins tentent de survivre dans l’Europe de l’Est à la fin de la guerre. Pour manger, ils pillent, volent, attaquent fermiers ou voyageurs et plusieurs séquences frappent par leur férocité sans apprêt, leur violence. Certains gamins, impitoyables, peuvent vouloir tuer, sans raison, pour s’amuser. Malheureusement chaque scène semble être filmée comme un tout refermé sur lui-même, sans souci de progression visuelle ou dramatique. On assiste à une suite de moments filmés ou montés avec une virtuosité qui prend le dessus sur le sujet ou l’émotion. Comme l’écrit Tootpadu sur Mulderville : « QUELQUE PART EN EUROPE jette un regard sans concession sur la cruauté de l’homme en général, et celle des enfants en manque de repères en particulier.
La représentation de l’anarchie à laquelle les garçons se livrent librement pendant la première moitié du film n’est ainsi guère édulcorée. Quand on manque de tout, la vie d’un homme ou d’une bête ne vaut pas plus qu’un casse-croûte. La dignité humaine n’est plus d’actualité, lorsque le droit du plus fort règne dans sa forme la plus crue. Tout ce gâchis, la caméra de Géza Von Radvanyi – un réalisateur qui allait entamer après ce film une odyssée européenne avec pour destination des productions populaires allemandes sans grand intérêt – l’enregistre stoïquement, comme pour mieux souligner qu’un monde sans règles mène forcément au chaos. Or, ce périple insensé d’un regroupement de petits sauvages reste très mesuré dans son indication d’une voie de sortie à tant de misère criante 
». Du moins dans sa première partie. La deuxième est plus moralisatrice et le sauvetage de la bande par la musique paraît quelque peu utopique même s’ils apprennent la Marseillaise

COFFRETS

Le coffret SHERLOCK HOLMES Studio Canal Optimum, trouvable en Angleterre en DVD et en Blu-ray regroupe tous les Sherlock Holmes joués par Basil Rathbone accompagné par Nigel Bruce, délicieux et grommelant Docteur Watson, du CHIEN DES BARKERVILLE à DRESSED TO KILL. J’avoue avoir un grand faible pour cette série, pour les deux acteurs et pour le travail souvent brillant, visuellement inventif du mystérieux Roy William Neill avec des recherches proches du film noir, du conte gothique : photo qui privilégie les clairs obscurs, les éclairages à contre jour, mouvements de grue. J’ai revu avec plaisir THE STEEL CLAW où Neill, co-auteur du scénario, s’inspire davantage d’une nouvelle de Poe que de Conan Doyle ; HOUSE OF FEAR qui malmène une des rares nouvelles où Holmes échouait, Les 5 pépins d’orange et débouche sur un hymne incongru au Canada (« Winston Churchill a dit cela ? », demande Watson) dans un effort pour racoler Holmes dans la lutte anti-nazie (plusieurs épisodes sont historiquement déplacés) ; PEARL OF DEATH, une des réussites. Les films ont été restauré et sont maintenant disponibles en Blue-ray (dans le DVD, les sous-titres anglais annoncés ne marchent pas).

Coffret ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE – Saison 3 (ELEPHANT FILMS) : des épisodes de 25 minutes avec leur lot de présentations farceuses en anglais et en français, qui comprennent deux épisodes dirigés  par Robert Altman. Avec beaucoup de bonne volonté, on peu deviner sa patte dans une manière de désarticuler le récit mais le résultat est souvent trop prévisible malgré Joseph Cotten et Carol Lynley. Dans les trois Hitchcock, L’INSPECTEUR SE MET À TABLE est un conte farceur, écrit par Roald Dahl qui évoque MAIS QUI A TUÉ HARRY. C’est assez marrant, moins brillant que ce que je pensais. Je préfère de beaucoup CRIME PARFAIT co-écrit par Stirling Silliphant où Vincent Price est bien distribué en détective arrogant qui va être mis à mal par James Gregory dont l’humour cinglant et macabre se retrouve dans LE PLONGEON écrit par Roald Dahl avec Fay Wray. Là le cynisme de Dahl trouve en Hitchcock et en Keenan Wynn des complices de choix. Cela dit, beaucoup d’épisodes sont ternes, prévisibles et dirigés de manière anonyme. La MAISON IDÉALE, L’HOMME DES STATISTIQUES sont parmi les pires ; RETURN OF THE HERO n’a rien à faire dans cette série et est un des pires et Arthur Hiller en signe deux qui sont sans intérêt : BARBARA et POST MORTEM. Difficile de créditer les réalisateurs.  On peut pourtant retenir quelques Paul Henreid comme le TÉMOIN SILENCIEUX, ASSEZ DE CORDE POUR DEUX, des Don Taylor, CHANTAGE et LISTEN, LISTEN vraiment efficaces ainsi que le BAIN DE MINUIT où triomphe Mildred Natwyck.

Je n’ai regardé qu’une partie des ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE – LES INÉDITS – Saison 1 où les épisodes font 44 minutes : on retrouve dans CHEZ LES FOUS (mauvaise traduction de DON’T LOOK BEHIND YOU) de John Brahm quelques figures de style chères au réalisateur de HANGOVER SQUARE : travelling dans des sous-bois, jeune femme poursuivie par un tueur en série (pas mal de péripéties violentes dans cet épisode). Mais en dehors de Vera Miles, excellente, les acteurs sont médiocres ou passables et Jeffrey Hunter paraît mal à l’aise dans le genre ; J’AI TOUT VU (I SAW THE WHOLE THING) est l’un des épisodes les plus célèbres et je me demande pourquoi car je l’ai trouvé plutôt convenu malgré la présence de Evans Evans (fort bonne actrice et l’épouse de John Frankenheimer) et de John Forsythe. La chute est évidemment hitchcockienne dans son ironie sceptique mais elle semble artificielle. FINAL VOW est dirigé par Norman Lloyd, producteur de très nombreux épisodes (il était sur la liste noire et Hitchcock l’engagea). On se souvient du Lloyd comédien qui tombe de la Statue de la Liberté dans CINQUIÈME COLONNE, qui travailla avec Brecht, Tourneur (LA FLÈCHE ET LE FLAMBEAU), Lewis Milestone (dans LE COMMANDO DE LA MORT), de multiples westerns. C’est un des hommes les plus brillants que j’ai rencontrés et son livre d’entretiens est une mine d’histoires toutes plus formidables les unes que les autres, racontées avec un humour acéré, une précision maniaque. Eh bien FINAL FOW est pour moi l’une des grandes réussites de la série. Avec un sujet très original. Carol Lynley y est excellente. Il me reste à voir  un épisode de Pollack et un de Jack Smight.

Coffret HERCULE POIROT – Saison 1. J’avoue également prendre beaucoup de plaisir aux Hercule Poirot de la télévision britannique avec David Suchet : décors soignés, extérieurs efficaces (Énigme à Rhodes, Mystère en mer) interprétation pittoresque et dialogue souvent amusant. Je les préfère aux récents Sherlock Holmes qui manquent singulièrement d’ancrage et de patine.

Sublime INTÉGRALE JEAN VIGO en coffret de 5 DVD, tous patiemment restaurés (L’ATALANTE et ZÉRO DE CONDUITE sont de vraies redécouvertes), édité par Gaumont. Reportez-vous au bel article d’Alain Masson dans Positif 699.

  

Je tiens à signaler COFFRET HENRI DIAMANT BERGER avec ses passionnants et pittoresques souvenirs que j’ai découvert. Je crois avoir signalé ici même l’intérêt que suscitait son MONSIEUR FABRE, biographie d’un entomologiste et écrivain qu’on ne lit plus guère et c’est bien dommage.

Lire la suite »