Fév
18

TOUT EST ILLUMINÉ (EVERYTHING IS ILLUMINATED) tentative héroïque, valeureuse, estimable de Liev Schreiber (et un peu condamnée d’avance) d’adapter le brillant roman de Jonathan Safran Foer dont la narration comprend trois ou quatre niveaux littéraires : le récit du héros, le récit et le journal du guide qui le pilote en Ukraine et ne parle pas bien du tout anglais ce qui donne une prose hilarante, les lettres postérieures du guide au héros et ses réponses. Admirable moment dans le livre que la demande du héros d’avoir un plat végétarien dans une auberge ukrainienne. Le sens, le concept même du mot échappe à ces paysans qui ne mangent que des saucisses. Et aussi le grand père antisémite dont le chien se nomme Sammy Davis Jr et qui découvre avec horreur et incrédulité que Sammy Davis est juif. Interprétation très marrante d’Eugene Hütz dans le rôle du guide.

 

QUILLS, la Plume et le Sang de Philip Kaufman traite des derniers jours du Marquis de Sade, de ses efforts pour écrire malgré l’emprisonnement, pour monter des pièces avec la complicité de l’Abbé Coulmiers (ce qui est exact), tels que les revisite, prenant un peu moins d’égards avec l’Histoire que Sade n’en prend avec le personnage de Kate Winslet, le dramaturge Doug Wright qui adapte ici sa pièce, mélange de farce noire à la Audiberti, de satire caustique du puritanisme et de plaidoyer pour la liberté d’expression. Inutile de se formaliser devant les « erreurs historiques » (Sade ne s’est jamais fait couper la langue et Wright confond le Royer Collard doctrinaire avec son frère médecin qui, lui, défendit le Marquis), on nous prévient d’emblée que le ton ne vise pas le réalisme ni la vraisemblance. Il n’est que de penser à Madeleine, cette lingère qui apprécie tellement les écrits les plus sulfureux de Sade qu’elle les propage en cachette pour qu’ils soient édités, tout cela sans perdre sa virginité, et que l’interprétation gracieuse et inspirée de Kate Winslet (avec un léger accent cockney) parvient à rendre plausible, touchante, au point d’en faire l’un des atouts du film. C’est un régal que de l’entendre dire du Sade, la voir jouer avec un Geoffrey Rush qui s’est passionné pour son personnage, affrontant tous les défis physiques et émotionnels, ne cherchant jamais la sympathie. Tous deux flirtent avec les difficultés, les équivoques, les évitent brillamment, tout comme Michael Caine, toujours impeccable en puritain rétrograde, qui soigne les perversions par la violence et ne voit pas que sa très jeune femme le cocufie. Kaufman, brillant directeur d’acteur, déclara à de nombreuses reprises qu’il s’était inspiré de Kenneth Star, le procureur qui poursuivit Clinton. C’est d’ailleurs là où le bât blesse.  Kaufman et Wright transforment le Marquis en un martyr de la liberté d’expression, une victime de la censure (même s’ils ne cachent pas ses vices) et leur film lorgne vers le LARRY FLINT de Forman. Leur Sade est beaucoup moins philosophe que celui que joua Daniel Auteuil sous la direction talentueuse de Benoît Jacquot. Toute une partie du personnage passe un peu à l’as ou n’est évoquée qu’à travers quelques répliques brillantes ou audacieuses même si le réalisateur rajoute, pour aérer le récit, une séquence d’introduction assez lourde qui évoque les ravages de la Terreur, avec des cadrages signifiants, et que Sade regarde par la fenêtre comme s’il était le prophète ou le produit de cette barbarie. C’est d’ailleurs quand Kaufman essaie de faire cinéma qu’il est le moins convaincant.

SHATTERED GLASS (LE MYSTIFICATEUR)
Chronique d’un scandale qui secoua en 1998 The New Republic, un hebdomadaire de prestige (« le plus brillant et le plus impudent, » disait Vanity Fair), progressiste, de centre gauche et qui pourtant soutint Reagan et les deux guerres du Golfe et du coup toute la presse américaine « sérieuse ». On découvrit que l’un des jeunes prodiges de la rédaction âgé de 25 ans (la moyenne d’âge était de 26), Stephen Glass, avait totalement bidonné, inventé au moins 27 reportages sur 41. En s’attaquant pour son premier film, 5 ans après, à un tel sujet, ce qui fait preuve d’une grande ambition, le scénariste réalisateur Billy Ray réussit l’un des meilleurs films sur le journalisme, l’un des plus intelligents et des mieux joués. Le biais qu’il a choisi lui permet d’éviter les thèmes les plus ressassés par le cinéma (soumission de la presse devant le pouvoir, corruption, engagement démocratique ou réactionnaire) pour s’attacher à l’éthique, au fondement du travail journalistique : fiabilité des sources, qualité du travail d’investigation. Comme disait Bob Woodward : « le principal ennemi du journaliste, ce n’est pas son rédacteur en chef ni la censure, c’est l’information ». Stephen Glass prenant le contrepied de cet adage, décide de la forger, de l’inventer de toutes pièces. « Le journalisme, c’est l’art de saisir un comportement », dit-il à des élèves, dans la première scène, réplique qui prend peu à peu son vrai sens au fur et à mesure de la progression dramatique. Il a en effet « saisi » un comportement, le sien, l’a modelé en véritable acteur pour pouvoir imposer ses fables, ses mensonges. Il a aussi senti ce que désiraient ses supérieurs et leur a donné ce qu’ils voulaient entendre, ce qui élargit le propos (le film fait juste l’impasse sur la détestation de Michael Kelly, le premier rédacteur en chef, envers Clinton mais capture néanmoins ce climat de mensonges qui imprégnait la politique américaine de l’époque). Le choix d’Hayden Christensen pour interpréter Glass, se révèle très intelligent, très payant. Quand sa candeur naïve et onctueuse, son humilité feinte, la sympathie qu’il dégage, qui dérangent au début mais expliquent son succès, commence à se fissurer, un vrai sentiment tragique s’installe. Et son personnage devient à la fois gluant et vulnérable, notamment dans toutes les séquences remarquables qui l’opposent à un formidable et subtil Peter Sarsgaard qui joue Chuck Lane,  le rédacteur qui le démasque. Toute l’interprétation est d’ailleurs de premier ordre avec de nombreux contre emplois : Chloë Sevigny, parfaite rédactrice, Rosario Dawson à qui on ne demande pas d’exhiber sa sexualité, Hank Azaria.  Billy Ray a su créer, avec toute une série de scènes se déroulant dans des bureaux, une tension dramatique plus forte que dans beaucoup de thrillers, de films d’action contemporains. Après ce coup d’éclat trop méconnu en France, Billy Ray a réalisé BREACH (AGENT DOUBLE),  passionnant film d’espionnage (basé sur une histoire vraie), magnifiquement joué par le génial Chris Cooper (en espion bigot, cassant, obsédé sexuel qui se révèle une des plus grands traîtres de l’histoire américaine) qui évoque l’univers de Graham Greene, dans ses implications morales qui sont proches du premier film. Il est redevenu scénariste notamment de CAPTAIN PHILLIPS, le dernier Paul Greengrass sur les pirates Somaliens. A noter qu’après la sortie du film, plusieurs scandales similaires ébranlèrent certains quotidiens, notamment le New York Times, donnant raison à Billy Ray.

Je reviens sur un des grands films méconnus de la décennie précédente : CE QUE JE SAIS D’ELLE… D’ UN SIMPLE REGARD (THINGS YOU CAN TELL JUST BY LOOKING AT HER). Ecrit et réalisé par Rodrigo Garcia, ancien chef opérateur et fils de Garcia Marques (Cameron Diaz lit Cent ans de Solitude en braille). Un des rares, comme le disait Jacques Lourcelles, où la maîtrise de la réalisation était à la hauteur de l’ambition du sujet. 5 destins de femmes, toutes très différentes mais que relient l’obsession, la peur de la solitude et la manière dont elles leur font face, les blessures, les violences qu’elles ont subi : le film consacre une place importante au handicap (Cameron Diaz est aveugle, la mère de Glenn Close impotente et la scène où elle la baigne est unique dans le cinéma américain, Kathy Baker s’éprend d’un nain), à la maladie sans oublier l’avortement. Aucune de ces femmes n’est mariée même si deux d’entre elles vivent en couple. 5 récits qui parfois se répondent, s’interpénètrent, s’éclairent l’un l’autre. Certains personnages apparaissent dans deux épisodes, le Dr Keener (Glenn Close) que l’on retrouve dans Fantasies about Rebecca, Christine Taylor (Calista Flockhart) liseuse de tarot  avec le Dr Keener essaye d’aider son amante atteinte de cancer (Valeria Golino), Rose (Kathy Baker)  est le pivot émotionnel du remarquable et original Someone for Rose mais on la voit aussi dans Fantasies about Rebecca. Outre l’audace inhabituelle du propos (les œuvres qui consacrent une si grande place aux femmes ne sont pas légion à Hollywood dans ces années-là), la sophistication narrative non exempte d’humour nous vaut plusieurs bonheurs intenses. La brusque irruption dans un autre récit d’un personnage, qu’on a associé avec d’autres protagonistes, d’autres péripéties, provoque à deux ou trois reprises un vrai choc émotionnel et en même temps un vrai plaisir. Tout comme ce plan mémorable, dans l’épisode très gonflé où Kathy Baker freine brusquement et tend le bras bien au dessus de la tête du passager, le nain dont elle tombée amoureuse. Ce geste provoque un instant de gêne inoubliable, qui brave le politiquement correct. Ou, dans un registre plus dramatique, ce très long plan en travelling arrière sur Holly Hunter qui vient de subir un avortement et se retrouve seule, à la sortie de la clinique. Son copain l’a laissé tomber et elle marche dans la rue. Rodrigo Garcia, visiblement amoureux de ses actrices, laisse tourner la caméra, refuse de couper et nous prend le cœur. Magnifique interprétation chorale (qui regroupe certaines des meilleures actrices du moment) avec une mention particulière à Glenn Close, Cameron Diaz, si économe, si profonde en aveugle qui finit par élucider un crime, mieux que sa sœur officier de police, Kathy Bates (dans un personnage moins bien écrit), Kathy Baker.  La MGM  garda cette œuvre si personnelle un an dans ses tiroirs avant de le diffuser sur le câble, puis dans quelques salles et au cinéma et enfin, à l’étranger.

CHEVAUCHÉE AVEC LE DIABLE (zone 2, bonus médiocres) de Ang Lee a été une de mes grandes découvertes récentes. Il s’agit d’une adaptation fidèle du très beau livre de Daniel Woodrell, l’auteur d’Un Hiver de Glace (Rivages) qui avait donné WINTER’S BONE. Voilà deux livres qu’il faut lire (et les autres Woodrell aussi qui se passent dans les Ozarks). Le scénariste James Schamus (qui écrivit le remarquable ICE STORM de Lee) reprend la plupart des remarquables dialogues du bouquin.
CHEVAUCHÉE AVEC LE DIABLE montre une guerre de Sécession que je n’ai jamais vue. Et pourtant Dieu sait si on a tourné de nombreux films. Une guerre sans grandes batailles, sans généraux. Une guerre faite par des fermiers qui vont s’en prendre à un voisin, à quelqu’un qui habite près de chez eux. On massacre, on égorge des gens avec qui on a peut être été élevé, avec qui on a grandi. Ou des inconnus qu’on croise sur la route et qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. C’est une guérilla atroce, sans repères religieux ou moraux (on est sécessionniste ou on est unioniste), plus proche des guerres de gang que de la tactique militaire. Qui se déroule dans des sous bois où l’ennemi peut surgir n’importe où. Presque tous les personnages sont très jeunes et on est bouleversé quand Tobey Maguire se coupe les cheveux et répond à quelqu’un qui lui dit : «  comme cela te rajeunit, tu as l’air d’avoir 21 ans » : « j’en ai 19 ». Ou quand il dit à Jewel Kilcher (admirable de justesse historique) qui lui demande s’il a fait l’amour : « j’ai tué 15 hommes ». Les rapports avec tous ces jeunes, avec Holt, l’esclave noir de Georges, sont étonnants de justesse, de vie, d’émotion. Personne ne fait déguisé, tous les personnages, les rapports sociaux, la manière dont ils vivent ce moment, sont confondants de justesse. Tout paraît neuf, juste, en particulier le sac de Lawrence Kansas par Quantrill qui a donné lieu à tant de films et qu’on découvre ici pour la première fois (seul léger bémol, la chevauchée vers Lawrence, avec tous les « bushwackers » qui se saoulent, est plus forte dans le livre, le film ne montrant que quelques buveurs). On est pris, passionné, de bout en bout et saisi d’admiration devant l’ambition du projet. Très belle photo et magnifiques extérieurs. A découvrir absolument.

TRAFFIC
Deux policiers mexicains saisissent un camion transportant de la drogue à destination des Etats-Unis, arrêtent ses conducteurs mais se font subtiliser leur butin et les prisonniers par une unité de paramilitaires commandés par un général. Cette séquence d’ouverture filmée sans aucun apprêt, avec du grain, caméra à la main, donne le ton de TRAFFIC. Les personnages – et avec eux le spectateur – semblent toujours marcher sur un terrain glissant, mouvant où il est difficile de se raccrocher à la moindre certitude. Celles du personnage de Michael Douglas sont balayées en deux minutes, à la fois par Seth, le jeune étudiant qui a entraîné sa fille dans la drogue et par le dealer de cette dernière. Les films sur la drogue prennent souvent un angle (la répression, la dépendance), abordent un aspect de la question. Dans cette œuvre polyphonique où quatre histoires (cinq si on fait des subdivisions) se répondent, s’entrecoupent, chacune traitée visuellement de manière différente,  Soderbergh (qui me déclara avoir vu plusieurs fois L 627) et son scénariste Stephen Gaghan (qui réalisa le très intéressant et complexe SYRIANA, zone 2) mettent autant l’accent sur la partie policière que sur les répercussions intimes, humaines, les conséquences sociales, économiques, politiques générées par le narco-trafic. Et leur propos, dans son pessimisme précis, chiffres et faits accablants à l’appui, et synthétique, n’a pas pris une ride, bien au contraire. Tout ce qu’ils montrent (ravages causés par la corruption, milices privées, puissance financière colossale des narco-trafiquants, sottise de certaines mesures) semble encore plus actuel après ces dernières années de guerre contre la drogue, à la lueur des dernières statistiques : 20 à 25 milliards de dollars dépensés chaque année par le gouvernement fédéral, 55 000 morts au Mexique entre 2006 et 2011 sans compter les syndicalistes, les journalistes, 40% d’étudiants américains qui se droguent (+30% en 20 ans). La méconnaissance du terrain, dans TRAFFIC, dont font preuve les autorités américaines dès qu’il s’agit d’un pays étranger, sonne hélas juste et renvoie aussi bien à l’Irak qu’au Vietnam. La stupéfaction de Michael Douglas face à la réaction ahurie de leur allié, le général Salazar (inspiré par le  général Gutiérrez Rebollo qui fut condamné à 70 ans de prison), devant l’idée d’une politique de soins, fait penser à celle de  Robert McNamara, écoutant à Saigon, un toast du général Ky, vantant les mérites d’Hitler. TRAFFIC bat aussi en brèche certains des principes fondateurs du cinéma américain, dont celui d’identification : nombre de personnages restent dans une zone grise, entre deux camps, quand ils n’en changent pas tout à coup (cf l’évolution de Catherine Zeta-Jones). Il n’y a pas de début, ni de vraie fin,  aucune vraie résolution. Ni de solution. Tout est laissé ouvert, de manière plus européenne qu’américaine : un des principaux trafiquants est libéré, Michael Douglas abandonne le combat, la situation mexicaine est au point mort. Quelques petites victoires, ici et là, quotidiennes, individuelles : un stade est éclairé, un micro est mis sous une table, un père et sa fille se retrouvent. Film brillant, inspiré, magnifiquement joué dans les registres les plus différents de Benicio Del Toro à Don Cheadle en passant par Catherine Zeta-Jones, enceinte avant le début du film, ce que Soderbergh, très intelligemment, intégra dans le récit, renforçant l’originalité de son personnage. Qui évite les clichés, les figures imposées du genre, visuelles ou scénaristiques : les cadrages ne sont pas dramatisés (plongées, courtes focales renvoyant au film noir), la caméra est plus le plus souvent comme immergée au milieu d’une action, qu’elle semble attraper par hasard, sans la juger. On peut juste regretter, concession à la dictature de l’intrigue, que le personnage de Douglas soit le Monsieur anti-drogue et non pas seulement un des responsables importants de la lutte, ce qui rend certaines péripéties un peu trop symboliques. Pêché véniel au regard des vertus du film.

MAN ON THE MOON
Milos Forman, cet exilé, ce déraciné, était fasciné, dans ses films tchèques, par tout ce qui déréglait l’ordre établi, les conventions sociales. Arrivé en Amérique, il a immédiatement été attiré par les individus qui nagent à contre courant, tous ceux qui  veulent survivre ou réussir en dehors ou contre le système, qui en font apparaître les contradictions, quitte à se piéger eux mêmes : des hippies de TAKING OFF  à LARRY FLINT, du faux malade qui préfère l’asile à la guerre du Vietnam à Andy Kaufman, les films de Forman sont peuplés de marginaux, d’excentriques souvent manipulateurs,  en fait des hommes de spectacle qui mettent autant en scène leur vie que leur œuvre, quitte à en payer le prix (la solitude, l’infirmité, l’enfermement). Il trouve en Andy Kaufman, un héros selon son cœur. Qui nous déclare, dans un préambule en noir et blanc, qu’il a coupé tout ce qui n’allait pas dans le film et qu’il est donc déjà terminé. Manière déjà de nous dire qu’il s’agit surtout d’un film sur la création et non une biographie (l’enfance, les racines, sont expédiées en une séquence). Sur un comique décalé, obsessionnel (comme Howard Hughes, il passe son temps à se désinfecter les mains dès qu’il touche quelque chose ou quelqu’un), un véritable collage ambulant de toute une culture populaire, à la limite de l’autisme, hanté par le désir de toujours surprendre. Il semble incapable d’établir la moindre barrière entre la vie et ses délires créatifs. Toujours en guerre contre son public, contre lui même, il n’hésite pas à blesser des amis, des proches, à cogner sur des partenaires, à détruire les inserts publicitaires, à insulter la chaîne qui le produit. Il n’a rien à dire de spécial (et ce qu’on voit de son « special show » paraît assez pauvre), sa contestation ultime consistant à perturber le déroulement de l’image pendant 10 secondes pour faire croire que le poste est cassé. Et là, il se heurte au système qui ne veut pas que les spectateurs quittent leur poste, ne serait ce que pour taper sur un téléviseur (il avait déjà offensé un propriétaire de club pour qui un spectateur qui sort, est un consommateur de moins). Pour Andy, tout ce qui est comique (pour lui, pas pour les autres) ne prête pas à conséquence. On le voit dans les hilarantes séquences de lutte (où il rencontre d’ailleurs sa compagne, Courtney Love, impeccable mais on fait trop l’impasse sur ce qui les attire l’un vers l’autre) insulter les femmes (« elles ont des qualités pour faire la vaisselle, le ménage, la cuisine »), le Sud, le public, incorporant dans ce processus sa propre auto-critique comme une autre forme de fiction. Jim Carrey est l’acteur rêvé pour ce genre de personnage. Il nous regarde comme s’il était sorti d’un poste de télévision, nous rend complice de ses divagations jusqu’à son dernier sourire, quand il découvre le « truc » des médecins philippins.

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Jan
15

DOCUMENTAIRE
Vu deux épisodes du requiem en 4 actes de Spike Lee, WHEN THE LEVEES BROKE, documentaire passionné, très émouvant et plus ouvert, moins de parti pris qu’on aurait pu le craindre. Il évoque les rumeurs parlant d’explosions qui auraient fait sauter les digues, des interventions qui ont privilégié les habitants riches mais relativise ces propos, fait entendre des opinions opposées et attaque surtout une imprévoyance criminelle, une gabegie honteuse, une politique fédérale catastrophique. Certaines digues ne furent jamais terminées, leur revêtement n’était pas du tout solide, Bush fit des coupes sombres dans le corps des ingénieurs, dans les agences chargées de réagir à des catastrophes qui furent confiées à des sympathisants politiques sans expérience : il accuse directement la FEMA d’avoir été incapable de distribuer de l’eau. On voit Sean Penn en train de sauver des habitants et le film rend hommage aux garde-côtes qui ont fait un travail extraordinaire. Très belle musique de Terence Blanchard (le CD qu’il en a tiré, A KATRINA REQUIEM, est magnifique). Ce grand documentaire est un compliment indispensable à l’épatante série TREME où l’on voyait John Goodman s’adresser via internet, à George Bush, lui demandant de faire en sorte, vœux modeste, que les USA parviennent à faire presque aussi bien, question digues, que la Hollande.

FILMS AMÉRICAINS CLASSIQUES
Revu LA NUIT DE TOUS LES MYSTÈRES de William Castle encore plus nanardesque et mal joué que dans mon souvenir. Le scénario empile les coïncidences, les impossibilités (la dernière pendaison) et le dernier tiers déçoit épouvantablement, ramenant tout à une sombre et banale histoire d’adultère.
Parmi les classiques de la RKO que sortent les Editions Montparnasse, j’ai envie de distinguer CORNERED (PRIS AU PIÈGE) de Dmytryk très curieux film anti-nazi, HOLIDAY AFFAIR (UN MARIAGE COMPLIQUÉ) de Don Hartman, gentille comédie de Noël, ultra-classique et sentimentale mais qui est regardable pour quelques touches  heureuses et surtout l’interprétation de Mitchum et Janet Leigh qui jouent superbement bien ensemble. Les deux derniers plans sont inventifs et beaux. Et Wendell Corey est aussi très bien. J’ai découvert que Don Hartman, dans le livre de Scott, fut un des opposants les plus violents à DeMille.

 

FIVE (QUELS SERONT LES CINQ ?) est un des très bons Farrow, un de ceux où il impose assez rapidement son style : plans longs avec des mouvements d’appareil inventifs et compliqués, utilisation du hors champ. Le scénario est co-écrit par Dalton Trumbo et je renvoie au long passage que nous lui consacrons dans 50 ANS DE CINÉMA AMÉRICAIN. Parmi les titres à découvrir, citons THE HALF NAKED TRUTH, improbable histoire d’escroquerie, menée à cent à l’heure par Gregory La Cava, où un impresario veut faire passer une danseuse de fête foraine pour la Princesse Exotica (sic). Mais Lee Tracy fait presque tout passer, avec son débit rapide, son assurance indémontable, sa capacité à sortir et à encaisser des rafales de vannes. Il faut voir son absence de réaction quand on lui annonce que sa copine veut encore l’assassiner. Frank Morgan est impayable en producteur déprimé, dépassé, ronchon qui signe un contrat en disant : « c’est du vol pur et simple ». Franklin Pangborn a un moment grandiose tout comme Eugène Pallete qui s’étonne qu’on le regarde de manière étrange après que Tracy ait  sans doute écrit, sans le lui dire, eunuque comme profession sur sa fiche d’hôtel (La Cava évite judicieusement l’insert et procède par suggestion). Nous avions raison de signaler le moment désopilant où Frank Morgan se heurte dès qu’il ouvre un tiroir, une boîte, un livre, à une photo compromettante le montrant en train de faire avaler une olive à Lupe Velez.
En revanche TWO O’CLOCK COURAGE d’Anthony Mann est, en dehors du beau premier plan, banal et platounet. Surtout que cela lorgne vers la comédie.

 

Découvert aussi, grâce à Artus films, un Sam Newfield plus visible que d’habitude : LOST CONTINENT produit par Lippert. Un budget plus conséquent et un certain rythme rendent la première partie visible surtout par rapport à la nullité des autres Newfield. Quand les héros arrivent dans le Continent Perdu, l’image devient brusquement verdâtre, teinte curieuse, pas très agréable à regarder (est ce qu’il n’y avait pas des recherches similaires dans THE JUNGLE et est ce que les films n’ont pas été tournés dans les mêmes décors ?). Newfield utilise pas mal ses décors de rochers et le sol qui se fissure à la fin est pittoresque mais les monstres sont nullissimes et leur animation fait rire un enfant de quatre ans. Belle réplique d’un personnage : « Oh, un brontosaure ». Détail curieux, le savant russe dont on croit qu’il travaille pour l’ennemi est un hareng rouge. Sa famille a été exterminée dans les camps et il subit toujours la même suspicion aux USA.
Revu THE VIRGIN QUEEN (LA REINE VIERGE, Zone 2) : quelques moments marrants bien écrits par Harry Brown où s’amuse Bette Davis mais des décors épuisants à force de conventions, une photo qui privilégie abusivement le rouge (dans les films sur la Renaissance, les Anglais sont en rouge, les Français en bleu et les Espagnols en noir). La mise en scène de Koster est à la fois studieuse et inerte.

WESTERNS ET FILMS NOIRS
WAY OF A GAUCHO de Jacques Tourneur (LE GAUCHO, zone 1 et 2) mérite qu’on loue la beauté, l’élégance formelle (que finalement ne perturbent que quelques raccords en studio visiblement demandés par la production – Zanuck ou autres – pour souligner un sentiment filmé en plan large ou moyen et tournés après coup) auxquelles s’ajoute une grâce, une mélancolie, une intériorité tout à fait personnelle. La tension ne baisse sporadiquement que dans le dernier quart et, même là, il y a des séquences éblouissantes : tout ce qui se déroule autour de la cathédrale, l’arrivée des soldats, la course de Gene Tierney à la recherche de Rory Calhoun. Là, le mélange des couleurs (la robe, le châle  de Tierney, les costumes des figurants, des soldats, la lumière sur les murs, la profondeur des couloirs, tout concourt à une prodigieuse symphonie visuelle. Admirable gros plan de Gene Tierney allongée dans la nuit, avec l’ombre des feuilles sur le visage. Et un contrechamp sur Rory Calhoun sur fond de ciel qui la regarde. Le meilleur du film quant à la dramaturgie réside dans les rapports entre le héros et l’officier que joue superbement Richard Boone à qui Tourneur a demandé de parler bas, sans haine ni colère. Cette retenue donne une force, une ambiguïté extraordinaire à son personnage et sauve la toute fin qui aurait pu être moralisatrice.

                              

Dans THE BIG COUNTRY (LES GRANDS ESPACES) de Wyler, le point faible reste un scénario de James Lee Barret et Sy Bartlett trop long, finalement très traditionnel, aux péripéties attendues et aux personnages archétypaux même si Peck, Jean Simmons, Charles Bickford (qui a joué dix fois ce personnage) et Burl Ives leur donnent pas mal d’épaisseur. La mise en scène, en revanche, est plus surprenante notamment par le grand nombre, par l’importance des plans larges, ce qui n’était pas si courant. Des scènes sont essentiellement filmées en plans très larges sans qu’on passe à un cadre plus serré. Bien sûr, tout cela illustre le titre du film (et la phrase de dialogue : « c’est un grand pays ») mais produit, sur un grand écran, un effet spectaculaire : l’arrivée de la diligence et la découverte de la petite ville, l’attaque du hameau où s’entassent les Hennessey, les chevauchées, le combat final dans le canyon (décor ultra spectaculaire), tout cela ne manque pas de grandeur, témoigne d’un vrai sens de l’espace (belle photo de Robert Planck). Wyler est aussi efficace quand il filme la mort de Burl Ives que la bagarre très vantée (et souvent cadrée de loin) entre Heston et Peck qui comprend une bonne réplique : » Vos adieux durent vraiment longtemps » dit Heston, épuisé.

TROOPER HOOK (zone 1 sans sous-titres) devrait passionner tous les nombreux amateurs qui analysent, se passionnent, s’affrontent autour du VENT DE LA PLAINE et surtout de L’HOMME SAUVAGE. Le film de Charles Marquis Warren présente beaucoup de similitudes avec le Mulligan. Là encore (comme dans des Ford et des magnifiques nouvelles de Dorothy Johnson qu’avait publiées Joelle Losfeld), il s’agit d’une femme (Barbara Stanwyck) qui a été capturée par les Indiens, délivrée par la cavalerie et qu’on ramène chez elle, avec son fils qui est aussi celui du chef Nachez (Rodolfo Acosta). C’est Hook (Joel McCrea) qui se charge de la mission. Sur la route, elle va rencontrer une hostilité constante, voire de la haine de la part des Blancs qui l’humilient et veulent même la tuer. Ou tuer l’enfant. Rarement film a dépeint aussi longuement cette hostilité, cette violence.  A laquelle n’échappent qu’un jeune homme, une vieille femme mexicaine et sa fille. Les premiers plans du film – l’exécution de soldats cernés par les Indiens puis l’incendie du camp indien – sont saisissants. Et le scénario est riche en détails originaux : quand on demande à Stanwyck pourquoi elle a les cheveux courts, elle répond : « les poux ». Mais la mise en scène est parfois étrangement maladroite, les cadres soudainement plats (alors qu’il y a de très beaux plans de descente de colline à cheval dans les rochers) et l’interprétation, sauf les deux vedettes et Earl Holliman, laisse à désirer. Susan Kohner est moins bien que chez Daves, Edward Andrews surjoue horriblement et le petit garçon n’est pas terrible. Néanmoins le film possède un ton spécial, personnel même si Charles Marquis Warren n’en signe pas le scénario comme dans LITTLE BIG HORN et ARROWHEAD.

ARNOLD LAVEN
Nous étions un peu injuste quand nous le qualifions de lanterne rouge d’Hollywood. En effet, Laven a été, au moins une fois, un des premiers à aborder un thème, celui du tueur en série, en l’occurrence de jeunes femmes, avec sa première réalisation, WITHOUT WARNING (zone 1), petit film noir entièrement tourné en extérieurs dans un Los Angeles avec des autoroutes encore en construction et où les collines, les canyons ne sont pas encore entièrement urbanisés. Tout ce qui concerne le tueur, un jeune homme « normal», avec un visage poupin, qui travaille dans l’horticulture, retient l’attention, servi par le jeu dépouillé, moderne d’Adam Williams au physique vaguement brandoesque : les premiers plans et la découverte du premier cadavre dans un motel, ses errances nocturnes dans les rues, sa manière de draguer dans un bar, sa réaction quant il est surpris par un flic alors qu’il vient juste de tuer une femme dans une voiture, sous une autoroute. La poursuite, à pied, qui suit, sur et autour de cette autoroute vide, est une des meilleures séquences du film, bien photographiée et cadrée par Joseph Biroc qui est aussi inspiré par une course dans le marché aux légumes. Williams  dégage, sans effet, un vrai sentiment de menace qui rattrape le jeu un peu raide de certaines de ses partenaires dont le physique sonne juste et peu hollywoodien  En regard de ces moments que ponctue une musique parfois heureuse de Herschell Burke Gilbert, les séquences d’enquête avec l’inévitable voix off paraissent ternes et appliquées mais on échappe à toute tentative d’explication ou de justification. Laven dit s’être inspiré de HE WALKED BY NIGHT et d’un film avec Joan Bennett. WITHOUT WARNING sortit, coïncidence curieuse, le même jour que THE SNIPER.

De Laven, j’ai revu THE GLORY GUYS (LES COMPAGNONS DE LA GLOIRE,  zone 2) et ce qu’on en dit dans 50 ANS DE CINÉMA AMÉRICAIN est juste. Si on voulait approfondir la critique, on pourrait ajouter que cette nouvelle variation sur la bataille de Little Big Horn n’ajoute rien de nouveau. Il y a quelques faits qui sont paraît-il justes : l’attaque prématurée, la recherche de l’eau, le portrait de Custer rebaptisé McCabe qu’incarne Andrew Duggan reste terne, conventionnel. Le scénario conventionnel de Peckinpah en fait un militaire orgueilleux et borné, à la recherche de la gloire mais sans cette arrogance dont faisait preuve Fonda, sans ce mépris pour les Indiens. Il ne le montre pas comme ce sociopathe obsédé de taxidermie et détenant le record des désertions dont nous parlait James Lee Burke ni cet officier courageux mais dévoré par l’ambition qu’évoque Ernest Haycox dans son beau roman, Bugles in the Afternoon, qui attaque volontairement un jour trop tôt. Le film ne tient pas compte des polémiques qui opposent les historiens qui chargent le Major Reno et Benteen (Tom Tryon dans THE GLORY GUYS) pour exonérer Custer (Laven et Peckinpah impliquent que McCabe, par ressentiment, envoie Harrod dans un piège) et ceux qui continuent à voir en lui le responsable de la plus grande défaite de la cavalerie américaine. Tout ceci est survolé et les auteurs préfèrent s’intéresser à la rivalité des deux héros qui se disputent Senta berger. Restent non seulement les éblouissants travellings dus à James Wong Howe durant les chevauchée, mais ses cadres inventifs, sa photo magnifique et cela dès la première séquence : une salle d’attente dans une gare que Wong Howe, privilégiant les teintes sombres, économisant la lumière, magnifie ce qui donne de la force à la scène. Il joue sur tout ce qui cache une partie de l’images : des herbes, des rochers, des arbres en extérieurs qui dramatisent le propos. Des meubles, des objets dans les intérieures comme cette porte qui cache la moitié du saloon, mettant en valeur, dans le cadre, à droite, assez loin, une entraineuse que reluquent des soldats de l’extérieur. La scène de bataille est encore meilleure que dans notre souvenir, ce qui nous fait d’autant plus regretter une première partie plus rigolarde, plus convenue où l’on peut distinguer Slim Pickens, toujours juste, et James Caan, le meilleur personnage du film ainsi que la musique de Riz Ortolani.

De THREE HOURS TO KILL d’Alfred Werker (zone 1) il n’y a pas grand chose à dire : la banalité des intérieurs, la photo de Charles Lawton curieusement routinière, les cadrages mécaniques, la bourgade sans aucun caractère qui a déjà servi dans 100 films étouffent ce qui était potentiellement prometteur dans cette histoire de vengeance après un lynchage raté co-écrite par Roy Huggins, Richard Alan Simmons et Maxwell Shane. Il y a ici et là des extérieurs bucoliques (un lac) ou campagnards, une assez bonne bagarre dans des arbustes, la course de la carriole emportant Dana Andrews qui vient d’échapper à la pendaison avec une corde au cou laquelle corde se bloque à chaque obstacle, que l’on peut porter au crédit de Werker ainsi que quelques cadrages inhabituels : une danse filmée à travers les instruments. Petite touche curieuse : Donna Reed a un enfant de Dana Andrews avant leur mariage (qui n’a jamais lieu à cause du lynchage) et ne part pas avec lui à la fin. Je voulais revoir ce film découvert à sa sortie en VF au California et vérifier si ce qu’on disait de Werker était juste. Le film est très inférieur à THE LAST POSSE  du même Werker qui vient aussi de sortir en zone 1 et qui bénéficie d’un scénario fouillé (construit autour de 3 flash-back), avec des personnages complexes ce qui nous vaut une grandiose interprétation de Broderick Crawford, de Charles Bickford. Sans oublier de magnifiques extérieurs rocailleux, arides, superbement photographiés. L’ouverture du film, le retour de la patrouille est magistrale.

DIPLOMATIC COURRIER (Zone 2 Espagne et 1) est un film brillant, remarquablement bien mis en scène, découpé avec une précision diabolique. Il fallait faire preuve de ces qualités pour triompher des contraintes qui faisait peser la Fox sur la production (sortir le moins possible du studio, tourner le moins possible avec les vedettes en Europe), contraintes dont on se demande si elles n’ont pas stimulé Hathaway (et même s’il ne les a pas créées lui même puisqu’il aimait les défis). Cela explique le tempo ultra-rapide, les raccords virtuoses dans les ouvertures de portes, les sorties de voitures, les escaliers, les couloirs de train, le montage incisif surtout dans les deux premiers tiers qui dégraisse un scénario déjà dépouillé de Casey Robinson d’après Peter Cheney. Les protagonistes dont Power et Karl Malden n’arrêtent pas de courir, de traverser à toute vibure des décors, une gare, un champ de ruines, ce qui permet à Hathaway d’utiliser sans doute des doublures et de se permettre de vraies audaces : une poursuite dans les ruines est filmée en plans très larges qui lui donnent une force insolite. Les scènes de train, de gare, comptent parmi les meilleures du genre et Lucien Ballard s’en donne à coeur joie dans ces couloirs sujets aux pannes d’électricité, ces compartiments, ces demeures mal éclairées. Peu de prêchi-prêcha mais un ton plus sec, plus distancié, plus sombre même que dans les habituels films anti-rouges. Le personnage que joue Power ne se bat pas pour une cause mais pour sauver un ami et lui et son chef commettent des erreurs d’appréciation et le personnage d’Hildegarde Kneff (on regrette en la voyant dans le film que le cinéma américain n’ait pas su l’utiliser) émet des propos pas totalement consensuels pour l’époque, reprochant à Power de ne pas comprendre, de ne pas réaliser ce qui se passe dans un pays occupé. Apparition non créditée mais efficace de Charles Bronson dans un rôle muet, un peu plus longue de Lee Marvin et Patricia Neal en manteau de fourrure avec son irrésistible sourire.

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Déc
19

Carlotta a eu la formidable idée de sortir un coffret entièrement consacré à un des plus grands cinéastes indien, Guru Dutt avec notamment l’un de ses chefs d’œuvres, L’ASSOIFFÉ dont j’ai gardé un souvenir émerveillé. Comme l’écrit Jacques Lourcelles : « Guru Dutt utilise avec habileté les structures traditionnelles du film musical indien (longs passages chantés ponctuant l’action et la commentant, rôles secondaires pittoresques et comiques, identification du spectateur au héros) pour faire une œuvre sincère et originale, autobiographique à plus d’un titre et surtout infiniment plus critique et plus noire que ne l’est habituellement ce type de film. »

En même temps sort DESPAIR, un Fassbinder qui avait été assez sous estimé et qu’il est bon de revoir.

J’ai adoré revoir deux Risi aussi réussis l’un que l’autre : DERNIER AMOUR (dont le titre original est PREMIER AMOUR ; on est dans le syndrome de la traduction qui dit le contraire de l’original, style NO WAY OUT devenant LA PORTE S’OUVRE) et LA CARRIÈRE D’UNE FEMME DE CHAMBRE qui se bonifient encore avec l’âge. Le premier est une chronique douce amère sur les rapports entre un cabot vieillissant et une jeune domestique qu’il rencontre dans la Maison de Retraite des artistes. Risi évite bien des clichés machistes avec le portrait de cette jeune femme (délicieuse Ornella Muti qui est à croquer) qui n’est ni idéalisée ni méprisée, ni oie blanche, ni garce. Elle est un peu menteuse, aime s’amuser, veut profiter de la vie et le luxe l’ébahit mais elle a aussi des moments, des élans de sincérité, d’affection très touchants. On n’assiste pas à un remake de LA FEMME ET LE PANTIN. Bien au contraire, à la fin, c’est elle qui donne de l’argent à son ancien amant et cette séquences est traitée avec une infinie délicatesse qui contraste avec la colère épouvantable de Tognazzi quelques instants auparavant quand il humilie la jeune femme de manière abominable et en public : dans un studio de télévision, ce qui n’interrompt pas les émissions qui ont l’air catastrophique et surtout dans la rue.

  

LA CARRIÈRE D’UNE FEMME DE CHAMBRE retrace deux décennies de l’histoire italienne avec un grand nombre d’épisodes désopilants. Chaque apparition de Mussolini est fulgurante de grandiloquence creuse, de sottise avec notamment ce plan large où, faune lubrique, on le voit courir après Agostina Belli toute nue. Le fiancé de ladite Agostina est tout aussi mémorable dans sa manière d’accumuler les faux pas, les gaffes. Chaque fois, il se trouve dans un conflit terrible au bout du monde. Ugo Tognazzi brosse, lui, un terrible bossu qui vend tout et tout le monde : les résistants, les juifs, la literie, les pneus, en clamant qu’il est un vrai Aryen. J’aime beaucoup le plan où on le voit croiser un autre bossu dans la rue et tous deux crachent pour conjurer le mauvais sort. Mais la palme revient à un prodigieux Gassman, alter ego de Risi, désopilant en vedette de cinéma nombriliste qui oublie constamment le nom de son interlocuteur. Son apparition durant la fête organisée par l’héroïne pour les Allemands, est inoubliable : totalement ivre, il insulte les nazis, essaie en vain de trouver le nom « du petit type à moustache ». Et sa fin, grandiose fin d’acteur, est toute aussi anthologique.

On va pouvoir redécouvrir De Sica avec la sortie de LES ENFANTS NOUS REGARDENT, aussi important pour moi, sinon plus, que LE VOLEUR DE BICYCLETTE et de L’OR DE NAPLES. Je me réjouis déjà à l’idée de revoir une très jeune Sophia Loren, Toto (épisode qui fut parfois coupé) et De Sica en noble ruiné qui se fait pulvériser aux cartes par le fils du portier, dans un sketch grandiose.

                                                               

MALVEILLANCE de Jaume Balaguero que sort Wild Side est un film espagnol assez dérangeant, qui met mal à l’aise mais qui vous agrippe. Même si le réalisateur sacrifie aux canons du film gore vers la fin et si le regard posé sur le personnage principal, ce psychopathe solitaire et pervers, peut sembler trop froid et clinique. On pense parfois à PEEPING TOM, ce qui n’est pas un mince compliment. Belle interprétation, sans effets de Luis Tosar, de la très sexy Marta Etura et musique très réussie de Lucas Vidal.

   

Je ne peux que recommander LES ENFANTS DE BELLEVILLE de Farhadi même si je n’ai pas eu le temps de le revoir en DVD. En salle, j’avais été une fois de plus, extrêmement ému. Et aussi passionné par tout ce que l’on apprenait de la vie sociale, quotidienne, en Iran.

FILMS FRANÇAIS
MARIE-MARTINE est un vrai régal à revoir et pas seulement pour la fameuse réplique : « Tiens ta bougie droite » lancé par un Saturnin Fabre péremptoire, misanthrope (faussement ?) qui ne veut pas faire installer l’électricité tant qu’il n’aura pas compris comment cela marche. Toute la séquence, d’ailleurs, est éblouissante, très bien écrite et admirablement jouée par Bernard Blier et Fabre. Il faut dire qu’on sait maintenant que les dialogues ont été écrits par Anouilh et ils sont éblouissants. J’ai été choqué d’ailleurs d’entendre sur France Culture à propos du beau film de Resnais qu’Anouilh était le plus mauvais dramaturge français. C’est une opinion très parisienne, très snob. Certes, des pièces ont vieilli et aussi certaines de ses obsessions qui paraissent fabriquées et répétitives. C’est aussi parfois une question de mise en scène et Anouilh servait mal ses textes qui demandent qu’on prenne des distances pour mettre en valeur leurs élans, leurs beautés. Il y a dans le Resnais des moments de texte éblouissants. Et aussi dans MARIE-MARTINE. Le personnage de Loïc Limousin, spectaculairement  joué par Jules Berry, est dans sa noirceur, son ignominie, l’un des personnages d’écrivain les plus abjects de l’histoire du cinéma. L’un des premières scènes avec Jeanne Fusier Gir est grandiose. Moins célébré, mais tout aussi fort est Jean Debucourt, grand bourgeois qui ne parle pas à son épouse et est prêt à faire endosser le crime de sa fille à quelqu’un d’autre. Il y a du Simenon là-dedans. La structure du film avec cette construction en 3 flash-back qui reculent dans le temps est aussi originale et permet de dissimuler, d’occulter tout ce que l’intrigue a de mélodramatique. Du coup si vous pouvez, revoyez aussi L’ENTRAÎNEUSE d’Albert Valentin qui est de la même veine et plus organiquement émouvant.

Je ne parviens jamais à aller jusqu’au bout des CASSE-PIEDS ; c’est mortel, languissant (la scène de la femme au volant dure dix minutes de trop). Cela devait être démodé déjà à l’époque malgré les graphiques, les projections, les trucages.
LES REVOLTÉS DE LOMANACH (dont l’assistant est Claude Sautet) paraît très kitsch. Les chevauchées sont filmées de manière très molle de même que les scènes de batailles : on voit soit des gens qui chargent au premier plan des ennemis qui sont très loin, soit des ennemis au loin qui font reculer des soldats au premier plan.
CE JOLI MONDE de Carlo Rim est plus intéressant et parfois même assez cocasse même si le propos paraît à la longue trop fabriqué et répétitif et qu’Yves Deniaud sonne démodé.

   

En revanche, j’ai beaucoup aimé LE FARCEUR. Les acteurs d’abord : Georges Wilson, Palau absolument magnifique, Cassel très aérien et Anouk Aimée légère et tendre. Cette famille d’hurluberlus où les anciennes épouses côtoient les petites amies potentielles, où l’on gagne sa vie en posant pour des tableaux vivants historiques, finit par dégager un charme bien servi par les dialogues de Daniel Boulanger. Il y a une chanson désopilante, des pas de danse et des passages plus graves, le tout filmé avec de jolis mouvements de grue par Philippe de Broca. Salut Philippe où que tu sois. Il réussit même à glisser une allusion à la mort de Louis XVI.

                                                           

J’ai été « surpris en bien » par UN CARNET DE BAL, en le revoyant. Pas par les épisodes avec Blanchar ou Pierre Richard-Willm qu’on peut survoler. Mais par de nombreux autres moments : le sketch avec Harry Baur, celui très marrant avec Raimu. Et l’ouverture, le premier quart d’heure, sont une éblouissante démonstration de mise en scène. Dans le premier flash-back, la première évocation du bal (sublime musique de Maurice Jaubert), Duvivier témoigne d’une inspiration, d’une invention visuelle, d’une émotion qui m’ont laissé pantois.
Je tiens à signaler la sortie de nombreux films avec Fernandel dont LES 5 SOUS DE LAVAREDE sur lequel délire Paul Vecchiali (à revoir donc), ERNEST LE REBELLE, FRANCOIS 1er, LA CAVALCADE DES HEURES, LE CLUB DES SOUPIRANTS. Dites-moi ceux qui valent le coup.
LA FERME DU PENDU de Jean Dréville avec Charles Vanel (royal), Alfred Adam et une magnifique apparition de Bourvil qui chante « Les Crayons » : rien que pour cela, il faut voir ce robuste mélodrame paysan, bien écrit par Gilbert Dupé, qui évite bien des clichés et caricatures. La séquence de la noce est très bonne et il est dommage que GOUPI ait éclipsé cette réussite. A redécouvrir.

FILMS ANGLAIS
J’ai vu HALFWAY HOUSE qui est vraiment curieux. Et daté sans aucun doute. L’histoire met du temps à se mettre en place et de manière trop démonstrative. L’intrusion du fantastique est subtilement dosée (trop pour de jeunes spectateurs d’aujourd’hui ?): Glynis Johns (qui a de faux airs de Marion Cotillard) qui ne se reflète pas dans le miroir ou ne fait pas d’ombre, le jeu avec le temps, la chronologie, le bombardement de l’auberge qui, pourtant, a déjà eu lieu. Il y a surtout cette étrange thématique anglaise de l’époque qui implique que les échecs, les fautes, les erreurs, les souffrances peuvent avoir des effets positifs. Etrange pour un film de propagande qui dénonce au passage les profiteurs de guerre. Françoise Rosay, fort bonne, bénéficie d’un carton indiquant qu’il s’agit de son premier film britannique.

   

J’ai aussi vu CHASE A CROOKED SHADOW de Michael Anderson, très divertissant exercice de pastiche hitchcockien, habilement écrit, réalisé, photographié avec une jolie utilisation de la profondeur de champ et des décors naturels. On marche devant tous ces rebondissements bien orchestrés. Mais on comprend mieux ce qui fait le génie, la personnalité d’Hitch devant ces variations divertissantes, ces allusions (la course en voiture, bien filmée, le verre de lait) ces péripéties qui restent des péripéties, sans arrière plan. Cela dit, il s’agit sans doute du meilleur film d’Anderson même si le dénouement parait ultra fabriqué.

FOOTSTEPS IN THE FOG dont j’avais déjà parlé est un film très agréable à voir. Autant, voire plus qu’à Lubin, ses qualités sont dues au scénario, au chef opérateur et aux acteurs. Lubin était un homme à tout faire qui a signé beaucoup de films indifférents, voire nuls et deux trois qui sont regardables comme IMPACT et celui là qui est son meilleur.

SEVEN THUNDERS de Hugo Fregonese qui vient de sortir en Angleterre mélange  plusieurs intrigues : une histoire de prisonniers anglais évadés dont Stephen Boyd moins raide qu’à l’ordinaire et Tony Wright qui fut Callaghan dans des nanars, qui tentent de survivre à Marseille, les Allemands qui les recherchent et des Français qui prétendent aider les juifs et en fait les exploitent, voire même les tuent. Trois de ces intrigues ne se recoupent, de manière très arbitraire et invraisemblable, qu’à la toute fin, laquelle est en dessous des deux premiers tiers malgré des scènes de foule (la population abandonne des quartiers qui vont être détruits) spectaculaires et bien mises en scène. Le problème vient du comportement des personnages qui semblent n’agir que pour créer des rebondissements, se mettre stupidement en danger, fuir ou tuer de manière illogique. Il y a aussi ce passage secret qui arrive on ne sait pourquoi et que personne ne songe à reboucher. Tout ce qui précède dégage un vrai charme et nous surprend continuellement. Le nombre et la qualité des extérieurs tournés à Marseille, l’utilisation astucieuse des décors (les diverses chambres où se réfugient les héros, les escaliers qui jouent un grand rôle, les toits où tout ce qui s’y passe est très bien filmé), le dynamisme de la mise en scène rachètent largement  le fait que tout le monde parle anglais (voire même en ce qui concerne les Allemands, chante en anglais), ce qui rend assez cocasses les moments où les personnages ont peur de ne pas se faire comprendre ou d’être identifiés à leur accent. L’autre surprise, et de taille, est de voir surgir tout à coup un avatar du docteur Petiot, rebaptisé Martout et délocalisé à Marseille auquel James Robertson Justice qui prend un accent français confère une épaisseur très inquiétante. Fregonese qui crée une grande tension dans toutes ses scènes, fait l’impasse sur les fumées noires et la manière de se débarrasser des corps et malheureusement le fait agir de manière idiote à la fin. Anna Gaylor, vive, excellente, a des faux airs de Jessica Lange, Eugène Deckers impose un personnage trouble qui sonne juste tout comme le marin brossé par Marcello Pagliero.

THE FALLEN IDOL est une des plus grandes réussites de Carol Reed et j’espère retrouver de nombreux commentaires sur cette œuvre forte et maitrisée.

                                                                 

Quant à  I’M ALL RIGHT JACK, (qui sort en même temps que plusieurs autres Peter Sellers que je vais revoir), il faut le voir pour son sujet (même si le point de vue est des plus conservateurs, les Boulting ayant brusquement viré de bord politiquement) qui touche au monde du travail (le mot syndicat était banni par la censure). Et surtout pour une ébouriffante prestation de Peter Sellers, inoubliable en délégué syndical dictatorial et tatillon qui paralyse toute l’usine.

                             

QUATERMASS AND THE PIT (Amazon UK) de Roy Ward Baker, est sorti en Blu-ray. Le scénario de Nigel Kneale qui enracine une histoire fantastique dans des décors quotidiens – ici une station de métro où l’on fait des fouilles, des rues, des ruelles très ordinaires – est toujours aussi astucieux. D’autant qu’il repose sur une chronologie inversée (l’invasion a eu lieu, il y a de cela plusieurs siècles). Malheureusement, Andrew Keir, dans le rôle de Quatermass, manque terriblement de charisme, et plusieurs autres acteurs sont pâlichons, avec parfois des personnages écrits trop superficiellement comme ce colonel Breen, adversaire trop borné, trop bête pour Quatermass. James Donald et Barbara Shelley sont meilleurs. Roy Baker utilise adroitement le décor, sait faire sourdre l’angoisse (notamment dans la scène où l’ouvrier va chercher son matériel). On peut regretter les cadrages un peu trop serrés, la photo trop classique.

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