FILMS ANGLAIS
Nouvelle édition du VOLEUR DE BAGDAD de Powell, Korda, Berger et Whelan mais aussi de titres beaucoup plus rares comme le REMBRANDT de Korda, LYDIA et ANNA KARÉNINE de Julien Duvivier (le premier, lointain cousin de CARNET DE BAL, dans mon souvenir, contenait de vraies qualités), THE DIVORCE OF LADY X de Tim Whelan que je n’ai pas encore vu.
REMBRANDT, lui, est un film magnifique et je ne peux qu’être d’accord avec les propos d’Alain Masson dans le dernier Positif. Classique certainement et pour certains académique. Mais Korda transcende ces limites en communiquant à son film une fièvre, une âpreté qui tranchent avec la plupart des biopics. Tout d’abord en ne s’attachant, parti pris très original et très britannique, qu’à la période de la « chute » de Rembrandt après le scandale causé par la Ronde de Nuit. Il est coupé de ses protecteurs, de ses soutiens, devient de plus en plus seul et pauvre malgré l’aide d’une servante qu’il épouse juste avant qu’elle meure. Le ton est noir, mélancolique et finalement «habité». Laughton flirte avec le cabotinage mais avec un tel talent, une telle invention qu’on reste admiratif, notamment devant ce demi sourire qu’il affiche pour se défendre des imbéciles.
Je suis entièrement d’accord avec les blogueurs qui ont vanté les qualités surprenantes d’ULTIMATUM des frères Boulting. Il y a des plans sidérants (l’exode dans Londres, les scènes de panique, des images nocturnes de la ville déserte), une utilisation de la lumière qui renforce la dramaturgie. Nicolas Saada faisait remarquer de George Lucas engagea pour le premier STAR WARS le chef opérateur de ce film, Gilbert Taylor. Comme le note Justin Kwedi chez DVD Classik : « Point d’éléments d’anticipation, de velléités spectaculaires ou même de grands message pacifistes dans Ultimatum où les Boulting dresse un état du monde en scrutant celui qu’ils connaissent le mieux, l’Angleterre. Ultimatum est un grand film sur la peur et les différentes formes qu’elle peut emprunter. Il y a d’abord la peur d’un homme – se considérant responsable de cet état du monde en raison de ses recherches – qui sombre peu à peu dans la dépression et l’aversion de son travail. Barry Jones, mine frêle et regard apeuré, exprime à merveille cette anxiété latente d’un Willington perdant pied avec la réalité et sombrant dans la paranoïa. C’est d’ailleurs en fait lui le personnage le plus humain et fouillé dans une œuvre finalement assez froide où chaque protagoniste est restreint à sa fonction (militaire, policier) dans le récit. On adopte ainsi réellement le point de vue d’un homme à l’équilibre mental vacillant et qui menace le monde, tout en se montrant paradoxalement peut-être le plus clairvoyant même si sa peur le pousse à une solution trop extrême.»
Toujours des frères Boulting : BRIGHTON ROCK, scénario de Greene et Terence Rattigan d’après Greene. Richard Attenborough est formidable. Tamasa a aussi ressorti le remarquable MORGAN/ FOU À LIER de Karel Reisz, riche en scènes anthologiques. Dont le déjeuner sur la tombe de Karl Marx. Scénario de David Mercer.
FILMS FRANÇAIS
Henri Verneuil
Le Festival de Lyon rendait hommage à Henri Verneuil en noir et blanc, la meilleure période. Avec un de ses films les plus réussis, DES GENS SANS IMPORTANCE, beau scénario co-écrit par François Boyer : dès la première phrase en voix off du flash back, on est plongé dans un monde ouvrier peu évoqué au cinéma, le monde qui fut abandonné par le parti socialiste comme l’écrivit Eric Conan (je cite de mémoire : « on roulait depuis 32 heures »). Verneuil parle avec chaleur de ce monde populaire, ignoré des cinéastes de la Nouvelle Vague, montre un Paris aux rues lépreuses, aux bâtiments de guingois, le contraire du Paris des bobos. On est encore proche de l’univers d’ANTOINE ET ANTOINETTE. Ce qui est aussi frappant dans ce film si émouvant, c’est le regard amical, presque féministe porté par les auteurs sur le personnage de Françoise Arnoul. La scène de l’avortement, terrible de dureté, est, sur ce plan, exemplaire. A la fois courageuse et sans compromis (ah le plan où l’on va chercher le matériel dans le plafond, toute l’horreur du monde est évoquée là). N’oublions pas qu’un an plus tard le PC, par la voix de Jeannette Vermeesch condamnera la contraception et le droit à l’avortement. Ce qui donne du poids au film de Lara, le JOURNAL D’UNE FEMME EN BLANC comme le rappelait Michel Cournot.
J’ai vanté à plusieurs reprises LE PRÉSIDENT que je revois chaque fois avec jubilation même si la mise en scène est un peu plan plan.
Revoir UN SINGE EN HIVER qui tira des larmes à Gérard Collomb, en présence de Belmondo, fut un moment magique. Il est bon de réécouter le dialogue sublime d’Audiard. Albert Quentin (Gabin, royal) : « L’intention de l’amiral serait que nous percions un canal souterrain qui relierait le Huang Ho au Yang-Tseu-Kiang. » Esnault : « Le Yang-tsé-Kiang… Bon. Albert Quentin : « Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que Huang Ho veut dire fleuve jaune et Yang-Tseu-Kiang fleuve bleu. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’aspect grandiose du mélange. Un fleuve vert ! Vert comme les forêts, comme l’espérance. Matelot Esnault, nous allons repeindre l’Asie, lui donner une couleur tendre. Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde. » Toujours Gabin s’adressant à Belmondo : « Oh ! là là ! Le véhicule, je le connais : je l’ai déjà pris. Et ce n’était pas un train de banlieue, vous pouvez me croire. M. Fouquet, moi aussi, il m’est arrivé de boire. Et ça m’envoyait un peu plus loin que l’Espagne. Le Yang-tsé-Kiang, vous en avez entendu parler du Yang-tsé-Kiang ? Cela tient de la place dans une chambre, moi je vous le dis. » Cette dernière phrase me fait fondre. Je me mets à la place de l’acteur qui la découvre. Et l’un des premiers monologues de Belmondo n’est pas mal non plus et il épatant d’élégance et de charme : « Mes gens vont venir. Ce sont des gitans comme moi. Traitez les comme moi même. Arrière les Esquimaux ! Je rentre seul. Un matador rentre toujours seul ! Plus il est grand, plus il est seul. Je vous laisse à vos banquises, à vos igloos, à vos pingouins. ¡ Por favor ! »
Vu aussi LES AMANTS DU TAGE et impression mitigée. La première partie du film semble anticiper et annoncer avec des décennies d’avance le film d’errance sentimentale et touristique, tourné au Portugal, qui s’est épanoui chez Pierre Kast puis sous l’égide de Paolo Branco. En fait Verneuil fait figure de père fondateur de ce sous genre et on aurait bien vu Mathieu Amalric et Jeanne Balibar en place de Gélin et Arnoul. L’intrigue est mince (mais énoncée et jouée avec le même sérieux sépulcral que celui qui enfonçait certaines productions paolobrancoesques), après une ouverture assez réussie mais plombée par le jeu appuyé de Gélin (son personnage est assez énervant) que renforce des cadrages hyper étudiés, signifiants dramatisant tous les rapports. Il y a même quelques cadrages obliques, de très gros plans esthétisants, des plans à deux (deux visages qui jamais ne se regardent) où l’on sent qu’aucun des acteurs ne peut bouger d’un millimètre. Pas mal de conventions : à Lisbonne, tout le monde parle français à commencer par un môme de rues pas mauvais mais lourd. Dalio n’est pas hyper crédible dans une absence de rôle. Néanmoins il y a des mouvements assez vifs, de jolis plans larges, beaucoup d’extérieurs, des enchainements cut assez ingénus, des notations assez belles (les femmes qui caressent le sable) et des dialogues de Marcel Rivet (à qui on doit le scénario d’IDENTITÉ JUDICIAIRE –bon policier réaliste- et LA NUIT EST MON ROYAUME dont j’ai parlé et qui est vraiment pas mal) qui méritaient un traitement moins démonstratif (on a droit au sempiternel point de vue du placard ici qu’on vide, ce qui signifie qu’on a affaire à un film que son auteur a pris au sérieux). La deuxième partie policière fonctionne mieux, grâce à Trevor Howard qui donne une épaisseur à son personnage, mais aurait gagné à être plus trouble, plus ambiguë, moins explicative. Une fois de plus le moteur chez Verneuil, c’est l’argent et cela diminue le personnage parfois touchant de Françoise Arnoul, souvent juste (elle achoppe sur quelques clichés) et fort peu déshabillée (la cote sévère de la CCC est incompréhensible). La fin est trop claire et prévisible malgré une belle musique finale de Michel Legrand (déjà) qui avait surnommé le film, vu les demandes ultra techniques de Verneuil : « les Amants du minutage ».
De Borderie à Lara
Contre toute attente, FORTUNE CARRÉE (Pathé) signé pourtant du souvent redoutable Bernard Borderie qui en dehors de LA MÔME VERT DE GRIS dirigea les plus mauvais Constantine, se révèle assez plaisant malgré une distribution où le saugrenu le dispute à l’improbable. Personne n’est de la même nationalité : Fernand Ledoux joue le cadi, religieux cauteleux et menaçant, Pedro Armendariz, un chef de guerre (Igritcheff, bâtard kirghize d’un comte russe nous dit Joseph Kessel), Folco Lulli Hussein, son serviteur, Anna Maria Sandri, Yasmina, personnage féminin totalement soumis et effacé. La surprise vient de Paul Meurisse, vraiment pas mal en trafiquant d’armes, Mordhom, inspiré par Henry de Monfreid. Il dynamise toutes ses scènes, se régale avec les dialogues de Kessel. Borderie et Nicolas Hayer utilisent le Cinémascope (FORTUNE CARRÉE fut la première production française en Scope) de manière un peu moins statique qu’un Henry Koster dans LA TUNIQUE. Il y a quelques moments divertissants et animés, des extérieurs pas trop paresseux, un certain mouvement même si Borderie ne tire absolument rien de l’épisode qui donne son titre au film : la fortune carrée est une voile qu’on utilise quand on veut affronter une tempête vent debout. Et même si on est loin de la rutilance du roman.
Toujours chez Pathé, LES AMANTS DE VÉRONE est une œuvre curieuse, ambitieuse, parfois brillante et inspirée, avec des élans surprenants, parfois pataude et prévisible. Le travail d’André Cayatte est mieux qu’honorable. Aidé par une belle photo d’Henri Alekan, il utilise au mieux les extérieurs, joue avec la profondeur de champ, les clairs obscurs. Je suis plus gêné par le sujet du film, cette mise en abyme de l’histoire de Roméo et Juliette d’abord dans un film (certaines scènes de tournage sont savoureuses bien qu’assez improbables) puis « dans la vie ». On sait que l’histoire d’amour moderne va forcément mal finir pour être un double exact de celle qu’on filme. Et je suis gêné un peu aussi par l’univers de Prévert, ici, même si plusieurs moments sont détonants et rares, grinçants, cocasses, tendres (parfois aussi emphatiques, mais il faut dire que certains acteurs – Dalio qui surjoue – n’arrangent rien et que les voix off sont dites de manière très grandiloquentes). Il y a un petit côté Anouilh qui perce ici : la pureté des jeunes opposée au monde corrompu des adultes dont plusieurs ont été fascistes. Lesquels jeunes sont crédules, naïfs, tombent dans tous les pièges. Le scénario progresse à coup de coïncidences, de rencontres imprévues, de gens qui ne se voient pas ou qui n’ont pas l’idée de donner le bon papier à la bonne personne. Voilà qui plombe un film souvent passionnant, toujours respectable avec une très belle musique de Kosma. Martine Carol n’est pas mauvaise, Reggiani un peu guindé, Brasseur tonitruant (il a des moments grandioses) et Anouk Aimée qu’on voit nue, délicieuse. La palme de l’étrangeté revient à Marianne Oswald et aux scènes qui l’opposent à Brasseur.
Et chez Gaumont les amateurs de Louis de Funès et de Michel Audiard doivent se ruer sur CARAMBOLAGES de Marcel Bluwal. De Funès explose dans plusieurs séquences fantastiques où il fait un feu d’artifice avec le dialogue délirant d’Audiard (la grande tirade sur la grenouille, l’avoinée qu’il passe à ses collaborateurs sont des moments d’anthologie, bien filmés, qu’on oublie toujours. Ils n’étaient pas cités dans le documentaire sur de Funès). Certaines péripéties (tout ce qui tourne autour des ascenseurs) sont plus lourdaudes, les personnages féminins sont peu intéressants et Brialy est maniéré mais l’irruption de Serrault en flic nostalgique de la rue Lauriston relance la machine et Bluwal sait filmer ces dialogues.
Et surtout sur le percutant AVEC LE SOURIRE de Maurice Tournant, très bien écrit par Louis Verneuil. C’est un scénario original décapant, caustique, cynique, le portrait d’un arriviste fort sympathique de prime abord mais qui n’hésite devant aucune fourberie pour réussir et grimper dans l’échelle sociale. Ce personnage souriant et impitoyable est sans doute le meilleur rôle de Maurice Chevalier. Son interprétation du « Chapeau de Zozo » est un des sommets du film qui mieux que beaucoup d’œuvres aux allures plus ambitieuses capture l’esprit des années 30, l’air du temps.
SYLVIE ET LE FANTÔME, d’après une pièce d’Alfred Adam, est une charmante comédie romantique, avec des dialogues très cocasses d’Aurenche (« Ici rien n’est bizarre, tout est étrange » dit Carette, ou l’inverse), qui imposa Jacques Tati à Lara. Il confère au fantôme une grâce légère et souriante.
Enfin, on va pouvoir revoir le passionnant LUMIÈRE D’ÉTÉ de Jean Grémillon, l’un des trois films qui évoquèrent la lutte des classes sous l’Occupation (les deux autres étant DOUCE et LETTRES D’AMOUR). Le commentaire de Philippe Roger insiste beaucoup sur des signes maçonniques et cette interprétation me laisse perplexe : j’ai du mal à voir Prévert s’amuser à dissimuler ces indices. Quant au PC, il était à cette époque violemment anti-francs-maçons et je vois mal Grémillon, compagnon de route, se désolidariser de ces positions. En revanche, plus incisives et pertinentes me semblent les remarques sur les rapports entre la mise en scène de Grémillon et la musique. Il faut revenir sur ce film.
Toujours chez SND, sortie de LA BANDE À BONNOT dont je fus attaché de presse. J’aimais beaucoup et l’idée de faire un tel film et Brel. Mais le film est desservi par une mise en scène manquant de tonus Philippe Fourastié qui partit mourir très jeune d’une tumeur au cerveau après avoir dirigé trois films et une série TV écrite par Albert Vidalie. Brel et Crémer étaient excellents dans LA BANDE À BONNOT, œuvre sincère mais qui reste souvent au niveau des intentions.
Trois coffrets importants
Le premier coffret consacré à René Allio de 4 films (RUDE JOURNÉE POUR LA REINE, LES CAMISARDS, MOI, PIERRE RIVIÈRE et LE MATELOT 512) chez Shellac Sud, plus un ouvrage LES HISTOIRES DE RENÉ ALLIO (aux Presses universitaires de Rennes) avec nombreux documents et photos.
Le COFFRET CHRIS MARKER (Arte Editions) qui comprend toutes les œuvres majeures.
Et le COFFRET ROHMER chez Potemkine, coffret inouï avec tous les films restaurés. C’est une somme. Je construit de nouveaux rayonnages pour l’entreposer.
Je n’ai jamais eu aucun retour sur les 3 films avec Eddie Constantine que j’ai souvent défendu et promu dans ce blog : l’excellent CET HOMME EST DANGEREUX, savoureusement dialogué par Marcel Duhamel et filmé à l’américaine par Jean Sacha qui fut le monteur d’OTHELLO de Welles (cela se voit dans l’utilisation des courtes focales, de la caméra au sol, des effets de montage) ; ÇA VA BARDER et JE SUIS UN SENTIMENTAL de John Berry, tous deux photographiés par le talentueux Jacques Lemare. Il y a des passages très marrants dans ÇA VA BARDER et des séquences très bien filmées dans JE SUIS UN SENTIMENTAL (le début tient du vrai film noir).
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