L’IMAGE MANQUANTE est un choc. Me frappe une fois encore la dignité, la retenue du regard de Rithy Panh. Et cette idée miraculeuse d’évoquer par des figurines ces images qui manquent, cette mémoire qu’on a voulu occulter, bafouer avec la complicité de quelques beaux esprits et journalistes européens. A voir absolument. Complément indispensable à S21.
Je profite de la sortie du dernier film d’Hiner Saleem, MY SWEET PEPPER LAND, qui m’a un peu déçu, avec quelques passages réjouissants, malgré (ou à cause) de ses références westerniennes qui m’ont semblé scolaires, pour rappeler ses précédentes œuvres dont le ton est assez unique, VODKA LEMON et SI TU MEURS JE TE TUE.
De même la sortie des TROIS SŒURS DU YUNNAN de Wang Bing m’a fait réaliser que je n’avais jamais mentionné À L’OUEST DES RAILS, un des films les plus étonnants, les plus passionnants de ces dernières années.
On a beaucoup dit qu’ÉPOUSES ET CONCUBINES (très beau Blu-ray) de Zhang Yimou était un film académique. Il est vrai que tous les plans sont tirés au cordeau, centrés, composés avec un soin infini, parfois pesant. Mais la réalité est plus complexe. On peut aussi y voir le désir du metteur en scène de restituer visuellement un ordre hyper ritualisé, où tout semble prévu, ordonné, dirigé d’une main de fer. Le tout dans un décor épuré, géométrique, qui ne laisse aucune place à l’improvisation et au désordre. Les personnages doivent s’asseoir là ou c’est prévu et les cadrages entendent capter le poids de tout ce système. Et à l’intérieur de cet ordre, Zhang Yimou se permet des audaces qui le perturbent : des personnages sont exclus du cadre (la belle mère qui scelle le sort de l’héroïne), le maitre des lieux est le plus souvent filmé de loin ou de dos. On ne nous montre pas vraiment son visage, audace discrète et payante. Ce sont les victimes qui ont droit au gros plan. La mise en scène se contente de l’intégrer au décor sans lui donner de substance charnelle. Il n’est en fait que l’exécutant quasiment anonyme d’un système oppressif. Et je suis toujours touché par la découverte progressive des différentes maisons, des terrasses. Il y a là quelques plans larges de toute beauté, quand la troisième épouse chante sur les toits.
J’ai été plutôt déçu par THE MURDERER de Hong-jin Na qui m’a paru en retrait sur THE CHASER, après un bon début. L’action s’embourbe dans des poursuites interminables où l’on brise des centaines de vitres, qui deviennent de plus en plus invraisemblables. L’accumulation des morceaux de bravoure étouffe la tension.
Et comme le rappelait Ballantrae, on peut trouver chez Bach films en complément de HAMLET de Kozintsev (l’une des plus belles adaptations de la pièce avec celle de Laurence Olivier), LA CHUTE DE SAINT PETERSBOURG (sans la partition d’origine de Chostakovitch je crois) co-dirigé comme LE TRAIN MONGOL avec Trauberg, DON QUICHOTTE qu’il réalise seul comme LE ROI LEAR.
FILMS FRANÇAIS
J’ai revu avec un réal plaisir le POIL DE CAROTTE, version parlante de Julien Duvivier. On est saisi par la beauté de certaines idées de mise en scène, certains raccourcis fulgurants. Une manière aussi d’intégrer la nature au propos, dans les quelques rares moments de paix (il y a de fulgurants travellings précédants ou suivants la carriole). Duvivier va souvent droit à l’essentiel, supprime les plans d’introduction, de description (l’ouverture est très forte) qu’affectionnent 90% des réalisateurs de l’époque. L’interprétation tenue, mesurée de Harry Baur, sa manière de parler bas, sans détacher les phrases, sans les projeter, de ne pas paraître écouter est d’une modernité absolue. En revanche comme souvent l’actrice qui joue Mme Lepic (Catherine Fonteney), effrayant personnage, souligne trop sa dureté, l’explique au lieu de la solder. Les gros plans renforcent ce défaut alors que dans certains plans larges, elle dramatise moins. Christine Dor est, elle, très juste, en Annette.
Il est regrettable que le CAFÉ DU CADRAN de Jean Gehret, en fait Henri Decoin, et LA FILLE DU DIABLE toujours de Decoin ne soient disponibles qu’en VHS. Le premier est une excellente chronique unanimiste, populaire, écrite par Pierre Bénard, le directeur du Canard enchainé, le second est un film étrange, noir, poétique qui commence par une étonnante scène de fusillade, une sorte de Fort Chabrol, sans pratiquement aucun dialogue. Puis le ton change et oblique vers une rêverie mélancolique sublimée par la présence d’Andrée Clément, actrice rare et émouvante. Magnifique musique, excusez du peu, de Henri Dutilleux (qui écrit aussi un petit air de jazz pour le CAFÉ DU CADRAN). Cela devrait suffire pour donner envie de voir ce film sur lequel Paul Vecchiali a écrit un beau et chaleureux texte enthousiaste.
J’ai revu avec un bonheur infini CASQUE D’OR, chef d’œuvre absolu. La concision dense de la mise en scène, son appréhension de l’espace (le décor du duel), la peinture très aiguë, sans clichés, sans commentaire du milieu des « apaches », des marlous et des prostituées (regardez comment Becker épingle le machisme des truands et regarde les femmes), le dialogue incroyablement épuré, net, précis, la rapidité de la narration (influence si bien assimilée du cinéma américain tout en gardant un regard français), tout cela en font un de mes films favoris. Très belle musique de Georges Van Parys. Dans un autre registre, RENDEZ-VOUS DE JUILLET possède des qualités identiques dans un registre en apparence plus léger.
Il est réjouissant de voir comment Guitry tord le cou à tant de clichés qui paralysent les biopics dans LA MALIBRAN. L’ouverture du film notamment est un triomphe d’invention, de légèreté, d’ironie souriante. Guitry atomise les points de vue, brise la narration avec une invention étonnante. Le plan ou Jeanne Fusier-Gir explique dans l’escalier qu’ils « percent le masque » est une merveille tout comme l’entrée de Guitry dans le film. Ce dernier interprète, fait assez rare, un personnage assez noir voire méprisable, maquereau, maitre chanteur. La scène où il est démoli par La Fayette est des plus réjouissantes.
Je crois n’avoir jamais dit tout le bien que je pensais de MAIGRET TEND UN PIÈGE de Jean Delannoy. A commencer par le scénario du au critique R.M. Arlaud, à Delannoy et à Audiard qui signe là d’excellents dialogues (la crise de colère de Maigret mais aussi des moments plus mesurés où affleurent le doute et l’émotion). Gabin campe un magnifique Maigret et cela dès le premier plan. Il nous fait comprendre par sa démarche, ses gestes, une façon d’entrer dans une cuisine, la fatigue du personnage, la manière dont ces meurtres l’atteignent. Delannoy utilise adroitement le décor, ces rues qui longent la place des Vosges. Très efficace reconstitution du Marais en studio avec une belle et originale utilisation de la musique de Paul Misraki : la chanson qu’on entend à la TSF et qui ponctue les errances d’un inspecteur et celles de l’assassin. Magnifiques interprétations de Jean Desailly, acteur simenonien par excellence et d’Annie Girardot.
Je vais aussi revoir MAIGRET ET L’AFFAIRE SAINT-FIACRE, histoire plus intime, voire quasi autobiographique de Maigret qui revient sur sa jeunesse et qui m’avait tout aussi plu en attendant un DVD du GARÇON SAUVAGE dont j’ai une bon souvenir.
A propos de Resnais, j’ai aussi revu STAVISKY que j’ai toujours trouvé sous-estimé même si le scénario de Semprun reste superficiel (le rôle d’Arlette n’est pas le mieux écrit). Il y a dans tout le film une élégance, une intelligence narrative. Une manière de sans cesse briser la chronologie. Belmondo est bien meilleur qu’on a voulu le dire mais la palme revient à Charles Boyer, formidable baron Raoul. Très belle musique de Stephen Sondheim et cela dès le générique avec ses pulsations. Très belle valse grinçante, une danse au dessus d’un volcan. Ce qu’est le film.
CINÉMA ANGLAIS
J’ai adoré CHAUSSURE À SON PIED de David Lean. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais voulu voir ce film. Ce qui était stupide. Il s’agit d’une des meilleures comédies de l’époque avec un Charles Laughton délectable, dans ses colères, son entêtement, ses injustices, son refus de voir la réalité. La vision des rapports hommes/femmes met à mal certains clichés qui encombrent le cinéma anglais. Ici les hommes sont montrés comme étant beaucoup moins intelligents, créatifs que les femmes même quand ils excellent dans leur métier. C’est en se mariant que John Mills évolue et prend de l’assurance. A noter que David Lean est sans doute le metteur en scène qui aura le mieux utilisé Mills à deux reprises, ici et dans LA FILLE DE RYAN.
On ne trouve, hélas, que des VHS de THE SPIDER AND THE FLY de Robert Hamer, œuvre perçante, aiguisée, ironique avec un élan romantique qui se cache derrière une narration rapide, un regard apparemment sceptique. Le début avec toute une série d’ellipses et de magnifiques plans de nuit (une des constantes de ce film) est foudroyant. Et la vision de Paris avec cette suite d’immeubles haussmanniens ou 18ème, fort réussie. Le scénario s’inspire je crois d’un fait divers qui s’acheva durant la guerre de 14. Un perceur de coffre fut engagé par le gouvernement pour dérober des papiers importants. Eric Portman est épatant dans le rôle de l’inspecteur qui cherche désespérément à coincer le cambrioleur (Guy Rolfe, le plus immense des acteurs britanniques dont le charme est sidérant). Nadia Grey fait de jolis débuts et le traitement de son personnage est exempt de toute misogynie comme toujours chez Hamer. A découvrir absolument.
Plusieurs des critiques français parlant de LA FOLIE DU ROI GEORGE (Koba) ne citent même pas le nom d’Alan Bennett le scénariste du film tiré de sa pièce. C’est pourtant lui qui impose ce regard acéré, décapant, ironique, cultivé sur cet épisode rocambolesque de l’Histoire de la monarchie anglaise. Quels que soient les mérites de la mise en scène très honorable de Nicholas Hytner, le ton du film est celui de Bennett, génial dramaturge dont j’ai vanté ici les magnifiques, drolatiques, poignants monologues de femmes (à ma connaissance il n’y a qu’un seul homme dans tous ces portraits) filmés par la BBC dans TALKING HEADS 1 et 2 (ils ont été traduits par Jean-Marie Besset sous le titre MOULINS À PAROLE et montés souvent au théâtre), le scénario de PRICK UP YOUR EARS de Stephen Frears. J’adore aussi son roman, LA REINE DES LECTRICES, désopilante apologie de la lecture avec une inoubliable ouverture durant laquelle la Reine Elizabeth demande à Nicolas Sarkozy ce qu’il pense de Jean Genet.
La FOLIE DU ROI GEORGE est un film merveilleusement écrit et dialogué (« il fait froid comme dans le museau d’un chien de chasse »), avec une intelligence, un sens du raccourci qui font mouche et donnent aux différents acteurs une partition éblouissante sur laquelle ils peuvent broder les variations les plus délectables : Nigel Hawthorne est bien sûr splendide mais on ne saurait oublier Ian Holm, Rupert Everett (Prince de Galles incroyablement maléfique), Helen Mirren (les rapports entre le roi George, le seul à n’avoir jamais eu de maîtresse, et la reine Charlotte sont particulièrement touchants). Aucune pesanteur idéologique dans cette description ironique, sceptique de la Monarchie, de l’étroit fossé qui oppose William Pitt à Fox, candidat réformateur qui veut abolir l’esclavage (ce qui ne soulève pas le moindre enthousiasme chez le prince de Galles). Tout d’ailleurs dans ce film paraît contemporain. Et le moment magique où Bennett fait se rencontrer l’Histoire au présent avec Shakespeare donne lieu à une séquence mémorable. Nicholas Hytner réussit son premier film même s’il veut trop parfois nous faire oublier les origines théâtrales dans une débauche de travellings et de très gros plans parfois insistants.
CINÉMA AMÉRICAIN
THE EAGLE de Clarence Brown (Bach films). Sans doute la meilleure adaptation du roman de Pouchkine (1841), supérieure même à la version de Freda (mais pas à LA VENGEANCE DE L’AIGLE NOIR). Le début, elliptique, rapide, avec de brillants travellings qui voit Dubrovsky sauver une jeune fille dont le carrosse s’est emballé, est éblouissant. Le film mélange avec brio durant la première moitié l’aventure, la romance et surtout l’humour (les scènes de séduction de la tsarine où les deux tourtereaux font semblant de boire l’alcool.). Il y a de nombreux détails charmants ou drolatiques (la réaction d’un témoin en fond de plan qui commente l’action). Et de jolies idées visuelles comme ce court travelling avant dépassant les personnages et avançant légèrement vers une fenêtre ou va poindre le jour. Sans oublier les moments d’action où l’on retrouve le Clarence Brown qui dirigeait de magnifiques de seconde équipe chez Maurice Tourneur : ainsi cette vision d’un carrosse sur une plage, se terminant dans les vagues, meilleure scène du guindé LORNA DOONE (DVD zone 1). Dans la deuxième moitié, le héros pris dans des quiproquos calqués sur ceux de Zorro paraît hélas un peu godiche et le film en souffre malgré une fin amusante.
Pour les amateurs d’histoires sentimentales, je recommande EVANGELINE (1929, Les films du Paradoxe), illustration soignée du poème de Longfellow (le chêne d’Évangeline est l’endroit où Bootsie et Dave Robicheaux scellent leur amour) et l’une des rares œuvres qui évoquent la déportations des Acadiens : l’intrusion des Anglais, les plans de la déportation même s’il édulcorent la réalité, ne manquent pas de puissance. Un film d’ Edwin Carewe qui signe là, la troisième version après celle de Walsh en 1919.
ABRAHAM LINCOLN (Bach Films). Ce film de DW Griffith, meilleur, moins statique qu’on a bien voulu le dire, contient même de fort beaux plans (le travelling d’ouverture, des plongées traduisant la solitude de Lincoln dans la Maison Blanche), des séquences de montage assez nerveuses très inspirées des photos de Matthew Brady et aussi une bataille maladroitement filmée. Le scénario n’évite pas les pièges du « biopic », certains acteurs surjouent et déclament (Una Merkel en Ann Rutledge dont la mort hélas n’est pas ellipsée). Mais Kay Hammond est crédible en épouse de Lincoln, E. Alyn Warren fort bon en Général Grant (étrangement on lui fait jouer aussi Stephen Douglas) et surtout Walter Huston est magnifique en Lincoln. Il donne une vérité profonde au film. On a retrouvé une séquence d’ouverture de quelques minutes décrivant la traite des esclaves avec une grande âpreté comme si DWG voulait revenir sur l’idéologie de Birth of a Nation.
Aux USA, j’ai pu revoir une magnifique copie 35 de PLATINUM BLONDE, un de mes Capra favoris, une des meilleures comédies de journaliste, écrite par le talentueux Jo Swerling avec la collaboration de Robert Riskin. On sent la patte de Capra dans le rythme, la manière de mettre en scène le dialogue, de lui donner une rapidité, une évidence, de faire en sorte qu’il propulse l’action. Une longue scène entre Robert Williams et Jean Harlow semble totalement improvisée. Il faut dire que Robert Williams qui, hélas, mourut quelques semaines après la sortie du film, était un acteur génial qui surclasse même Lee Tracy pourtant inoubliable dans ce genre de personnages. Loretta Young et Jean Harlow sont succulentes. Bref un régal.
Philippe Garnier m’avait donné envie de voir THE DOORWAY TO HELL (Trésor Warner, sous-titres) bien que le metteur en scène soit Archie Mayo, incarnation de la routine la plus plombante. Il faut dire que le film était tiré d’une nouvelle de Rowland Brown (en fait d’une pièce), ce fulgurant auteur réalisateur à qui on doit QUICK MILLIONS, HELL’S HIGHWAY et BLOOD MONEY, tous très durs à trouver en DVD : comme me l’écrit Garnier, « c’est vraiment le compagnon de QUICK MILLIONS, le même ton, le même humour laconique, le même rythme. Le flic joué par Kenneth Thompson (formidable) est un personnage de Rowland Brown. Pour une fois Mayo ne dirige pas comme s’il avait deux pieds gauches. Il y a de l’humour visuel aussi. C’est dur de dire ce qui est du à Zanuck ou à Brown qui travaillèrent main dans la main sur ce film, Zanuck revendiquant la majorité du scénario (l’écrivain crédité et un prête nom) mais on est dans le monde de Brown. On a pu dire que le film avait été coulé par le casting de Lew Ayres et c’est vrai qu’il n’est pas crédible en bootlegger atteint du complexe de Napoléon. Mais dans les moments tranquilles et à la fin, il est fort bon. » Que dire de plus, sinon qu’il y a quand même des scènes assez plates avec le petit frère du héros. L’ouverture avec ses ellipses est typique de Brown et toutes les séquences finales, le dialogue avec le jeune livreur de journaux, avec le flic (le personnage le plus original), ce dîner qu’on vient livrer en ajoutant qu’il est payé et que ce sera le dernier, méritent le détour. La toute fin qui se termine par un plan de la dernière page du livre qu’écrivait le héros, est étonnante.
THE LADY AND THE MONSTER est la première des adaptations du CERVEAU DU NABAB de Curt Siodmak. La copie de Loving the Classics est horrible et ne rend pas justice à la photo de John Alton que l’on devine spectaculaire. Il se permet même des audaces assez naïves comme de changer l’éclairage, la lumière chaque fois que le personnage de Richard Arlen est possédé par le cerveau de Donovan qu’Erich Von Stroheim a ranimé après la mort de ce dernier. La mise en scène de Sherman, plaisante, joue avec les ombres et l’espace, créant une tension surtout dans la première partie. Et cela malgré un scénario écrit à la serpe et surtout l’interprétation décalée, relativement absurde dans sa manière de dire les répliques, de Vera Rhuba Ralston.
Pour les amateurs de sérial, Roland Lacourbe présente la réédition de THE MIRACLE RIDER, le dernier film où joue Tom Mix. Le premier épisode très pro indien convoque Daniel Boone, Buffalo Bill, Davy Crocket qui, tous, tentent de protéger les Indiens. En vain. C’est un western moderne avec des touches de SF. Tom Mix ne manque pas de charme et d’une certaine vérité ce qui paraît surprenant vu les péripéties qu’on lui fait affronter.
Il ne faut pas manquer non plus en zone 1, TUMBLEWEEDS, le dernier vrai western de William S. Hart qui co-réalisa certaines séquences dont l’époustouflante « ruée vers l’Ouest », cette course au lopin de terre qui surclasse les séquences similaires des deux CIMARRON. C’est le grand moment de ce film qui contient des séquences très soignées, avec un souci de vérité cher à William S. Hart. Mais aussi deux ou trois séquences sentimentales ou explicatives très plates avec une fort mauvaise actrice. Pour une réédition en 1939, Hart fit ajouter un prologue très touchant où il parle de son amour pour l’Ouest et les cow-boys. Même l’emphase déclamatoire du ton est émouvante. Ce moment suffit à justifier la vision d’un film dont 40 minutes au moins sont remarquables.
THE MAN I LOVE de Raoul Walsh est un vrai chef d’œuvre dont l’intensité grandit. C’est aussi un film où tous les personnages d’hommes sont faibles, mesquins, velléitaires. Certains sont malades ou blessés. Démunis en tout cas face aux femmes beaucoup plus actives (dans le bien comme le mal). Qu’il s’agisse d’un musicien (étrange choix de le faire jouer par Bruce Bennett, assez payant), d’un truand misérable (Alan Alda). Voir la manière dont Ida Lupino désarme le mari qui veut abattre un gangster et le gifle plusieurs fois, Ida Lupino, magnifique, déchirante qui chante « The Man I love » d’une façon inimitable.
Le charme de THE MASK OF DIMITRIOS opère toujours à chaque nouvelle vision. Bien que le scénario de Frank Gruber ne tire pas le maximum du roman d’Eric Ambler. Il préserve néanmoins certains dialogues délectables : toutes les scènes savoureusement cyniques avec un excellent Victor Francen qui joue ironiquement avec tous les clichés que trimballe son personnage. Et surtout les séquences qui opposent un Peter Lorre, remarquable en écrivain enquêteur qui préfigure le Joseph Cotten de THE THIRD MAN, à Sidney Greenstreet, l’inquiétant monsieur Petersen, lequel énumère constamment des maximes qui exaspèrent Lorre. L’une d’entre elles, qu’il cite plusieurs fois, ponctue sa sortie du film : « I told you sir, there is not enough kindness in the world. » (on la retrouve, via Wayne Shorter, grand cinéphile dans AUTOUR DE MINUIT). La mise en scène de Jean Negulesco brillante, inventive visuellement, avec de multiples plongées ou contre-plongées entraîne le récit à l’écart du film noir typiquement américain, lui donne une saveur plus européenne, un côté Mitteleuropa qui préfigure Carol Reed et le Welles d’Arkadin. L’écrivain enquêteur, restitué avec une grande finesse par un Peter Lorre très attachant, est l’antithèse des héros habituels et ses séquences avec le formidable Sidney Greenstreet ont une saveur tout à fait unique, à part dans la filmographie de ce duo stupéfiant. On sent que Dimitrios est en fait un personnage malléable, sans existence réelle, qui semble chaque fois recréé par ceux qui l’emploient et qu’il imite, idée passionnante. Séquence très marrante de filature dans le métro parisien (Ballard est écrit avec deux l) où le portillon automatique est remplacée par une grille.
THE THREAT de Felix Feist est un film noir tendu, hyper violent qui donne un de ses meilleurs rôles à Charles McGraw en gangster assoiffé de vengeance qui kidnappe le flic et le magistrat qui l’ont envoyé en taule. A ne pas manquer.
Rappeler que Feist avait réalisé, vu aussi à la Cinémathèque, THE DEVIL THUMBS A RIDE que l’on ne trouve qu’en VHS, hélas, qui nous offre comme dans les deux autres meilleurs Feist (THE THREAT et TOMORROW IS ANOTHER DAY) un personnage de méchant mémorable joué par Lawrence Tierney. La tension du film vient moins de ce qu’il fait (un meurtre au début) que de ce qu’on pense qu’il peut faire. On se dit tout le long que l’explosion va être imminente et terrible. La violence, on la sent quand il saoule le veilleur de nuit et là encore, on sait que cela pourrait être pire. La description des policiers n’est pas trop mal venue, exempte de tout prêchi-prêcha et le personnage du jeune pompiste qui se révèle un formidable joueur de poker est plutôt réjouissant. Le dernier quart est moins tenu et la distribution donne de vrais signes de faiblesse. A noter que le criminel n’est pas abattu par le flic qui le pourchasse. Feist signe le scénario et la photo est de Roy Hunt.
Ce film a fait l’objet d’une étude de la part du romancier Barry Gifford, THE DEVIL THUMBS A RIDE AND OTHER UNFORGETTABLE FILMS. Dans ce livre, il qualifie BLUE VELVET de « pornographie académique », ce qui est marrant vu que Lynch adaptera un de ses livres qui deviendra le magistral SAILOR ET LULA. Tous deux collaboreront sur THE LOST HIGHWAY.
4 TUEURS ET UNE FILLE est un agréable western dont j’avais surtout apprécié la première partie et le charme gracile de Colleen Miller. Mais il y a quelques touches bienvenues quand les personnages entrent dans la petite ville (décor Universal ultra classique), un ou deux mouvements de grue assez habiles.
LE FIER REBELLE fut aussi une jolie découverte bien que le DVD sorti par Artus ne rende pas justice à la photo de Ted McCord qu’on devine beaucoup plus belle. On retrouve l’art du découpage qu’avait Curtiz, la façon de jouer avec l’espace, de privilégier des plans larges avec des amorces décadrées, l’utilisation des courtes focales et de la caméra basse. Olivia de Havilland donne une grande vérité, une dignité à un personnage qui aurait pu rester conventionnel et on sent une véritable alchimie entre Alan et David Ladd ce qui décuple la force de cette histoire sentimentale et touchante. Harry Dean Stanton (crédité Dean Stanton) est excellent tout comme Dean Jagger en méchant.
LE SANG DE LA TERRE de Marshall est catalogué comme un « AUTANT EN EMPORTE LE VENT du pauvre » avec une distribution moins éclatante. Il vaut mieux que cela : bien photographié par Lionel Lindon et Winton Hoch, il frappe par ses notations idéologiques plus subtiles. Contrairement à son modèle et à la majorité des films, il n’est pas pro-sudiste. Certains confédérés sont même odieux et se comportent mal (le fiancée de Susan Hayward). Le personnage de Van Heflin, moins flamboyant que Gable, est plus nuancé et il n’incarne pas les valeurs du Sud (il dénonce les propriétaires d’esclaves parmi lesquels son père). Susan Hayward s’ingénie à calquer Vivien Leigh ce qui n’est pas toujours heureux. Mais il y a des péripéties curieuses : ce désir qu’incarne Ward Bond (remarquable) de créer une zone neutre qui ne se soumette ni à l’Union ni aux Confédérés, ce qui les amène à se battre contre ces derniers. Mise en scène classique, parfois routinière, parfois plus exigeante (plans plus longs que d’habitude) de Marshall, certaines des qualités devant être portées au crédit du producteur Walter Wanger.
Je n’ai jamais compris pourquoi THE BLOB (DANGER PLANÉTAIRE) était un film culte au point que Criterion l’avait sorti. Oui, il y a Steve McQueen, qui cabotine et dans certains plans ne sait pas quoi faire mais qui s’en sort grâce au charme, pas totalement étouffé par une photo hideuse et un maquillage trop épais. Le film est bariolé en couleurs flashy (ce qui a du plaire), tourné avec un amateurisme consternant, aussi mal écrit que joué. Je préfère de loin les deux autres réalisations d’Irvin Yeaworth, LES MONSTRES DE L’ÎLE EN FEU et THE 4D MAN dont j’avais dit du bien. Il avait tourné des films religieux avec message social avant de se lancer dans la SF pour revenir ensuite à ses premières amours. Il tourna THE BLOB pratiquement dans sa cour en Pennsylvanie et n’était pas du tout fier du résultat. Il avait raison.
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