JULIEN DUVIVIER
Je tiens PANIQUE pour un chef d’œuvre qui figure avec LA BELLE ÉQUIPE, VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS, LE PAQUEBOT TENACITY, LA FIN DU JOUR dans le Panthéon de Duvivier et du cinéma français. J’oubliais LA TÊTE D’UN HOMME. Il faut saluer dans PANIQUE la magistrale utilisation du décor, avec un sens de l’espace inouï, une manière de jouer sur les perspectives, les diagonales qui laisse pantois. Le propos est âpre, dur envers une France veule où les honnêtes gens sont prompts au lynchage (il y a un boucher poujadiste de la plus belle eau et une prostituée forcenée). Seuls émergent le policier mais qui semble débordé dans les séquences finales et un peu le propriétaire du bistrot. Viviane Romance (remarquable) est moins garce que dans LA BELLE ÉQUIPE. Ce qu’elle fait est abject mais elle le fait par amour (pour l’horrible Paul Bernard, le vrai coupable) et on sent affleurer chez elle des doutes, l’ébauche d’un remords. Très belle musique de Jean Wiener avec une chanson de Jacques Ibert qui écrivit une si belle musique pour GOLGOTHA.
LE DIABLE ET LES 10 COMMANDEMENTS est une œuvre finalement sous-estimée. Elle est inégale, le sketch avec Françoise Arnoul (certes qu’on voit nue de dos) et Micheline Presles est sans intérêt, celui avec Aznavour pauvre et le personnage de Michel Simon est terriblement répétitif. Les chutes sont faibles et le commentaire du Diable fort peu efficace. Mais Fernandel en Dieu est impayable (terrible conclusion, bêtasse), l’affrontement Darrieux/Delon royal et Louis de Funès casse la baraque en Suisse braqueur de banque, pendant que Roquevert, moment typique d’Audiard, est un flic qui regrette l’Occupation où on pouvait incarcérer les innocents sans problèmes. Ces trois histoires sont fort bien mises en scène et Duvivier dans la première réussit de jolis plans en prenant comme pivot les cornettes des sœurs.
Quelle meilleure manière de rendre hommage à Philippe de Broca que de revoir LE BOSSU, la meilleure adaptation du roman de Féval, avec des duels très bien réglés par Michel Carliez, Auteuil, Luchini et Vincent Perez éblouissants et de magnifiques dialogues de Jean Cosmos (le scénario est co-écrit avec Jérome Tonnerre et il propose des tas d’idées astucieuses). Marie Gillain est la meilleure Aurore de Nevers et Philippe Sarde a écrit une belle musique dans laquelle il glisse une des chansons du JUGE ET L’ASSASSIN, la Complainte de Bouvier.
UN DE LA LÉGION de Christian-Jaque est vraiment visible avec des passages vraiment marrants (Fernandel parlant de l’aérophagie et mangeant un œuf dur pour montrer ce qu’il faut faire). Le Vigan joue sérieusement et sobrement et le ton change brusquement. Vecchiali y voit un chef d’œuvre, un des plus beaux témoignages sur l’armée de métier et l’un des plus grands films de Christian-Jaque, un des seuls avec FANFAN LA TULIPE et LES DISPARUS DE SAINT-AGIL.
Il faut dire que l’œuvre de ce cinéaste contient un nombre impressionnant de ratages, de films désolants et pourtant il a toujours bénéficié d’une cote supérieure à celle de Decoin alors qu’il n’y a pas photo.
Il suffit de voir LA CHARTREUSE DE PARME, adaptation réductrice, vulgaire de Stendhal, qui supprime la bataille de Waterloo. Beaucoup d’acteurs sont mal dirigés et seuls Gérard Philippe et Maria Casarès parviennent à injecter un peu de dignité.
LITVAK
Je crois avoir dit tout le bien qu’on devait penser de CŒUR DE LILAS, film à la fois révolutionnaire et ancré dans une tradition bien française dont il devient un précurseur. On retrouve les mêmes qualités de mise en scène, la même sobriété narrative (la découverte des morts est toujours furtive et les conséquences considérables), la même élégance dans ces longs travellings, ces longs plans que citait Kazan dans ses mémoires. Le film me semble supérieur à LA PATROUILLE DE L’AUBE malgré Jean-Pierre Aumont, dans les scènes de combat, de guerre, de mess.
MAYERLING est tout aussi élégamment filmé. Vecchiali délire sur la scène de l’opéra, ma foi très brillante, mais je me demande si je ne préfère pas le long plan pendant lequel Darrieux, déjà sublime, monte l’escalier menant à l’appartement de Boyer.
En zone 1, chez Kino, on peut trouver THE LONG NIGHT, remake du JOUR SE LÈVE qui vaut mieux que sa réputation. On sent que Litvak et ses scénaristes (proches du PC) se sont posés des questions, ont trouvé des équivalences astucieuses (Fonda est un vétéran déçu de l’issue de la Guerre d’Espagne). Vincent Price n’est pas aussi fort que Jules Berry mais il est plutôt convaincant. Un film à découvrir.
Tout comme LA NUIT DES GÉNÉRAUX, au sujet assez passionnant, peut-être trop riche en péripéties (l’attentat contre Hitler est trop développé et nous éloigne du sujet principal). La deuxième moitié du film est même assez puissante, bien écrite par Kessel (c’est sa troisième ou quatrième collaboration avec Litvak) et une fois qu’on passe la barrière de l’anglais, Peter O’Toole est très terrifiant et Omar Sharif fort bon, de même que Noiret, mais là je ne suis pas objectif.
VERTIGES de Tourjansky a été une découverte. Cette première version de LA PEUR, adaptée par Kessel, ne pâlit pas face au Rosselini qui l’a injustement éclipsée. Gaby Morlay y est magnifique et Charles Vanel, une fois de plus sublime. Les scènes de chantage sont fortes et le travail de Tourjansky révèle une finesse, une acuité surprenante.
J’ai été très énervé par un paragraphe critique dans DVD CLASSIK sur LES MAUDITS où Clément est incorporé de force dans « la tradition de la qualité française ». « Par cette appellation, [François Truffaut] distingue un cinéma mis en scène de façon conventionnelle et sans réelle ambition. Un cinéma de studio, piloté par la production et l’écriture scénaristique. » Sans ambition, le cinéma de Clément et notamment LES MAUDITS, film incroyablement audacieux avec un seul personnage auquel on peut se rattacher, évoquant l’après-nazisme au moment où ce sujet est évacué par les Américains, obsédés par l’anticommunisme ? Sans ambitions, LA BATAILLE DU RAIL, MONSIEUR RIPOIS, JEUX INTERDITS ? En studio, ces films auxquels on peut ajouter PLEIN SOLEIL, AU-DELÀ DES GRILLES ? Je pensais que ces guerres de religion avaient cessé mais on trouve toujours des amateurs de vendetta qui s’y livrent sans savoir ce qui l’a déclenchée.
DOCUMENTAIRES
Trois documentaires français tout à fait remarquables : LA COUR DE BABEL, chaleureux, tendre, cocasse. Un hymne à ces enseignants qui parviennent à maintenir des oasis de vie, de liberté, de tolérance. L’humour, la bienveillance dont témoigne Julie Bertuccelli nous réconforte et nous rend meilleur.
LES CHÈVRES DE MA MÈRE vous accroche, vous prend le cœur tout autant que BOVINE. Cette dernière année que vit la mère de la réalisatrice qui est devenue éleveuse de chèvres en 68, est riche en péripéties, en moments drolatiques ou poignants. J’ai trouvé terrible la scène ou elle fait sa récapitulation de carrière et découvre la scandaleuse modicité de sa retraite. Quand elle murmure : « ça pour 39 ans de travail », on est pris à la gorge. J’espère que messieurs Le Foll, Macron et consorts sans oublier l’ineffable Moscovici, le ravi de la crèche qui donne des leçons depuis qu’il est à Bruxelles sur ce qu’il a raté à Paris, iront voir ce film et découvrir une réalité autre que celle des sondages et statistiques.
OF MEN AND WAR de Laurent Bécue-Renard est très impressionnant. Les témoignages qu’il fait affleurer (aucun voyeurisme, aucune extorsion), vous secouent. On vit avec ces soldats, on est au milieu d’eux, on est pris à la gorge. A l’origine, deux articles comme l’écrit L’Express : « L’un du Herald Tribune sur l’onde de choc provoquée par le retour dans sa famille d’un soldat américain blessé sur le front irakien, l’autre du Monde sur une mère qui s’était rendue à Bagdad pour dire à son militaire de fils de ne rien faire qu’il pourrait un jour regretter. « Son geste m’avait bluffé et j’ai eu envie d’aller la rencontrer. » Cette femme lui ouvre alors un nombre infini de portes et lui permet de faire connaissance avec d’autres soldats et leurs familles, des thérapeutes, des associations… « Je tirais les fils comme un journaliste, mais dans un but cinématographique. »
Et son sujet prend forme dès son premier voyage, grâce à sa rencontre avec un thérapeute qui travailla avec les vétérans du Vietnam et désirait voir construire un centre pour aider les soldats ayant combattu en Irak ou en Afghanistan. Après trois ans de lutte, le Pathway Home ouvre et Laurent Bécue-Renard s’y installe . »
La patience, la justesse du regard : comme on est loin de ces reportages qui cherchent la petite phrase, l’effet dramatique. Ces trois films me paraissaient plus originaux, plus forts que le Wenders sur le grand photographe Salgado qui a eu le César.
THE LAST DAYS IN VIETNAM de Rory Kennedy reconstitue de manière très émouvante, avec des documents incroyables (ces bateaux surchargés de réfugiés), des plans d’archive très émouvants (ces soldats sud-vietnamiens qui se déshabillent, ce vélo qu’on veut charger sur un bateau), les semaines précédant l’évacuation de Saigon par les américains en avril 75. Cette chronique retrace ce qui s’est passé après les accords de Paris, véritable marché de dupe, les Nord-vietnamiens étant visiblement résolus à s’emparer du Sud. Le film laisse entendre qu’ils vont déclencher leur attaque en profitant de la démission de Nixon dont la détermination leur faisait peur. Ce serait un des effets pervers du Watergate. Gerald Ford, malgré tous ses efforts, n’est pas à la hauteur et de plus le Congrès va bloquer toutes ses initiatives, les envois de troupes comme les demandes financières pour faciliter l’évacuation. Le film fait à travers toute une série de témoignages de soldats qui étaient en première ligne (garde de l’ambassade, officier chargé des contacts avec les Sud-vietnamiens) un terrible constat d’échec. Toutes ces années de guerre, ces incroyables dépenses militaires, tout ce sang versé pour aboutir à cette débâcle. Cette évocation fait apparaître plusieurs personnages de militaires américains et vietnamiens incroyablement touchants. Du côté américain, l’ambassadeur Martin interdit toute évacuation. Coincé dans un optimisme, un refus de voir la réalité, il bloque pendant des semaines toutes les décisions si bien qu’à la fin, il sera contraint d’adopter la pire des solutions. Certains militaires vont néanmoins enfreindre les ordres et vont évacuer des Vietnamiens vers les Philippines au risque de perdre leur poste (l’un d’eux est immédiatement renvoyé). On assiste ainsi à une série de petites actions généreuses, de petits gestes compassionnels qui vont sauver de nombreuses vies. Les différents témoins, américains et vietnamiens, racontent ces petits actes de décence ordinaire, simplement, sans forfanterie, sans se hausser du col. Ce qui augmente l’émotion malgré une musique trop présente.
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