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LIVRES

LES LUMIÈRES DE LHOMME est une nouvelle réussite de Luc Beraud. En partant de faits très concrets, il parvient tout d’abord à tracer un portrait attachant de Pierre Lhomme, à faire revivre sa carrière de chef opérateur en nous donnant mille renseignements précieux indispensables, puis, élargissant le propos nous fait réfléchir sur la pratique du cinéma, les rapports entre l’image, le cadre et le sens. Approche personnelle, originale. Chaque chapitre amène une nouvelle strate et on a l’impression de participer à la réflexion de l’auteur, à ses découvertes. Son admiration ne le rend jamais aveugle, par exemple sur Bresson. Ce qu’il écrit est très éclairant, chaleureux, jamais scolaire et en même temps, il pointe certains manques : la méconnaissance gigantesque du théâtre qui l’amène à filmer des caricatures démodées depuis trente ans. Partant de constatations techniques précises et justes, Beraud jette un regard neuf sur la pratique du cinéma et son histoire. Remarquable.

DANS LES GEÔLES DE SIBÉRIE (Stock) de Yoan Barbereau est un récit puissant, un témoignage terrible sur les mœurs policières qui sévissent toujours en Russie. Rien ne semble avoir changé sinon que les accusations sont plus insidieuses. Le directeur de l’Alliance Française d’Irkoutsk (la ville où doit se rendre Michel Strogoff) se fait arrêter et emprisonner un matin. On l’accuse de pédophilie et il va devoir se battre deux ans pour s’extirper de ce piège infernal. On a fabriqué un dossier énorme et seule la taille compte car, il n’y a aucune preuve, aucun témoin. La plupart des accusations sont absurdes et seront démolies pendant l’enquête sans que cela ne fasse changer l’accusation. Le FSB a lancé une énorme machine qui ne peut plus s’arrêter et qui se nourrit de ses propres divagations. Barbereau relate de manière implacable les conditions de détention, la solidarité qui finit par se créer dans chacune des cellules avec parfois la complicité des directeurs de prison, de certains médecins, l’effrayante passivité du Quai d’Orsay où chacun ne songe qu’à protéger son poste et enfin son extravagante et héroïque évasion en BlaBlaCar. Comme l’écrit Benoir Vitkine dans le Monde : « Le résultat est un ouvrage inclassable. Dans les geôles de Sibérie se lit bel et bien comme un roman d’aventures, angoissant et terrifiant, qui met en scène la prison, l’étouffement, une suite de pièges dont le héros ne sort qu’en comptant sur lui même. »
A lire à la suite du PIÈGE AMÉRICAIN de Frédéric Pierucci avec Matthieu Aron pour voir comment deux grandes puissances peuvent en toute impunité piétiner le droit, les conventions internationales, les règles les plus élémentaires de la justice. Dans les deux cas, les institutions françaises (pas les individus ni quelques journalistes) réagissent avec une frilosité (et dans le cas de Pierucci, une complicité) pitoyable

SUR MON PÈRE de Tatiana Tolstoï est une évocation touchante des rapports extrêmement complexes qui à la fois unissaient et opposaient le grand écrivain et sa femme. Leurs aspirations, leur vision du monde était radicalement différente : lui était obsédé par ses expériences sociales, sa recherche de la perfection jusqu’à imposer un mode de vie dur et archaïque (mais qu’il pouvait corriger par amour). Elle détestait le peuple, vénérait de manière abstraite la vie de famille, était horriblement jalouse des femmes qu’il avait connues avant elle. De plus Tolstoï se convertit, rejette l’église orthodoxe et veut embrasser la même vie que les paysans. Ce qui déstabilise encore plus sa malheureuse épouse. C’est émouvant et complexe.

DANIELLE DARRIEUX OU LA TRAVERSÉE D’UN SIÈCLE (Presse universitaire de Bordeaux). Passionnant travail collectif extraordinairement documenté dirigé par Gwénaëlle Le Gras et Geneviève Sellier sur cette géniale actrice, cet ouvrage complète l’excellente biographie critique de Clara Laurent :on y évoque aussi bien l’influence de Henri Decoin dans les années 30 que les comédies musicales de Danielle Darrieux, ses rapports complexes tant filmiques que personnels avec l’Occupation, le voyage à Berlin (curieusement sans citer le travail de Christine Leteux sur cet épisode), la genèse et réception de LA VÉRITÉ SUR BÉBÉ DONGE ou comment le public a boudé un chef d’œuvre, l’identité féminine dans les films de Darrieux avec Max Ophüls, DU HAUT DES MARCHES de Vecchiali. Les auteurs et autrices ne taisent pas les interrogations, les zones d’ombre dans ses rapports avec Rubirosa, notamment, analysent l’évolution des différents scénarios du BON DIEU SANS CONFESSION, film que je trouve prometteur, passionnant mais écrit sans grâce ni inspiration. On a même droit à des recherches sur l’exploitation des films de Darrieux en Moselle soulignant qu’une œuvre pouvait être autorisée dans une ville et interdite dix kilomètres plus loin.

LES TONTONS FLINGUEURS (Temps Noir), somme définitive sur ce « classique » de Georges Lautner qui aura engendré plus de littérature, d’essais que CASQUE D’OR ou REMORQUES. Mais on y apprend cent mille choses, sur l’évolution du scénario, les différentes versions, les changements amenés par Lautner durant le tournage. C’est très amusant et définitif sur la question.

   

Je me suis beaucoup amusé en lisant SOIT DIT EN PASSANT, l’autobiographie de Woody Allen. Ses chapitres sur ses parents, son enfance, son apprentissage dans les clubs contiennent des passages désopilants, truffés d’hommages, de coups de chapeau à des comédiens qu’il adore dont beaucoup nous sont inconnus. De manière détournée, il finit par donner quelques aperçus précis mais toujours modestes sur les quelques films qu’il considère comme réussis et personnels, CRIMES ET DÉLITS, LA ROSE POURPRE DU CAIRE, HANNAH ET SES SŒURS et deux ou trois autres mais rejette MANHATTAN. On l’a accusé de manière ignominieuse de ne parler des femmes qu’en termes de séduction, de beauté, ce qui est totalement faux. Il répète cent fois que ce sont les femmes, ses épouses, ses amies qui l’ont éduqué, lui ont tout appris, l’ont ouvert à la littérature, à la politique. Il ne tarit pas d’éloges sur elles, question culture et intellect, décrit admirablement Diane Keaton, Scarlett Johansson, rend un hommage appuyé à Dianne Wiest. Et à de nombreux collaborateurs, ses coscénaristes, Gordon Willis (qui lui a tout appris), ses producteurs sans oublier sa dernière épouse. De même, le reproche de consacrer plusieurs chapitres à Mia Farrow est d’une rare sottise. Elle lui a pourri la vie pendant deux décades (quelles que soient ses erreurs, qu’elle devrait partager, et ses décisions imprudentes), en a fait un paria même si deux jugements l’ont blanchi. Il révèle que l’actrice après avoir déclenché la machine judiciaire, l’appelle pour s’étonner qu’elle n’ait pas de rôle dans son nouveau film et le menace de représailles, cite longuement le témoignage remarquable du frère de Dylan, Moses (que la presse française zappe continuellement), devenu psychologue, qui accable Farrow et Dylan, et celui de son épouse sur les violences qu’elle commettait sur certains des enfants adoptés (« elle aimait les adopter, pas les élever »), réfute de multiple contre-vérités. On a pu le lire dans un récent numéro de Positif. Récemment deux autres enquêtes poussées relèvent les incohérences, mensonges, dissimulations du clan Farrow pendant qu’un journaliste du New York Times déniche de multiples erreurs et allégations non prouvées même dans l’enquête contre Weinstein. Tout cela restera comme un témoignage accablant sur la lâcheté d’une partie de la presse et d’une opinion qui se complaît dans les rumeurs plutôt que dans les faits. Cela dit, le livre dans sa version originale est mal édité (on a droit deux fois au même récit d’un tournage) et surtout traduit de manière approximative.

Pour tous les amateurs des compositeurs de l’âge d’or Hollywoodien, signalons le coffret CHARLES GERHARDT CONDUCTS CLASSIC FILM SCORES qu’on peut trouver à moins de 30 euros pour 12 CD où l’on entend Korngold, Hermann, Steiner, Tiomkin, Waxman, Newman : écouter THE BIG SKY, CITIZEN KANE, L’AIGLE DES MERS, LE GRAND SOMMEIL, AUTANT EN EMPORTE LE VENT et tant d’autres fait passer des frissons

FILMS

FRUITVALE STATION marque les débuts assez remarquables de Ryan Coogler, jeune cinéaste noir avec cette chronique d’une bavure policière qui annonce celle qui causa la mort de George Floyd. Coogler ne veut pas faire une œuvre à thèse où tout soit donné avant que d’être montré. Il relate les heures qui précèdent le meurtre du héros, sa vie familiale, décrite avec une grande justesse, une absence d’effets, son passé tumultueux, ses rapports parfois conflictuels avec sa copine. Il ne prêche jamais, laisse les faits parler par eux-mêmes, sans les dramatiser outre mesure et nous fait bien sentir tout ce qui provoquer ce drame : une série de décisions malheureuses, prises avec des bonnes intentions, le racisme qui prévaut de marnière organique dans la police et qui se traduisent par des décisions violentes, injustes (dans un groupe de suspects, on s’en prend d’abord aux Noirs), le manque d’éducation, de sang froid, la peur qui lancent un engrenage qu’on ne peut arrêter. Le constat est accablant sans qu’il soit besoin de le charger. Le film fut accueilli avec une condescendance stupéfiante en France, comme beaucoup d’œuvres progressistes. Le revoir maintenant souligne ses qualités prophétiques, la générosité du regard, l’attention portée à des personnages simples qu’on ne cherche jamais à idéaliser. Lui reprocher de mêler de vraies archives au début et à la fin à des personnages de fiction (ce qui a été refait 150 fois par la suite) relève de la bêtise la plus myope.

COFFRETS DVD

Carlotta vient de consacrer un coffret somptueux à TOOTSIE qui se revoit avec un plaisir, voire une jubilation intense. Nous étions un peu trop condescendants dans 50 ANS, ce qui a été corrigé. On salue une éblouissante interprétation (et donc direction d’acteur de Hoffman à Jessica Lange, lumineuse en passant par Bill Murray). Mais ce qui donne encore plus de poids à ce film qui évite avec élégance tout ce qui pourrait être graveleux pour atteindre même une certaine gravité, c’est l’osmose entre l’accumulation des péripéties et le cadre où elles se déroulent : l’univers du feuilleton, du soap. La brusque et délirante confession de Tootsie dans un studio de télévision, devant ces caméras pourrait donner lieu à une ou deux années de soap. Passionnant bonus qui évoquent la myriade de scénaristes qui collabora au projet dont Elaine May (ses apports sont intelligents et payants), laisse entendre à mots couverts que Hoffman, acteur super doué mais auto-centré et obstiné, fit de ce tournage un cauchemar. Pollack m’avait dit qu’il avait du recourir à une thérapie de plusieurs mois pour retrouver le sommeil.

Et Wild Side en sort un autre, splendide, sur VOYAGE À DEUX cette merveille d’intelligence, de sophistication, concoctée dans une harmonie absolue par Stanley Donen et le scénariste Frederic Raphael. Cette autopsie d’un mariage qui mêle ironie, tendresse et amertume gagne à chaque vision. Et quel couple d’acteurs. Pas encore vu les bonus qui doivent être de première classe.

Je ne sais pas si j’avais signalé le coffret Ida Lupino édité par Kino qui comprend presque tous ses premiers films dont NOT WANTED, NEVER FEAR.

Signalons aussi l’indispensable coffret consacré aux FORBANS DE LA NUIT par Wild Side qui nous permet de découvrir la version anglais de ce film où de nombreuses scènes sont tournées sous un autre angle et avec un un dialogue différent.

Et, toujours chez Wild Side, TROIS FEMMES de Robert Altman.

RARETÉS
Potemkine vient de sortir le très méconnu MOSCOU NE CROIT PAS AUX LARMES de Vladimir Menshov, pourtant Oscar du meilleur film étranger en 1979. Il s’agit d’une chronique intimiste tournant autour de trois personnages populaires qui fait penser à des films italiens de par la liberté de ton, l’absence de solennité et de raideur. Dès le début on est conquis par la modestie et la justesse du propos, à l’écart de tout formatage narratif. Comme l’écrit le Bleu du Miroir : « Tourné en 1979 et produit par la prestigieuse société cinématographique Mosfilm, MOSCOU NE CROIT PAS AUX LARMES est un superbe mélodrame qui se constitue de deux parties. Dans la première, qui se déroule en 1958 dans l’U.R.S.S. de Nikita Khroutchev, on fait la connaissance de trois amies qui vivent dans un foyer de travailleuses. Katia, Lioudmila et Antonina, malgré leurs différences de tempérament, ont en commun le rêve d’une vie meilleure et des aspirations amoureuses qui prennent une grande place dans leurs existences. Si Katia qui est ajusteuse monteuse s’implique beaucoup dans son travail, Lioudmila, elle, se montre plus arriviste et ne craint pas de mentir sur sa condition pour essayer de séduire un homme riche qui la sortira de sa vie terne et pauvre en promesses. Antonina sera la première à faire un mariage lui apportant une certaine stabilité.
Dans cette première partie, Vladimir Menchov, par petites touches discrètes, au détour d’une courte scène ou d’une réplique, en dit beaucoup sur le climat de son pays à cette époque. Un couple qui s’embrasse dans la rue se fait rappeler à l’ordre par des représentants du pouvoir, la propagande dans les usines cherche à donner une vision idyllique du monde du travail et l’incompréhension règne entre ancienne et nouvelle générations.
Les différences de classes apparaissent également au grand jour. C’est l’époque où l’image d’une société égalitaire commence à s’effriter et à laisser place à un antagonisme entre les ouvriers, les travailleurs et les intellectuels, plus privilégiés, qui constituent une élite à laquelle Lioudmila aimerait appartenir en faisant un beau mariage. Elle n’hésite pas à manipuler les hommes pour faire croire qu’elle appartient déjà à ce milieu. Car elle sait déjà que ces différentes strates ne se mélangent que très rarement. Katia et Lioudmila vont elles aussi faire une rencontre importante pour leur avenir. »
Là encore, les bonus si fouillés (et qui sont totalement absents si vous voyez le film sur Netflix qui de toutes les façons ne s’intéresse pas à ce genre de cinéma) font de ce DVD un objet indispensable.

7 WOMEN, le chant du cygne si personnel, si loin de toutes les modes, de Ford n’est disponible que dans un DVD espagnol (le mien souffre de défauts de synchronisme dans la VO) de qualité correcte avec un petit bonus où on voir Ford examinant son décor avec son chef opérateur. Ce film paradoxal, est à la fois daté avec sa Chine en studio, ses seigneurs de la guerre incarnés par Woody Strode et l’impressionnant Mile Mazurki (qui fait la blague), son sujet peu en prise avec l’Amérique des années 60, qui revisite le très beau THE BITTER TEA OF GENERAL YEN de Capra, avec un regard décapant et anarchiste (On imagine guère comment on pouvait rêver à un quelconque succès) et contemporain (ou intemporel) de par sa morale, l’urgence dégraissée, rapide, concise de la narration, plus nerveuse que celle des CHEYENNES. Mais surtout, Ford semble prendre un plaisir extrême à remettre en cause des valeurs qu’il semblait défendre, à valoriser son héroïne libre penseuse, anti-cléricale (« A l’hôpital, je n’ai jamais vu Dieu »), à dénoncer l’oppression d’une religion mal assimilée qui engendre une intolérance raciste. Margaret Leighton, personnage maléfique (qu’Anne Bancroft traite de dictateur), s’apparente au Colonel raciste de FORT APACHE (et à la mère impitoyable de PILGRIMAGE) mais sans son courage puisqu’au premier choc, elle perd pied. Interprétation remarquable de Flora Robson, Mildred Dunnock, Eddie Albert. La scène finale, avec une fastueuse dernière réplique, bat tous les records de concision elliptique.

Doriane a eu la bonne idée de sortir un film qui avait disparu de la circulation depuis des années, LA VOLEUSE de Jean Chapot, restauré en 4K, récit austère, douloureux du combat que mène une femme pour récupérer l’enfant qu’elle avait abandonné quelques semaines après sa naissance. Et qui veut le récupérer 6 ans après d’une manière assez hystérique et égoïste. Le film marque la première rencontre cinématographique entre Michel Piccoli et Romy Schneider, absolument magnifique dans un rôle ingrat. Elle s’empare de la pellicule et impose sans effort un tragique quotidien. L’action se déroule dans une zone industrielle, ce qui nous vaut des extérieurs impressionnants mais le scénario, dialogué sobrement par Marguerite Duras, n’est pas très bien construit et l’enjeu de ce combat, le petit garçon, est traité comme un objet. Belle partition d’Antoine Duhamel. Après ce coup d’essai qui sera un échec commercial, le malheureux Chapot sera littéralement exécuté par Alain Delon dans LES GRANGES BRÛLÉES. A voir pour Romy et Christian Blech si puissant en ouvrier polonais mutique et accroché à son gamin. Bonus chaleureux de Jean-Pierre Lavoignat.

Encore Christian Jaque
Je parlais de SORTILÈGES en disant que j’en avais gardé un bon souvenir. J’ai acheté le DVD qui vient de sortir et l’ai encore plus apprécié. Christian Jaque parvient à créer un climat envoûtant, oppressant, et Prévert, très inspiré, signe un dialogue souvent mémorable. Ironique avec ces attaques que des villageois obtus dont Marcel Peres, lancent contre les étrangers (« D’accord t’es né à 20 kilomètres, d’accord, t’habites ici depuis trente ans, mais t’es un étranger »), allusion précise à la xénophobie de Vichy. Et dans la galerie de ces personnages noirs, hantés, maléfiques, Jean-Baptiste, dit le Campagnier, est une des figures les plus puissantes, les plus complexes, les plus réussies (infiniment plus que le Diable des VISITEURS ou que Brasseur dans LES AMANTS DE VÉRONE). Il faut dire que Lucien Coeldel, génial, d’une incroyable modernité, lui donne une urgence évoquant Gérard Depardieu. Ses séquences avec Ledoux sont admirables. A deux trois reprises, le film frôle la mièvrerie (lors de la belle chanson, Aux marches du Palais, filmée de manière trop apprêtée avec un raccord de mouvement totalement raté), mais la contourne. Le personnage que joue finement Renée Faure, se révèle plus fort qu’on le pensait. Idem pour Pigaut. Tous les autres sont à louer notamment Madeleine Robinson et Sinoel, hilarant en vieille femme. Remarquable et instructif bonus avec notamment Olivier Barrot. Il faut découvrir cette œuvre méconnue.

Signalons à rouxel que Gaumont vient de sortir en Blu-ray plusieurs films que j’ai soutenu ici même, parfois appuyé par Dumonteil : JUSTICE EST FAITE, UN SINGE EN HIVER, LE PRÉSIDENT avant qu’il écrive un long texte. J’ajouterai le WEEK END de Godard qui est plus rare et que je vais revoir.

PLUS RÉCENT
SAINT-CYR
de Patricia Mazuy (vous n’avez pas oublié, je l’espère, TRAVOLTA ET MOI) est une évocation assez décapante de Madame de Maintenon et de l’institution qu’elle voulut créer pour les filles et jeunes filles appartenant à la noblesse pauvre. Il s’agissait au départ de leur donner une éducation pour leur offrir une chance mais peu à peu l’entreprise se pervertit. Madame de Maintenon, devenue la maîtresse du roi, est tiraillée entre le désir d’affranchir les femmes de la tyrannie des hommes et un puritanisme qui la culpabilise. Elle sait qu’elle doit sa position aux faveurs sexuelles qu’elle a consenties et du coup se rigidifie et changeant du tout au tout veut pousser ses pensionnaires vers le couvent. Isabelle Huppert est géniale dans ce personnage double, sans cesse changeant, qui affirme tout et son contraire et finit par brûler les livres et les cahiers. Elle est à la fois belle, sexy et terrifiante dans ce FULL METAL JACKET en jupons comme le définit la réalisatrice qui déclare avoir voulu filmer cette histoire comme un film de guerre. Avec une folle audace, Patricia Mazuy fait parler ses enfants en dialecte de la Basse Normandie à qui le français paraît une langue étrangère. Jean-Pierre Kalfon est impeccable en Louis XIV vieillissant et Jean-François Balmer fignole un portrait de Racine qui me semble profondément juste. Dans les bonus, Patricia Mazuy donne une interview nature et savoureuse. Je ne conteste que ses propos infiniment superficiels non sur la musique (il fallait rester loin du XIXème) mais sur le baroque qu’elle rejette d’un bloc, demandant en fait à John Cale de le recréer, ce que j’avais fait dans DES ENFANTS GÂTÉS.

Gaumont vient de ressortir en Blu-ray le bouleversant LE PETIT PRINCE A DIT de Christine Pascal. Ne le manquez pas.

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Juil
10

LIVRES

L’HOMME RÉVOLTÉ
Il faut toujours revenir à Albert Camus. Sa fréquentation est revigorante. Le ton est passionné mais jamais doctoral ou cassant. Il cherche à vous éclairer, à vous convaincre sans vous intimider. J’ai adoré relire ce livre si stimulant.

THE COMPOSER IN HOLLYWOOD par Christopher Palmer
Avec l’arrivée du parlant, les studios vont s’intéresser à la musique de film de manière moins anarchique que durant le muet comme le montre très bien Christopher Palmer dans son excellent et indispensable The Composer in Hollywood. Ils vont engager des compositeurs ou plutôt des chefs d’orchestre, des arrangeurs qui ont surtout dirigé ou travaillé sur de la musique dite légère, opérettes européennes, musicals, conçue par d’autres, Les Strauss, Lehár, Friml, Romberg, Victor Herbert, voire Gershwin. Comme l’écrit Palmer « on choisissait Tin Pan Alley contre Carnegie Hall ». Par peur que de vrais musiciens soient trop intellectuels, trop audacieux. Contrairement au cinéma français qui très tôt a fait appel à de vrais compositeurs reconnus ou prometteurs, souvent choisis par les metteurs en scène, Camille Saint-Saëns, Arthur Honegger, Darius Milhaud, George Auric voire Maurice Jaubert.
Dans la première vague des compositeurs qui vont débuter au fur et à mesure des années 30, pratiquement aucun, à commencer par Max Steiner, n’a écrit ne serait-ce qu’un morceau original. Toujours Palmer : « Roy Webb, Herbert Stothart, Alfred Newman et Adolph Deutsch avaient travaillé à Broadway. Victor Young était un chef d’orchestre populaire à la radio et avait écrit quelques morceaux. Bronislaw Kaper et Frederick Hollander étaient des pianistes auteurs de chanson qui fuyaient le nazisme. Franz Waxman, un autre exilé n’avait que très d’expérience, David Raksin était un musicien de jazz et un arrangeur, Dimitri Tiomkin un pianiste de concert, encore plus éloigné de la composition que Steiner. Néanmoins beaucoup de ces musiciens finirent par transcender leurs origines pour s’adapter et atteindre, grâce à leur talent, un très haut degré de professionnalisme. » Steiner, Tiomkin deviendront des musiciens accomplis oeuvrant dans une sorte de bastion du conservatisme musical, sans aucune connexion avec la musique contemporaine ni d’ailleurs avec le jazz, utilisé de manière sporadique à travers des comédies musicales ou surtout pour décrire des bouges, des lieux de mauvaise vie.
Bastion qui tentait jalousement de préserver ses prérogatives et bloquait toutes les ambitions progressistes ou modernes chez les nouveaux compositeurs. On engagea même pendant des années des musiciens à l’écriture conservatrice, Jérôme Moross, Hugo Friedhofer, pour surveiller, orchestrer, éviter, supprimer toute dérive moderniste. Moross s’occupa ainsi de Waxman, Deutsch, Friedhofer de Steiner et Korngold, les studios, déclare Palmer, ayant aussi peur de Carnegie Hall que du communisme. Les réalisateurs pouvaient aussi être conservateurs, Stevens fit réorchestrer une partie de la musique de Waxman qu’il jugeait trop audacieuse et Wyler eut peur de certaines trouvailles de Copland contrairement à Milestone.
Au milieu et à la fin des années 30 apparaît une nouvelle génération de compositeurs plus éduqués, cultivés, formés musicalement comme Rosza, Korngold et Bernard Herrmann et le talent d’un Franz Waxman put se développer dans REBECCA, SUNSET BOULEVARD, AVENTURES EN BIRMANIE.

L’EMPREINTE d’Alexandria Marzano-Lesnevich est un ouvrage troublant mi-enquête criminelle sur le meurtre, peut être le viol d’un enfant, mi-introspection de l’auteur qui analyse ce qu’elle a subi et le remet en perspective. Sujet grave, passionnant. Je doute que vous lâchiez le livre.

  

ORIGINAL STORY BY… Ces mémoires du dramaturge scénariste Arthur Laurents sont très bien écrites avec une foule de notations incisives, brillantes, éclairantes (notamment sur le monde du « musical » théâtral – Laurents écrivit les livrets de WEST SIDE STORY et GIPSY entre autres) avec des portraits fouillés de Jérôme Robbins, Leonard Bernstein, Stephen Sondheim. Laurents est souvent acerbe, voire méchant et malgré la brillance du style, on est un peu épuisé par ses conquêtes homosexuelles (encore que le récit de sa liaison avec Farley Granger soit touchant) et les descriptions de sa vie mondaine. Les pages consacrées à son travail avec Hitchcock (sur the ROPE où le dialogue durant la party est très amusant), avec Ophüls sont remarquables d’acuité et il parle bien de son amitié avec Litvak dont il trace un portrait chaleureux mais se montre beaucoup plus superficiel lorsqu’il attaque LA FOSSE AUX SERPENTS où il passe à coté des vertus de cette œuvre soulignées par Jacques Lourcelles. Tous les chapitres sur la liste noire, ses attaques contre certains mouchards, justifient la lecture. C’est son agent qui lui apprit qu’il était blacklisté : « quand j’ai appelé le Studio, ils ont dit non avant que je donne un prix ». Il est très sévère vis à vis de Sydney Pollack, ayant écrit le scénario original de THE WAY WE WERE qui fut tripatouillé par onze scénaristes.

SEPTEMBRE, SEPTEMBRE de Shelby Foote (chez la Noire), à qui ont doit SHILOH sur la célèbre bataille de la guerre de Sécession et qu’on voit dans la série de Ken Burns, THE CIVIL WAR, raconte un kidnapping durant les quelques jours où le gouverneur Faubus bloqua l’accès des écoles de Little Rock aux enfants noirs et où  Eisenhower après avoir longtemps hésité, décida d’envoyer l’armée. Sujet fort et original. Ce fameux Faubus inspira à Charlie Mingus une composition inoubliable, Fable of Faubus.

Orson Welles
Dans MACBETH, Welles s’attaque pour la première fois à Shakespeare, utilisant un décor oppressant où l’on passe de salles sans fenêtres via une sorte de galerie de mine, à un espace ouvert, abstrait, avec un immense escalier délibérément théâtral magnifié par la splendide photographie de John L Russell (qui fut aussi inspiré dans LE FILS DU PENDU, PARK ROW, TRAQUÉ DANS CHICAGO et que l’on redécouvrit dans PSYCHOSE comme si c’était un obscur opérateur de télévision). Le résultat est souvent très excitant même si Jeanette Nolan n’est que moyennement convaincante en Lady Macbeth. Welles avait décidé, idée un peu suicidaire, de faire parler les personnages avec l’accent écossais, soi disant pour les rendre plus compréhensibles car cela ralentissait leur débit. Mais le studio, Republic qui ne finançait que des cowboys chantant et des serial, l’obligea à redoubler une partie ce qui repoussa de plusieurs mois la sortie du film. Très belle partition de Jacques Ibert

CLASSIQUES FRANÇAIS

Un petit tour chez Zola
Il faut absolument revoir la version muette de Duvivier de AU BONHEUR DES DAMES (dont Christian-Jaque était le décorateur) pour la comparer avec celle plus classique, moins flamboyante de Cayatte (Gaumont).
Je revois chaque fois POT BOUILLE avec plus de plaisir même si on peu penser que Duvivier, faisant en apparence taire sa noirceur pessimiste, et Jeanson, ont tiré Zola vers Offenbach. On peut se demander quel est le rôle de Léo Joannon que Jeanson ne cessa d’attaquer (il le traitait de « mouche du boche », saillie imparable). Je pense qu’il avait écrit un premier traitement que reprirent Duvivier et Jeanson. Derrière la vivacité, la causticité du ton, on sent une âpreté qui apparaît de manière plus forte à chaque nouvelle version notamment dans ce personnage terrible de mère marieuse que campe Jane Marken avec une verve et un réalisme glaçants. Sans oublier ces notables fourbes, faux jetons, lâches et misogynes. Belle galerie de crapules regardées plus légèrement que d’habitude par Duvivier ce qui trompa son monde. Tous les affrontements entre Gérard Philippe et Danielle Darrieux sont traités avec une ironie, une subtilité qui n’anesthésient nullement le propos.
NANA de Christian-Jaque (René Château). Comme l’écrit Alain Riou : « D’une certaine façon, Nana-film ressemble lui-même aux bijoux que ses héros amoureux offrent à leurs courtisanes préférées : rebondi, voyant, mais dense, et pas en toc. » Christian-Jaque et Jeanson suppriment à juste titre les considérations de Zola sur les effets de la génétique, qui pesaient même sur LA BÊTE HUMAINE (ils ne signalent pas même que Nana est la fille de Gervaise et Coupeau de L’Assommoir, ce qui expliquerait, sinon excuserait sa cupidité insondable) et réussissent à faire entrer dans les 115 minutes de leur adaptation les 500 pages du roman, sans les trahir ni en réduire la force. La narration est concise, vive et le dialogue, acerbe mais pas trop voyant, porte la patte de Jeanson dès la première scène fort savoureuse entre Boyer et Debucourt qui joue une fois encore Napoléon III. Les opinions réactionnaires, cléricales de Boyer sont finement mises en valeur sans ridiculiser le personnage. Encore Riou : « Mais Jeanson, dans un exercice de concision qui peut surprendre de sa part, parvient chaque fois à concentrer en deux, trois ou quatre répliques le cœur des scènes, sans les rendre abstraites, et sans transformer leurs interprètes en récitants, leur donnant au contraire de quoi sublimer leur talent. » C’est sans doute le rôle où Martine Carol est le plus à l’aise et elle se débrouille pas trop mal quand elle est censée faire l’affriolante dans des spectacles volontairement kitsch. Elle interprète une chanson aux paroles amusantes. Marguerite Pierry, Paul Frankeur, Noel Roquevert brossent avec brio des silhouettes amusantes ou sinistres.

Toujours CHRISTIAN-JAQUE
LES BONNES CAUSES (Coin de Mire). Les deux premiers tiers des BONNES CAUSES sont efficaces, souvent inventifs (la première séquence en caméra subjective ou semi-subjective avec ces panoramiques filés qui permettent de passer d’un lieu à un autre, voire des extérieurs au studio, sans avoir l’air de couper est brillante formellement) avec une interprétation haute en couleur : Brasseur est assez bien maîtrisé, Vlady très convaincante en épouvantable manipulatrice et Bourvil, une fois de plus impeccable. Christian-Jaque croit au sujet et Jeanson signe un dialogue souvent acéré. Il y a certes un surpoids d’intrigue et la critique de la Justice devrait s’appuyer sur des faits plus quotidiens, moins tarabiscotés. Cela marche pourtant bien et compte parmi ses meilleurs films, dans une période morose. Mais tout à coup j’ai buté sur une scène de confrontation qui m’a semblé fabriquée, invraisemblable. Le juge d’instruction et l’avocat de Virna Lisi laissent, sans intervenir, Brasseur détruire le témoin capital de la Défense. Question : est-ce que, dans le roman, cette scène ne se passait pas à l’audience et ne l’aurait-on pas avancée pour donner plus d’importance à Bourvil ? Rien ne marche dans une confrontation que le juge d’instruction peut arrêter quand il veut (et il n’a pas fait signer de déposition, cela le rend idiot). Bref le dernier tiers patine malgré un retournement final amusant mais peu réaliste (parce que là c’est Brasseur qui parait idiot). Il y a là des fautes de scénaristes qui piègent le film jusque-là fort bien mené. Alain Riou m’a donné des explications convaincantes. La scène existe dans le roman de Jean Laborde que Christian-Jaque, Paul Andreota et Jeanson ont intelligemment élagué, dit-il, changeant au passage le personnage du juge d’instruction qui est plus original, mieux écrit que dans le livre. Mais là, ils suppriment tout ce qui fragilisait d’emblée ce témoin : il avait été déjà condamné pour voyeurisme et le juge sentait que sa déposition pourrait se retourner. Cette coupe rend le personnage plus confus et faible. Il est juste peureux. Dommage.
Avec LUCRÈCE BORGIA (LCV), on dégringole de plusieurs échelons et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à aller jusqu’au bout tant le film est mal joué (la palme à Christian Marquand et au nain Pieral), mal distribué, pauvrement écrit (on voit que Jacques Sigurd est très loin de Jeanson ou d’Aurenche). Les premiers plans font illusion avec ces transitions visuelles où Christian-Jaque utilise des fonds noirs pour passer d’une maquette à un décor de studio, du studio à des vrais extérieurs pendant une fête populaire bien éclairée par Matras avec de très beaux masques. Martine Carol que je ne trouve pas du tout sexy paraît beaucoup trop âgée pour le rôle. Des foules d’actrices italiennes auraient mieux convenu.

L’enfer des anges, Affiche

L’ENFER DES ANGES qui va bientôt sortir chez Pathé avait fait partie de la sélection française pour le premier festival de Cannes 1939. C’est une œuvre généreuse, souvent convaincante qui décrit un monde de misère et de bidonvilles où des gamins sont exploités, une sorte de réponse française aux ANGES AUX FIGURES SALES. Un chômeur viendra aider un couple de mômes qui tentent de survivre face à des mères alcooliques, des pères démissionnaires, des trafiquants de drogue, des indicateurs de police, voire des pédophiles. Le propos se voulait critique et social mais il le fut au prix de sordides interprétations, récupéré par le régime de Vichy. On va enfin pouvoir le voir tel qu’il avait été écrit et dirigé.
Le propos de SI TOUS LES GARS DU MONDE… que j’avais vu deux fois à sa sortie, est tout aussi généreux et les premières scènes sur le bateau et même dans la brousse, emportent l’adhésion. Puis le scénario trop fabriqué accumule les coïncidences, les accidents de parcours, les rencontres fortuites et l’artifice prend le dessus. Les ficelles sont trop apparentes et l’humanisme trop claironné.
J’ai très envie en revanche de revoir SORTILÈGES adapté par Jacques Prévert du Chevalier de Riouclare de Claude Boncompain qui m’avait laissé un grand souvenir, avec ce cheval galopant dans la neige ou traversant un village médusé, cette femme épiant à travers des volets, en disant : « Vous savez qu’on appelle cela des jalousies ? ». Un gendarme faisait remarquer à son collègue que le mort qu’ils venaient de découvrir avait du tomber sur une pierre : « Oui et c’est ce qu’on appelle, une pierre tombale. »

VOLPONE de Maurice Tourneur (René Château) fut commencé 3 ans avant, m’apprend Christine Leteux, par Jacques de Baroncelli (Il subsiste des scènes, notamment sans doute les extérieurs) et repris par Tourneur. J’ai toujours été surpris par la disproportion des caractères de Ben Jonson, auteur de la pièce originale jouée en 1606, par rapport à ceux de Jules Romains qui n’était qu’adaptateur mais qui était plus connu du public français (il faut dire aussi que Jonson n’avait plus d’agent). D’autant que Romains s’inspire d’une version de Stefan Zweig écrite en 1925 et montée par Charles Dullin en 1928 avec déjà des décors de Barsacq, qui modifie la fin originale en faisant de Mosca celui qui capte l’héritage. Ce qui colle bien avec le cynisme du ton. Louis Jouvet est excellent dans ce personnage qu’il joue avec retenue et légèreté tout comme Dullin, grandiose en usurier compulsif. En revanche, c’est un des très rares films où Harry Baur surjoue et surligne les intentions, les rendant plus pesantes. Jacqueline Delubac n’est pas très à l’aise et semble paralysée par ses costumes contrairement à Jean Temerson et Alexandre Rignault. Le film se laisse voir agréablement sans pouvoir rivaliser avec LA MAIN DU DIABLE, AVEC LE SOURIRE, voire LE VAL D’ENFER.

Deux Gilles Grangier
J’ai enfin pu voir LE CAVALIER NOIR, comédie d’aventures avec bandit masqué et chansonnettes dont l’intrigue ultra-prévisible ne casse pas trois pattes à un canard. Mais Gilles Grangier, peu à l’aise au début dans les plans d’extérieurs, parvient à communiquer à cette enfilade de clichés une relative vivacité, une bonhomie populaire, aidé par Jean Tissier et le toujours savoureux Alerme.
J’ai nettement revu à la hausse 125, RUE MONTMARTRE, visionné dans une copie quelconque il y a dix ans. J’y ai retrouvé de nombreuses qualités typiques de Grangier, cette manière d’installer, de capter un décor populaire – une cantine, un bistrot – d’utiliser de très nombreux extérieurs dans les rues de Paris et des intérieurs insolites (la chambre où habite Ventura avec la série d’échelles pour y accéder) sans la ramener. Je me souviens avoir été gêné par Robert Hirsch et cette impression a totalement disparu alors que Ventura, formidable dans les scènes de repas (même si sa portion paraît petite) et dans les moments de brusqueries intimes (ses rapports avec Dora Doll), semble un peu coincé par une ou deux péripéties qui le font paraître crédule. Il se rattrape à la fin – les séquences dans le cirque – que Grangier filme avec brio, avec une belle photo du talentueux et sous-estimé Jacques Lemare (son travail sur NON COUPABLE est sensationnel). Jean Desailly fignole aux petits oignons un commissaire plus malin qu’il n’y paraît et Andrea Parisy est excellente. Dialogue rapide et incisif de Michel Audiard : « Vous auriez du rester en Italie. En France, on coupe », déclare Desailly.

LE GRAIN DE SABLE
Dans les nanars, LE GRAIN DE SABLE de Pierre Kast doit se déguster à plusieurs pour savourer l’écriture et l’interprétation de certains personnages : le commissaire, Alan (joué de manière transparente par Paul Hubschmidt, un acteur du TIGRE DU BENGALE), le criminel avec pied bot adaptable qu’on charge bien sur des filatures… Appréciez les décors et appartements de ces soi-disant grands prêtres de la finance mondiale qui conduisent des camionnettes Volkswagen, habitent dans des F3 avec électrophone Teppaz. Sans parler des figurants qui gesticulent après qu’un type ait tiré au bazooka sur une prison sans tirer la police de sa torpeur. Dans quel monde vivaient Kast, Claude de Givray son co-scénariste, qui ne paraissent pas savoir qu’un inculpé peut demander un avocat et qui inventent des péripéties inutilement tortueuses ? J’aimais bien Pierre Kast , homme intelligent, cultivé mais qui ne semblait pas avoir le sens de la mise en scène dès qu’il sortait des délicates broderies sentimentales comme LA MORTE SAISON DES AMOURS, son chef d’œuvre. Aucun sens de l’espace, découpage consternant. Il avait déjà copieusement loupé un film historique napoléonien, toujours tourné au Portugal. Musique jazzy d’Antoine Duhamel qui n’a rien à voir avec la dramaturgie du film. Elle s’ébat dans un univers parallèle sans paraître concernée par ce qui se passe.

FILMS NOIRS

Sidonis vient enfin de sortir des films noirs que l’on ne trouvait que dans un énorme coffret avec un ouvrage indispensable de Patrick Brion.
Certains bénéficient de masters Haute définition comme l’excellent MIDI GARE CENTRALE de Rudolph Maté. Le très bon scénario de Sydney Boehm (impossible de trouver le moindre interview de ce scénariste souvent habile et talentueux) améliore, dynamise la longue nouvelle de Thomas Walsh, remplaçant le petite garçon kidnappé par une gamine, ce qui est nettement plus fort. Les personnages de policiers sont bien écrits avec parfois une vraie dureté, un Barry Fitzgerald débarrassé de tout folklore irlandais et Lyle Bettger campe un terrifiant kidnappeur dont les échanges avec Jan Sterling sont mémorables. Maté et son chef opérateur sont inspirés par le décor de la gare de Los Angeles. Remarquable séquence de filature, tournée en partie à Chicago (il n’y a pas d’abattoirs à Los Angeles). Holden et Nancy Olson forment un couple charismatique.

Je trouve LE DESTIN EST AU TOURNANT de Richard Quine presque supérieur à DU PLOMB POUR L’INSPECTEUR (adaptant lui aussi un ouvrage de Thomas Walsh). Mickey Rooney est formidable d’énergie, de vulnérabilité, de tendresse et Dianne Foster, bien dirigée par Richard Quine, évite pas mal des clichés qui auraient pu plomber son personnage. Comme l’écrit JamesDomb dans Homepopcorn.fr Rooney « est merveilleux dans Drive a Crooked Road, jouant habilement avec son image puisque son personnage est sans cesse rabaissé et sa petite taille moquée par ses collègues. Visiblement très mal dans sa peau, timide, complexé, le visage barré d’une cicatrice, renfermé sur lui-même et vivant chichement dans une chambre de bonne qui se résume à un lit de fortune, une salle de bain minuscule et quelques coupes gagnées lors de compétitions automobiles, sa seule et grande passion, Eddie est un homme très malheureux. Sa rencontre avec Barbara (superbe Dianne Foster, vue dans Le Souffle de la violence – The Violent Men de Rudolph Maté) bouleverse alors son quotidien, surtout que la jeune femme semble être inexplicablement attirée par lui. Aurait-elle quelque chose à cacher ? » Un grand film resté longtemps inédit.

WESTERNS

J’ai enfin vu INDIAN UPRISING (LES DERNIERS JOURS DE LA NATION APACHE chez Warner Archive) de Ray Nazzaro dont la bande annonce et l’affiche m’avaient fait rêver en 1953 ou 54. Les 20 premières minutes témoignent de certaines recherches visuelles rares chez ce cinéaste, de mise en scène, d’un sens du rythme : extérieurs bien choisis et filmés, cadrages dynamiques (caméra au ras du sol, entrées de champ brutales). Ces qualités persistent mais de manière plus lâche par la suite qui décalque souvent de manière éhontée John Ford, reproduisant avec moins de moyens et de style l’embuscade de FORT APACHE, reprenant le personnage du sergent irlandais (ici Joe Sawyer) et copiant la dramaturgie (le colonel borné qui, seule originalité, reste con jusqu’au bout). La bataille est filmée de manière erratique et on semble traverser les lignes indiennes avec une facilité stupéfiante. Certains rebondissements paraissent approximatifs, comme hérités du serial (la flèche que Montgomery aurait du repérer tout de suite). L’interprétation est faible mais venant de quelqu’un que j’avais rayé comme Nazzaro et même si cela ne va pas loin, ces qualités constituent une mini- surprise. Oublions le SuperCinecolor et certaines transparences qui vont de pair avec les faiblesses dramaturgiques.

Sidonis a sorti en Blu-ray deux Hathaway essentiels : LE JARDIN DU DIABLE (superbe musique de Bernard Herrmann) dont la dernière réplique est anthologique et L’ATTAQUE DE LA MALLE POSTE où le père Hathaway me paraît plus inventif, plus concis, plus perçant dans son traitement d’un décor quasi-unique (un relais de poste dans les deux cas comme aussi dans l’excellent RELAIS DE L’OR MAUDIT) que Tarantino dans la deuxième partie des HUIT SALOPARDS.

  

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Mai
13

UN PETIT TOUR VERS L’ITALIE
ANNI DIFFICILI. C’est sous ce titre qu’il faut acheter le film de Luigi Zampa que je viens de découvrir dans une copie restaurée par la Cinémathèque de Milan en VO sous-titrée. Sous le titre français on a le droit à une version de LCV qui mélange des bouts en VO et en Version doublée. C’est une oeuvre passionnante qui traite de la montée, de la prise du pouvoir du fascisme sous un angle original, à travers des sous-fifres souvent suivistes fascinés, un héros hésitant que l’on force à s’engager. Bon nombre de notations sont âpres et percutantes et n’épargnent pas les puissants toujours du côté du manche. Zampa et Brancati montrent bien que la ferveur fasciste se nourrit souvent de principes irresponsables (la mère ou la fille du héros en sont des exemples parfaits) et aussi les profiteurs sournois qui retournent leur veste. J’ai adoré le Baron cauteleux et répugnant qui devient podestat puis retourne sa veste. Il y a des moments percutants : les deux plans du cheval blanc de Mussolini qui n’arrivera jamais à Alexandrie. Décrire cette horreur sur un ton qui parait léger est passionnant mais, comme le dit Tullio Kesich, en fait c’est un film profondément tragique. Là encore, plein de bonus passionnants dont une longue analyse des affrontements que provoqua le film, avec la commission de Censure et avec le parti communiste (Italo Calvino ne put jamais publier sa défense dans l’Unita où il disait que c’était le film anti-suivisme, moralement exemplaire). La bataille avec la Censure fut réglée par Andreotti qui défendit le film et avec le PC par Togliatti qui le jugea juste, ce qui fit changer d’avis les critiques du Parti. Un historien déclare que Zampa dont l’oeuvre est considérable a été brusquement oublié, rayé des mémoires : « C’était le héros des fins de films. Il avait un sens de la synthèse dramatique qui lui permettait de tout recentrer dans les dernières images. »

IL VIGILE (Tamasa), toujours de Luigi Zampa, démarre sur les chapeaux de Roue. Alberto Sordi, toujours avec la complicité de Rodolfo Sonego (que l’on retrouvait dans QUI A TUÉ LE CHAT), brosse de manière foudroyante un épouvantable fainéant, profiteur qui passe son temps à sermonner les autres, à leur expliquer comment travailler et se comporter, provoquant moult problèmes au passage. Dans la deuxième partie, les choses se tassent un peu, le propos semble plus contraint mais certaines séquences restent jubilatoires.

LE CHÂTEAU DES AMANTS MAUDITS (Gaumont collection rouge) sort hélas dans une copie non restaurée qui ne rend que faiblement l’éclat des couleurs, les audaces de certaines juxtapositions de teintes (le bleu et le doré), notamment dans la si belle (dans mon souvenir, la photo était de Gabor Pogany) séquence d’ouverture : cette poursuite par une nuit d’orage d’une jeune fille par deux groupes de cavaliers dans une forêt. Du coup, on fait plus attention aux raccords, à une direction d’acteurs primitive. Le scénario, je l’avais oublié, est co-écrit par Jacques Remy, le père d’Olivier Assayas.

On trouve enfin quelques films d’Antonio Pietrangeli dans un indispensable coffret (éditions seven7) consacré à ce cinéaste mort si jeune à 49 ans en 1968, aussi discret que raffiné. Ses œuvres tournent toujours autour d’héroïnes, de personnages de femmes maltraitées, exploitées, abusées par une société masculine. Pietrangeli ne cesse de dénoncer l’arriération mentale, morale de ses compatriotes, à travers des personnages provinciaux, souvent humbles. Il prend l’histoire de biais, sans aucun a priori idéologique, saisit au vol au moyen de transitions audacieuses avec une caméra qui scrute le paysage, le décor. Il faut absolument commencer par JE LA CONNAISSAIS BIEN où la sublime Stefania Sandrelli incarne une jeune fille de la Toscane qui va s’écorcher le cœur en poursuivant de vagues et illusoires rêves de grandeur à Rome. Elle veut, sans sembler trop y croire, devenir une star et se fait mener en bateau par des margoulins, humilier par des mufles. Elle est naïve, candide, d’un naturel optimiste et bienveillant. Pas farouche avec des hommes pourtant minables, elle refuse de coucher pour de l’argent. Cette chronique douce amère, traversée par des éclairs fulgurants, des juxtapositions de scènes et de plans qui vous prennent à la gorge, devient de plus en plus grave jusqu’à une conclusion d’une rapidité déchirante.

CONFESSION D’UN COMMISSAIRE DE POLICE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE (M6 Vidéo) est, avec EL CHUNCHO, l’une des grandes réussites de Damiano Damiani malgré l’emploi systématique du zoom. Ces deux films partagent, à travers les péripéties héritées du film de genre, la même approche analytique, dialectique ou chaque geste, chaque prise de position d’un des deux héros est systématiquement remis en perspective et par rapport à l’autre et par rapport au contexte social. Damiani s’intéresse aux facteurs endogènes du changement, c’est à dire ceux qui naissent du fonctionnement même de la société. Comme l’écrit Mailox dans Psychovision : « CONFESSION D’UN COMMISSAIRE DE POLICE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE reste à mon avis son meilleur. Il convient de préciser qu’on semble tenir là le premier film sans espoir aucun sur l’ascension mafieuse. Impasse et désespoir que l’on retrouvera d’ailleurs dans les deux autres films cités, dotés d’une fin laissant peu de place à l’éradication d’un système bien trop puissant pour être démantelé.
CONFESSION… est- il, à proprement parler, un film anti-mafia ? Eh bien pas vraiment, ou en tout cas pas seulement. Le réduire à cette simple charge ne serait vraiment pas lui rendre hommage […] tandis que Damiani livre ici un film bien plus riche en questionnements et thématiques, tout en surfant brillamment sur divers genres.
Soit, tout cela est très bavard, mais doté d’une tension qui ne se dément jamais. Ce ne sera pas forcément toujours le cas pour ses films suivants.
Difficile, voire impossible de faire appliquer la loi. Tout va dans ce sens au sein de cette excellence, en plus de retranscrire parfaitement la paranoïa d’une époque où l’Italie ne croyait plus en rien.
Les personnages du juge campé par Nero et celui du flic campé par Balsam servent finalement le même propos. Et ce à quoi on assiste, c’est un duel sans fin entre un juge ultra-légaliste, qui croit encore que la justice, telle qu’elle est faite, peut éradiquer la vermine ; tandis que de l’autre, Bonavia a perdu toute illusion depuis bien longtemps. Poursuivant néanmoins un but commun, jamais ils ne parviendront à s’entendre. Ils sont emblématiques de deux visions opposées de la justice. Sauf que l’un est encore dans la théorie, l’autre est depuis longtemps dans la pratique.»

  

J’avais redécouvert Alessandro Blasetti avec le très réjouissant DOMMAGE QUE TU SOIS UNE CANAILLE. AMOUR ET COMMÉRAGES (dans la même collection chez SND) renforce encore cette impression. Cette comédie incisive trace un portrait décapant du chef de l’opposition dans une mairie conservatrice qui, une fois au pouvoir, va pactiser avec l’industriel qu’il dénonçait à grands coups d’envolées lyriques. Vittorio De Sica est délectable dans ce personnage qui tente de se rassurer avec ses tirades, de dissimuler ses lâchetés sociales et familiales (la manière dont il traite son fils) et Gino Cervi, comédien remarquable, inspiré lui offre un partenaire de choix. Carla Gravina est délicieuse en fille de balayeur qui fait resurgir tous les préjugés de classe de De Sica et met à mal son engagement progressiste. En France ce personnage serait un des chefs de file du PS. Je vais voir dans la foulée LA CHANCE D’ÊTRE FEMME. On trouve dans la même collection MARITI IN CITTA de Comencini et une Germi dont j’ignorais l’existence, MADAME LA PRÉSIDENTE d’après un vaudeville de Hennequin et Weber, auteurs peu alléchants.

QUELQUES FILMS AMÉRICAINS TRÈS RARES

SORTIES 3D

  

Kino Lorber continue à sortir des DVD en 3D qui avaient totalement disparu du commerce. Chaque galette contient aussi une version 2D et les restaurations sont splendides. Hélas pas de sous-titres. Je ne sais plus si j’avais signalé le très agréable JIVARO d’Edward Ludwig, film d’aventures joliment colorié (les chemises et cheveux de Rhonda Fleming sont un délice) où le relief était très bien utilisé pour augmenter la profondeur de champ, donner du poids au décor (une chambre, un bar) et renforcer un coup de théâtre (la première apparition d’un crane réduit). SANGAREE, toujours de Ludwig était beaucoup plus conventionnel et languissante et THOSE READHEADS FROM SEATTLE, une comédie musicale assez débile se déroulant dans un Klondyke en toiles peintes.

  

THE MAZE de William Cameron Menzies, immense décorateur (LE VOLEUR DE BAGDAD de Walsh, AUTANT EN EMPORTE LE VENT, LE LIVRE NOIR d’Anthony Mann) bénéficie de critiques louangeuses sur le net. Cela m’a paru pourtant terriblement cornichon, affreusement éclairé, avec un monstre vaguement batracien vraiment ridicule. J’ai enfin pu voir cet ovni qu’est CEASE FIRE (CESSEZ LE FEU) de Owen Crump (pas d’autre long métrage au compteur), sorti au Napoléon, produit par Hal Wallis. Cela raconte une dernière patrouille lors du dernier jour de la guerre de Corée, tourné sur les lieux de l’action (en fait à quelques kilomètres de la ligne de feu apprend-on dans les commentaires) avec de vrais soldats et non des acteurs. Pour des raisons totalement énigmatiques, ce sujet peu spectaculaire, sans vedette avec juste une scène de combat à la fin fut tourné en 3D. On amena donc plusieurs cameras en Corée pour un résultat assez plat, sans jeu de mots. Plusieurs plans très simples dégagent une véritable authenticité et les extérieurs sonnent justes. Ils ressemblent d’ailleurs à ceux de COTE 465 et on se demande si Yordan producteur ne s’est pas inspiré de ce film. Le propos est alourdi par une introduction hyper patriotarde d’un général (on a droit à deux versions) et une musique et une chanson horribles de Dimitri Tiomkin.

FILMS CLASSIQUES
Toujours chez Kino Lober, il faut éviter le désastreux A BULLET FOR JOEY du calamiteux Lewis Allen où on a l’impression que Edward G. Robinson est vraiment heureux quand il sort d’une pièce et termine une scène. Il donne l’impression d’avoir voulu se débarrasser d’un dialogue pourtant signé par Bezzerides et Daniel Mainwaring. J’ai de loin préféré FOXFIRE de Joseph Pevney, un mélodrame racial où la riche et gâtée Jane Russell, une mondaine new-yorkaise, doit apprendre à pactiser avec la culture apache de son mari à demi-indien (Jeff Chandler bien sur). Le Technicolor resplendissant de Charles Lang et un nombre important d’extérieurs enracinent ce mélodrame aux accents sirkiens (durant le générique un plan évoque irrésistiblement l’auteur d’ECRIT SUR LE VENT) et au générique ponctué d’une chanson de Henry Mancini (lyrics de Jeff Chandler qui la chante sans être crédité). On peut aussi trouver chez Kino, FEMALE ON THE BEACH, toujours de Pevney avec toujours Jeff Chandler. Jacques Audiberti, ce me semble, en parla en bien dans les Cahiers du Cinéma.

Chez Warner Archive, il faut se ruer vers THEY WON’T FORGET de Mervyn Le Roy, une des plus cinglantes dénonciations d’une justice biaisée et du lynchage qui s’ensuivit dans une ville du Sud minée par le racisme. Robert Rossen s’inspira pour son brillant scénario d’une histoire vraie. La Censure lui interdit de retenir tout l’arrière plan antisémite et il dut jouer sur le ressentiment anti-nordiste. Malgré ces manques, son scénario analyse de manière cinglante comment se crée une erreur judiciaire. Mervyn Le Roy découvrit durant le tournage Lana Turner dont l’apparition et les scènes sont sensationnelles. Elle a 16 ans, mâche du chewing-gum et rien qu’en marchant allume toute une rue. Mais il sait aussi filmer un lynchage surprenant en quelques plans. Il ne faut pas manquer ce film trop oublié.

MISTER 880 (Fox Archive,  sans sous-titres) est une comédie dramatique écrite par Robert Riskin assez placide et aseptisée malgré une bonne interprétation notamment de Dorothy McGuire et surtout de Edmund Gwenn, délicieux en faussaire qui ne fabrique que des faux billets de 1 dollar, ultra grossier, juste pour subvenir à des besoins urgents. Durant la scène de procès, on retrouve le ton de Riskin, mélange de comédie sociale (c’était un démocrate convaincu), de conte de fée et de mélodrame. Le propos devient sérieux, sombre et assez original. Il faut absolument revoir les grands scénarios de Riskin mis en scène de manière si étincelante par Capra : NEW YORK MIAMI, AMERICAN MADNESS, LADY FOR A DAY, L’EXTRAVAGANT MR DEEDS, PLATINUM BLONDE et lire le beau livre de Victoria Raskin sur son père et sa belle histoire d’amour avec Fay Wray (Panthéon Books New York).

  

Chez Rimini, CAGLIOSTRO de Ratoff est une adaptation assez extravagante et pas trop fidèle de Dumas (Dumas fils est joué par Raymond Burr !!) avec des passages divertissants mais Welles a-t-il pris en main la mise en scène comme le disent certains (qui citent à tort JOURNEY INTO FEAR), il est permis d’en douter. Alexandre Vialatte écrivit une critique très amusante, s’attardant sur le duel final hautement improbable, frôlant la parodie, sur un toit, avec un des combattants qui se cache les yeux pour ne pas se faire envoûter. Le travail de Ratoff est imperturbable et dénué de tout style.

La version des MISÉRABLES (Rimini) de Lewis Milestone contient de fort beaux plans notamment durant les scènes de tribunal avec l’ombre de la balance de la justice se détachant sur le mur ou un immense Christ surplombant le juge durant les interrogatoires de Champmathieu, l’attaque des barricades en montant cut une série de travellings ou quand Valjean se fait expulser de tous les villages. Milestone fignole de des gros plans très dramatiques, de beaux mouvements d’appareil durant les séquences de galère car le scénariste Richard Murphy prend le mot galérien au pied de la lettre et fait ramer les convicts alors que les galères ont été supprimées depuis près de 52 ans et remplace Toulon par Marseille. Scénaristiquement, cette adaptation est d’ailleurs très faible, inférieure à L’EVADÉ DU BAGNE de Freda et surtout à celle de Raymond Bernard. Les Thénardier passent à la trappe tout comme les 3 évasions de Valjean, Gavroche, Fantine n’est plus prostituée et ne vend plus ses cheveux et ses dents. Elle enfreint juste le couvre feu et se dispute avec un bourgeois. L’’émeute éclate on ne sait pourquoi (plus d’enterrement du général Lamarck ni de mouvement révolutionnaire), les rapports entre Javert et Valjean sont très édulcorés et simplifiés au profit de la romance mollassonne entre Marius et Cosette (Cameron Mitchell et Debra Paget, fort ternes tous les deux). De Milestone mieux vaut revoir LE COMMANDO DE LA MORT (il existe enfin une version restaurée de WALK IN THE SUN), DES SOURIS ET DES HOMMES, voire même OKINAWA dont les qualités plus discrètes rendent le film plus attachant que dans mon souvenir. Milestone fut une des victimes rarement évoquées de la Chasse aux Sorcières.

OLIVER STONE
Il ne faut pas manquer la passionnante série qu’Oliver Stone à consacré à l’Histoire politique de son pays,&sorti dans un coffret avec sous-titres et dans une version papier, uniquement en anglais, passionnante jusque dans ses excès polémiques, des parti pris souvent un peu trop binaires et rapides. Stone n’est pas Marcel Ophüls. Il préfère foncer dans le tas. Le mot « inconnu » (« untold ») n’est pas mis là pour promettre des révélations incroyables mais pour dénoncer la manière dont on enseigne l’Histoire aux USA, de l’école à la télévision commerciale, dont on oublie des pans entiers. Cette mini-série met justement en lumière les souffrances effroyables subies par la Russie durant la Seconde Guerre Mondiale, l’héroïsme de l’Armée Rouge, sujets très sous-estimés, voire occultés en Amérique, tout en pointant les erreurs catastrophiques de Staline, son élimination des principaux généraux, et en dénonçant les crimes commis en Ukraine. Peut être accepte-t-il trop facilement ses explications pour justifier le pacte germano-soviétique. Stone oublie aussi la manière dont le parti communiste a éliminé les anarchistes en Espagne et favorisé l’accession au pouvoir d’Hitler. De Gaulle est quasi absent et le passé meurtrier de Khrouchtchev en Ukraine occulté. On est parfois submergé par l’avalanche de faits souvent passionnants, par le morcellement du montage et la voix un peu monocorde de Stone qui tient à dire que c’est sa vision. S’il loue FDR (tout en notant son refus d’accueillir des juifs), notamment pour sa détermination à imposer Henry Wallace aux caciques du Parti Démocrate, il n’a pas de mots trop durs contre Truman, ignorant, raciste (il écrit à sa fiancée que les nègres sont fait de boue et les Chinois avec ce qui reste), n’écoutant que ses conseillers militaristes, qui décida cyniquement (cela ne servait militairement à rien selon Stone) de larguer les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, pour damer le pion aux Soviétiques qui envahissaient la Mandchourie, donna le feu vert au maccarthysme. Tout cela est juste mais on oublie que Truman fut le premier président à faire du lynchage un crime fédéral (FDR n’avait pas réussi, bloqué par un sénateur sudiste qui devient l’inspirateur de Truman,) et à lancer une action pour les droits civiques. Et contrairement à Staline ou à Mao, il ne créa pas de goulag. Stone, lui, prend parti pour Henry Wallace, le dernier vice-président de Roosevelt, qui selon lui aurait infléchi le cours de l’Histoire mais qui fut d’abord vaincu puis éliminé par Truman. Stone est impitoyable sur la politique extérieure de Nixon, tout en pointant quelques mesures intérieures positives mais se montre encore plus sévère sur Eisenhower, Reagan, Clinton et Obama. Il sauve la dernière partie du mandat de Kennedy et son courage durant la crise des missiles quand il tint tête à tous les chefs militaires, grâce aussi à Khrouchtchev. Pour vous Rouxel, cela vaut mieux que certains nanars chers à votre coeur.

REDFORD
Ces derniers temps, je me suis penché sur l’œuvre de Redford réalisateur. J’ai revu plusieurs de ses films qui tiennent le coup, même si la mise en scène parait parfois (trop?) classique. Elle ne gomme jamais les aspérités du sujet, l’originalité réelle des thèmes, souvent très personnels, et des angles. Le découpage traditionnel n’étouffe jamais le propos et ne l’aseptise pas. Il faut dire que Redford témoigne d’une attention envers ses personnages (et les acteurs qui les incarnent) qui préserve leur mouvement intérieur. Il les regarde avec une impartialité analytique et comme détachée qui surprend et détonne dans le cinéma américain actuel. QUIZZ SHOW, l’une de ses meilleures réussites (hélas uniquement trouvable en zone 1) délivre une morale des plus amères qui bat en brèche, sans ostentation, tous les archétypes dramaturgiques et idéologiques à la Frank Capra et n’offre aucune porte de sortie facile. Relisez la critique de Todd McCarthy et du Guardian.

  

LA CONSPIRATION dont j’ai déjà parlé ici malgré quelques scènes engoncées aborde un sujet rebattu de manière très originale. Cette enquête sur l’assassinat de Lincoln déboucha sur un procès inique qui renvoie directement à la manière dont le gouvernement Bush piétina les lois et la Constitution soi disant pour combattre le terrorisme. Ce procès d’une femme (Mary Surrat remarquablement incarnée par Robin Wright) fut un scandaleux déni de justice comme le soulignent ses deux avocats, le Sénateur Johnson du Maryland (brillante interprétation de Tom Wilkinson) et Frédéric Aiken, jeune avocat nordiste dont la conduite fut héroïque durant la guerre. Il est d’abord très réticent à défendre une éventuelle complice de l’assassinat de Lincoln mais sera peu à peu touché par sa cliente.

ORDINARY PEOPLE m’a paru meilleur, plus complexe que lors de la première vision et beaucoup moins explicatif. On assiste plutôt à une suite de dénis, de refus d’appréhender la réalité.

  

Dans AU MILIEU COULE UNE RIVIÈRE, pari hyper audacieux que d’adapter ce très court et génial roman qui mêle la voie du Christ et la pèche à la mouche, Redford semble avoir choisi Brad Pitt pour le rôle de Paul (un choix d’ailleurs excellent) parce qu’ils ont des points communs — sans parler de la ressemblance étonnante de l’acteur avec le cinéaste jeune. Et avec lui, il capture l’essence du livre et en restitue la grâce secrète et l’émotion. Redford, avec la complicité de Philippe Rousselot, réussit à capter toute une gamme de réactions complexes – gestes d’affection réprimés, rivalités, brusques élans retenus, petites déceptions poignantes, sentiments indicibles – qui respectent et traduisent la mystérieuse force émotionnelle du roman. Ce film prolonge ces chroniques provinciales chères à Henry King ou Clarence Brown, leur donne une nouvelle jeunesse, une nouvelle vie.

CINÉMA RUSSE
REQUIEM POUR UN MASSACRE est une œuvre terrible, un coup dans l’estomac. On est broyé devant cette découverte progressive, à travers les yeux d’un enfant, des horreurs commises par les Nazis, la manière dont ils rasent ces villages, anéantissent la population, que Klimov restitue dans des plans très longs, souvent en mouvement, magistraux.

J’ai été un peu moins convaincu par son RASPOUTINE (L’AGONIE) même si l’interprétation d’Alexei Petrenko est inoubliable. Il faut le voir rentrer à quatre pattes dans un ministère, se rouler sur le sol, sauter sur toutes les femmes, prédateur sexuel en folie. On a un peu de mal à comprendre l’ascendant qu’il exerçait sur le tsar, via sans doute son épouse.

L’ASCENSION (Coffret Klimov chez Potemkine, copies restaurées) réalisé par sa femme Larissa Chepitko est tout aussi violent, aussi âpre et rigoureux que REQUIEM dont il constitue une sorte de double inversé et en noir et blanc. L’histoire étant racontée du point de vue de partisans qui se font massacrer et dont certains vont trahir. Pour respirer, mieux vaut se plonger dans AILES belle et sensible réussite de Chepitko, hélas disparue prématurément nous privant d’un regard passionnant.

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