TOUJOURS DES FILMS ANGLAIS
Mon coup de cœur. Je dois avouer que j’ai eu un choc en redécouvrant (en découvrant, faudrait il dire plus justement, car je ne l’avais vu qu’en 16mm dans une très mauvaise copie) THE OVERLANDERS écrit et réalisé par Harry Watt. On lui doit le célèbre et magnifique documentaire NIGHT MAIL sur un poème de W.H. Auden et une musique (excusez du peu) de Benjamin Britten. Il participa à d’autres documentaires produits, comme le si émouvant, si beau NIGHT MAIL, par Alberto Cavalcanti : the FIRST DAYS, LONDON CAN TAKE IT souvent sans être crédité et j’aimerais bien voir SQUADRON 992, un court métrage documentaire romancé.
THE OVERLANDERS (LA ROUTE EST OUVERTE), entièrement filmé en extérieurs en Australie (Watt voyant l’état sommaire des studios, choisit une histoire de plein air et ne tourne que dans des décors naturels) frappe par son extraordinaire beauté visuelle. S’inspirant d’une histoire vraie, Watt raconte comment en Australie durant la guerre, un groupe de marginaux mené par un chef d’équipe charismatique (Chips Rafferty est tout à fait magnifique. Sa minceur, sa gestuelle, sa grâce lui donnent une grande présence et il devint l’acteur australien numéro 1) parviennent à convoyer un bon millier de têtes de bétail à travers la moitié d’un continent pour approvisionner les territoires menacés par les Japonais. On sent dans ce film la même urgence, la même énergie que dans d’autres productions Ealing de cette époque. C’est sûr que ce film influença fortement le Hawks de RED RIVER. Évidemment, Watt ne rajoute pas d’intrigue (à peine une histoire d’amour presque soldée), de rivalités, de vengeance. Une partie de ses comédiens amateurs ou semi-professionnels étant de très bons cavaliers, on les voit très souvent, sans transparences, au milieu du bétail, ce qui nous vaut les meilleurs plans de « stampede » ou plutôt de blocage d’un stampede (il y a un plan magnifique de Rafferty qui sépare les bêtes avec son fouet). Autres différences, Rafferty engage trois femmes dans son équipe et elles se révèlent toutes formidablement utiles. La photo est extraordinaire, Watt jouant à fond sur les lumières dures du désert et utilisant très adroitement les avant-plans. Le jeu de certains protagonistes est parfois rudimentaire mais cet aspect non policé augment la vérité du ton, de la narration, tout comme le choix des décors d’intérieurs. Magnifique partition musicale de John Ireland dont c’est la seule participation cinématographique. J’ai très envie de découvrir les autres films australiens de Harry Watt, à commencer par THE EUREKA STOCKADE (avec Chips Rafferty).
Je viens de voir THE SIEGE OF PINCHGUT, dernière production Ealing, avec Aldo Ray dont Charles Barr dit beaucoup de bien… Et en effet cette histoire d’un criminel (Ray) qui s’évade pour prouver son innocence et qui doit se réfugier dans un petit ilot en face de Sydney ne manque pas de force. Certes les situations sont familières (les « gangsters qui prennent des otages pour négocier) mais les développements le sont moins. Watt évite aussi bien dans le scénario (qu’il signe) que dans la mise en scène tout dérapage vers le mélodrame. Le ton reste sec, net, épuré. Et la tension monte quand les assiégés décident de se servir d’un des canons qui défend le fort. L’utilisation de l’espace, de la topographie, des extérieurs naturels est assez remarquable. Watt utilise de nombreuses plongées qui utilisent au mieux le décor, prend des risques avec la caméra (ou était l’opérateur dans certains plans de poutrelles au dessus du vide) et se sert très souvent des courtes focales avec caméra au sol. Ray dans une interprétation dégraissée, est impressionnant. Certes les film est moins pechu que des Mann ou des De Toth mais sa neutralité, sa mesure le sert et le préserve de nombreux écueils. A revoir absolument.
NINE MEN est un film de propagande qui s’ouvre sur une série d’exercices militaires filmés comme un documentaire patriotique. Puis un flash back raconte l’histoire d’une patrouille coincée dans le désert et cernée par l’ennemi. Récit ultra classique mais là encore, remarquable utilisation de l’espace avec des avant plans qui jouent sur la profondeur de champ. Certains plans larges sont spectaculaires et, paradoxalement, renforcent le climat oppressant du film. Peu de tirades nationalistes même si l’ennemi est traité avec dédain. Interprétation uniformément juste. Deux œuvres à redécouvrir après THE OVERLANDERS.
Je suis en train de revoir aussi WEST OF ZANZIBAR (que j’avais vu il y a si longtemps dans un cinéma situé près du métro Cadet) qui fait partie du volume 1 des Ealing Rarities. C’est un peu la suite de Where no Vultures Fly ce film d’aventures écologique qui m’avait enchanté à 14 ans et qui m’avait semblé à la vision du DVD, mollasson, mal joué et maladroitement mis en scène malgré un propos louable et en avance sur les combats qu’on mène aujourd’hui. Sans oublier de beaux extérieurs. Et cette suite est plus nerveuse, mieux écrite même si Anthony Steel est toujours aussi inexpressif et on retrouve en mineur le gout de Watt pour les extérieurs et ici et là son talent pour les mettre en valeur. Ce combat pour sauver les éléphants, pour stopper le trafic de l’ivoire devrait intéresser les militants de WWF.
Et si Watt était, après Robert Hamer, LE réalisateur sous estimé d’Ealing surtout pour NIGHT MAIL et ses films australiens. Voilà encore qui dément les assertions de Truffaut. Charles Barr loue aussi beaucoup le mystérieux WHITE CORRIDOR de Pat Jackson, introuvable en DVD. Jackson est l’auteur d’un célèbre documentaire reconstitué, WESTERN APPROACHES (1944 en couleurs), que j’avais trouvé assez terne et un peu ennuyeux (1951).
Revu LA FILLE DE RYAN que j’avais découvert à sa sortie et boudé stupidement. J’ai adoré le lyrisme, le panthéisme de la mise en scène (qui a influencé le Polanski de TESS et Pascale Ferran et son excellent LADY CHATTERLEY), les paysages, l’appréhension de la Nature, une extraordinaire beauté plastique qui va de pair comme souvent chez Lean avec une âpreté, une noirceur qui ne s’annonce pas, ne s’auto-publicise pas. Elle reste sous jacente comme si l’auteur ne voulait pas la claironner (on retrouve cela dans OLIVER TWIST, LE MUR DU SON, LE PONT DE LA RIVIÈRE KWAÏ, LAWRENCE D’ARABIE). En fait les films de Lean disent souvent et de biais le contraire ce qu’ils semblent mettre en avant. Seul bé mos la musique peu inspirée, à coté de la plaque de Maurice Jarre qui abuse des airs martiaux, de la musique de cirque toujours pléonastique, le type même d’illustration que dénonçait Jaubert. Lawrence était plus réussi, je crois. Là, Jarre ne trouve jamais le bon climat, la bonne couleur. Magnifique interprétation toute en retrait de Mitchum, sombre et lyrique de Sarah Miles, flamboyante de Trevor Howard dont c’est un des plus beaux rôles, de Leo McKern et création spectaculaire, à contre emploi de John Mills.
Parmi les raretés, je signale THE CLAIRVOYANT de Maurice Elvey avec Claude Rains et la sortie de THE EALING STUDIOS RARITIES : le volume 2 comprend le très personnel BRIEF ECSTASY d’Edmond T. Gréville qu’aimait beaucoup Graham Greene. Un film à découvrir, truffé d’idées, d’audaces, d’ellipses qui parle franchement de l’attirance sexuelle ce qui est unique dans le cinéma anglais. On trouve dans les autres coffrets FRIEDA de Basil Dearden.
Grâce à l’infatigable Jean-Pierre Dionnet, on vient de ressortir une série de grands classiques anglais dont beaucoup réalisés par Alexandre Korda : LA VIE PRIVÉE DE DON JUAN, REMBRANDT. Je conseillerai en premier LADY HAMILTON avec Vivien Leigh et Laurence Olivier, qui dans son genre est une très grande réussite : scénario intelligent et sensible dû à RC Sherriff et Walter Reisch (qui collabora avec Billy Wilder et Charles Brackett) au dialogue souvent incisif (la tirade de Lord Hamilton sur les différentes sortes de maris trompés qui se conclut par un éloge de ses statues « qui ne sortent pas avec un marin »), photo splendide de Rudolph Maté, belle musique de Rosza. Je pense que c’est dans ce film que Vivien Leigh est la meilleure, passant de la frivolité à la culpabilité, de l’immaturité à la gravité. Elle a des moments de légèreté rares, elle qui n’est pas une actrice légère plutôt signifiante, une drôlerie diaphane qui n’édulcore pas ses élans de coquetterie irresponsable. Laurence Olivier est tout aussi bon jouant sur le côté rustaud, tout d’une pièce du personnage. Ses rapports avec Lady Nelson, personnage pathétique, rigoriste et étroit, coincé, bloqué par et dans sa souffrance de femme trahie nous valent certaines des meilleures scènes du film. Qui est magnifiquement joué. La bataille de Trafalgar avec ses maquettes et ses transparences n’est pas à la hauteur de ce qui précède et j’avoue n’avoir pas du tout compris quelle était la tactique de Nelson. Il faut attendre l’explication donnée par son second. D’ailleurs dans les films de pirates, on ne comprend jamais la part d’invention, de talent d’un capitaine sauf dans MASTER AND COMMANDER ce chef d’œuvre.
J’aimerais revoir LES 4 PLUMES BLANCHES de son frère Zoltan, cinéaste progressiste qu’Alexandre obligea à vanter la beauté de l’Empire Britannique dans des décors souvent somptueux créés par la troisième frère Vincent, l’un des plus grands décorateurs du cinéma. J’ai ainsi revu ALERTE AUX INDES (THE DRUM, vu il y a des décennies en VF et NOIR ET BLANC au Pathé journal). C’est un excellent film d’aventures qui rivalise avec les TROIS LANCIERS DU BENGALE. Bien sur le ton est colonialiste mais le film est un peu moins moins patriotard, moins nationaliste que bien d’autres titres. Ici et là, on remarque des bévues de l’administration coloniale (leur chef refuse de croire Sabu et le regarde avec condescendance), les exploits guerriers sont traités avec une relative sobriété. Roger Livesey est fort bon, Valerie Hobson charmante (elle chante bien en s’accompagnant au piano) et Sabu formidable. Tandis que Raymond Massey en fait des tonnes en chef religieux dont les propos prennent un autre sens aujourd’hui. Le film fut interdit dans plusieurs villes de l’Inde. Très bon documentaire, plein de notations passionnantes sur Sabu, acteur et personnage fascinant avec Sabu, LE LIVRE DE LA JUNGLE (avez vous lu le chapitre hilarant que de Toth consacre au tournage de ce film dans son autobiographie FRAGMENTS, UNE VIE ainsi que le portrait aigu qu’il trace du clan Korda et qui complète celui de Michael Powell ?).
Justement de Powell, Dionnet a retenu LE VOLEUR DE BAGDAD, une merveille et un beau cadeau pour les fêtes. On pourra aussi revoir en Blu-ray LES 39 MARCHES et ATLANTIQUE LATITUDE 41° cette réussite de Roy Ward Baker et Eric Ambler.
COFFRETS
Dans un autre genre tout aussi précieux, les Éditions Montparnasse présentent un magnifique coffret consacré aux comédies de Shakespeare avec des interprètes éblouissants d’Helen Mirren à Cyril Cusack. Découvrez LA COMÉDIE DES ERREURS, PEINES D’AMOUR PERDUES, LES DEUX GENTILSHOMMES DE VÉRONE qui valent LA MÉGÈRE APPRIVOISÉE dont Zeffirelli tira un film académique et braillard.
Voyez aussi le coffret sur cet auteur délectable qu’est Eugène Labiche. J’ai un faible pour la STATION CHAMPBAUDET mais DOIT-ON LE DIRE ? et la POUDRE AUX YEUX contiennent des trésors que Jean-Laurent Cochet, grand amateur de Labiche sait mettre en valeur.
Et toujours chez Montparnasse, 2 coffrets importants : Les Prix Albert Londres 2013 et celui consacré à Bernard Pivot et APOSTROPHES.
CLASSIQUES FRANÇAIS
LE MORT EN FUITE est une sévère déception et je n’arrive pas à comprendre la réputation de ce film, mis en scène avec les pieds comme tous les autres Berthomieux. Le sujet de Carlo Rim fait illusion pendant 15 minutes puis devient absurde et ne reste que le cabotinage parfois marrant, souvent lassant, de deux acteurs abandonnés à eux mêmes. Les raccords, les passages d’un plan à un autre, le découpage semblent être taillés à coups de sécateur rouillé.
LE DERNIER DES SIX déçoit aussi à la révision. L’intrigue met beaucoup de temps à se mettre en place. Les séquences de cabaret semblent diluer le rythme, stopper l’action malgré des plans saugrenus marrants. Georges Lacombe le sentait et refusa de tourner une des séquences de cabaret. Alfred Greven le fit remplacer illico pour cette séquence par Jean Dreville.
Il faut mentionner la sortie de quelques Willy Rozier dont L’ÉPAVE premier film d’une très jeune Françoise Arnoul qui a toujours dit que ce n’était pas elle qu’on voyait nue.
LES AMANTS MAUDITS de Willy Rozier commence par une séquence extravagante où Rozier, convoqué par la police judiciaire, reçoit un satisfecit des policiers pour son scénario très lointainement inspiré de Pierre Loutrel qu’ils trouvent très moral (« il ne faut pas qu’ils deviennent des exemples pour la jeunesse »). Cela ne risque guère et le film dément le titre. Ces amants n’ont rien de charismatique ni de passionné. Il n’y a d’ailleurs aucune alchimie entre les deux acteurs, Robert Berri, un bedonnant moustachu, fort bon dans IDENTITÉ JUDICIAIRE, mais ici terne, et Danielle Roy, un peu meilleure que le dit Vecchiali. Lui est macho, teigneux, aigri et elle le double et le manipule. On comprend que les flics lecteurs du scénario jugent que de tels non héros ne risquent pas de déclencher de vocation tant ils sont antipathiques et surtout peu intéressants.
J’aime beaucoup plus LES AMANTS DE TOLÈDE, adaptation du Coffre et le Revenant de Stendhal (parmi les scénaristes Decoin, François Chalais et Maurice Griffe, le collaborateur de Becker) malgré le doublage, Gérard Landry qui est nul dans un personnage de jeune premier assommant et d’une redoutable inefficacité pour un révolutionnaire. Quand il porte un bonnet, on a envie de rire. Le prototype du jeune premier dans les drames romantiques qui est un vrai boulet. D’autant que les scénaristes imposent dans le dernier tiers des péripéties d’une rare stupidité : ce coffre où se cache le héros qu’on ramène dans le seul lieu où il ne faudrait pas aller (on ne parvient pas à comprendre pourquoi il ne sort pas durant le trajet) puis qu’on renvoie là d’où il vient frôle le burlesque involontaire. Est-ce dans Stendhal ? Mais Decoin sait inventer de beaux plans, utiliser très adroitement les extérieurs, surtout tous les espaces vides ou déserts, couloirs, escaliers, ruelles : une course le long d’une muraille, ces plongées sur des espaces que les personnages traversent en diagonale, des scènes dans une église témoignent d’un vrai talent. Il joue avec la lumière, bien épaulé par Michel Kelber, créant des blancs qui claquent avec le soleil et s’opposent à des noirs très profonds, ces zones d’ombre. Fort belle musique de Jean-Jacques Grunenwald. C’est lui qui doit jouer de l’orgue dans deux des séquences d’église. Maurice Dutilleux le tenait pour le plus grand spécialiste de Bach à l’orgue. Bonne occasion de rappeler que Decoin fut le seul cinéaste avec Grémillon à faire appel à Dutilleux. Et aussi à Maurice Henry pour MALÉFICES. Il y a un bel échange entre le chef de la police, Pedro Armendariz et un bourreau : « Ta femme, elle t’aime ? » – « Oui Excellence » – « Que pense-t-elle quand tu fais ton travail ? » – « Elle m’aime moins ». On dirait du Hugo. Plusieurs acteurs espagnols sont épatants. Françoise Arnoul dans un rôle populaire qui lui va bien est très sexy. Alida Valli, très belle. For passionnante intervention de Didier Decoin qui nous dit que ce fut un des films que Decoin voulut faire. Par admiration pour Stendhal. Pour découvrir l’Espagne. Il imposa le tournage en extérieurs à Tolède.
Films récents
La sortie du dernier film de François Dupeyron, MON ÂME PAR TOI GUÉRIE, qu’il eut tant de mal à faire financer, est une bonne occasion de se plonger dans cette œuvre personnelle et singulière : de DRÔLE D’ENDROIT POUR UNE RENCONTRE à LA CHAMBRE DES OFFICIERS, Dupeyron n’a jamais sacrifié aux modes. Il a toujours essayé d’imposer sa petite musique douce amère, tendre, décalée, en marge. J’ai gardé un faible pour le méconnu C’EST QUOI LA VIE ? et pour AIDE TOI ET LE CIEL T’AIDERA où Claude Rich était sensationnel.
Et ruez vous sur HIVER NOMADE de Manuel Von Sturler, évocation chaleureuse, tendre, passionnante d’une transhumance de moutons en Suisse qui permet à l’auteur de parler du temps qui passe, des changements drastiques du paysage, d’une certaine forme de vie. Le charisme des deux personnages principaux est incroyable. Une réussite aussi forte que celle de BOVINES.
CINÉMA HISPANIQUE
J’avais beaucoup aimé un film argentin LES ACACIAS dont l’austérité devenait peu à peu poignante.
Quand est ce qu’on ressortira enfin en France EL VERDUGO (LE BOURREAU), le chef d’œuvre de Berlanga qu’il serait utile de redécouvrir et ce, au moment où le cinéma espagnol traverse une passe difficile avec un gouvernement conservateur qui surtaxe les activités culturelles, fait passer la TVA à 21% et proclame son mépris du cinéma, de la culture ?
Et les amateurs de jazz doivent acquérir le délicieux CHICO ET RITA de Fernando Trueba, évocation tendre, délicate, amusante. Son frère David s’est attaqué à un sujet formidable : l’adaptation d’un des meilleurs romans espagnols contemporains, LES SOLDATS DE SALAMINE de Javier Cercas.
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