LIVRES
Précipitez-vous sur le KONG de Michel Le Bris, évocation passionnante de la vie de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack à qui l’on doit KING KONG et les CHASSES DU COMTE ZAROFF, mais aussi deux extraordinaires documentaires muets qu’on trouve encore en DVD à des prix parfois hélas prohibitifs, GRASS et CHANG. Le premier est tout à fait fascinant. Il s’agit peut-être du plus grand documentaire muet, égal sinon supérieur à NANOOK. On a l’impression, justifiée quand on lit les pages formidables que lui consacre Le Bris, d’assister à la naissance d’un film, qui s’invente au jour le jour. Ce qui a été le cas. Schoedsack et Cooper étaient partis à trois, avec Marguerite Harrison, une espionne américaine, deux fois capturée par les Russes, deux fois sauvée. Ils sont confrontés à l’exode d’une tribu de 50 000 personnes qui franchissent des fleuves, gravissent une montagne de 3300 mètres, pieds nus dans la neige. On n’a jamais filmé avec la même intensité ce qu’était un exode. Et la musique qui accompagne ce film muet est magnifique. On apprend dans le livre que les deux plans où l’on voit les deux auteurs du film ont été rajoutés à la fin du montage, à la demande de Jesse Lasky et filmés en studio.
Et ce n’est qu’une petite partie de leur vie qui commence durant la première guerre mondiale, dans l’aviation (l’appareil de Cooper s’écrase et il a les mains brûlées), se poursuit en Pologne quand Cooper s’engage dans l’aviation polonaise en 1920 pour combattre les Russes tandis que son copain, rencontré sur un quai de gare à Vienne, travaille pour la Croix Rouge, assiste au massacre perpétré par les Turcs à Smyrne. Cooper sera fait prisonnier par les Russes, s’évadera. Après l’odyssée de GRASS, il entreprendront au Siam un film plus écrit, CHANG (la charge des éléphants bluffera les plus blasés).
Puis entre des centaines d’autres aventures, ce sera le combat pour imposer KING KONG qui est davantage le projet de Cooper tandis que ZAROFF est intégralement tourné par Schoedsack, l’un filmant la nuit, l’autre le jour. Cooper sera aussi un des fondateurs de la Pan Am, il dirigera dans des difficultés inouïes pendant un moment la RKO avant de s’associer avec Ford dans Argosy… Bonne lecture.
Autre ouvrage passionnant, PARIS ANECDOTE par Alexandre Privat d’Anglemont sur tous les petits métiers de Paris, de la fabrique de pipes culottées au Professeur d’Oiseaux ou au récupérateur de pains rassis et d’autres plus ou moins ragoutants (il y a de ces récupérations de nourriture qui entraîne des ragouts inouïs). C’est un régal, un enchantement.
Si vous n’avez pas encore dévoré tous les Sylvain Tesson, à commencer par DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE, plongez-vous dans SUR LES CHEMINS NOIRS qui est consacré à la France qu’il parcourt après être tombé d’un toit et s’être fracassé le corps. Chemin faisant, en reconstituant son corps brisé, il se lance dans des tirades vengeresses contre la destruction de la Nature et le soi-disant aménagement du territoire qui provoque des logorrhées technocratiques au français abscons. Revigorant.
Parmi des dizaines d’autres titres qui m’ont ravi, je m’arrêterai sur le passionnant, jubilatoire, LONESOME DOVE de Larry McMurtry (Gallmeister) où l’on passe du fou rire (il y a des échanges gondolants) à l’émotion, qui grandit dans le deuxième tome, ou encore à la stupéfaction : cette rencontre en plein désert avec un vieil homme qui transporte des ossements de bison dans une brouette et est incapable de formuler deux phrases cohérentes. C’est une des peintures les plus fortes de l’Ouest, du Texas. Et je vais déguster la série TV avec Tommy Lee Jones et Robert Duvall, formidable distribution.
Merveilleux moment passé avec Boulgakov et le ROMAN DE MONSIEUR DE MOLIÈRE, chronique émouvante, passionnante, riche en détails qu’on a envie de croire authentiques. Il nous fait vraiment sentir le génie de Molière. Il faut absolument lire aussi LA JEUNE GARDE et bien sur LE MAÎTRE ET MARGUERITE.
METS LE FEU ET TIRE-TOI (Gallmeister) de James McBride est autant un pamphlet politique revigorant qu’une biographie de James Brown. Vous croyez connaître son histoire ? Eh bien vous aurez de sacrées surprises. Et vous découvrirez aussi l’Amérique.
Le dernier Russell Banks, VOYAGER est absolument magnifique. C’est une méditation tendre, passionnée sur les voyages, ses différents mariages, les pays qu’il découvre en même temps que l’histoire du monde.
J’ai une ou deux fois parlé de Larry Fondation, auteur noir essentiel. Cet éducateur de rue écrit le plus souvent des textes courts, décapants. Lisez SUR LES NERFS et tous les autres parus avant. Comme l’écrit encoredunoir.com à propos de EFFETS INDÉSIRABLES : « Commençons par nous réjouir que quelqu’un ait eu la riche idée de continuer à éditer en France les écrits de Larry Fondation après que Fayard a cessé de le faire. Sans surprise, ce sont les audacieuses éditions Tusitala qui ont choisi de le faire et on ne peut que les en remercier.
Ceux qui connaissent déjà Larry Fondation ne seront pas dépaysés ; quant aux autres ils prendront le délicieux risque de se faire secouer par un auteur singulier. Comme à son habitude, Fondation balance des fragments de vies – et de mort – à la face du lecteur dans de courtes nouvelles qui vont de quelques lignes à quatre ou cinq pages.
Dans les quartiers de Los Angeles que sillonne Larry Fondation se croisent SDF, femmes et hommes célibataires à la recherche de compagnie ou de sexe, drogués, travailleurs pauvres, petits bourgeois libéraux, déséquilibrés, voleurs à la petite semaine ou retraités. Ils sont blancs, latinos ou noirs et sont en quelque sorte l’âme de la ville même si on ne les voit pas.
Tour à tour violentes, désespérées, durement ironiques et bien souvent très émouvantes, ces trajectoires heurtées ou interrompues forment des flashs qui s’impriment autant dans le cerveau que sur les rétines tant l’écriture de Larry Fondation, malgré une apparence trompeuse d’économie de moyens est évocatrice.
Témoin et poète, Fondation donne une voix à ceux que l’on n’entend généralement pas et prend irrémédiablement aux tripes. Autant dire qu’il ne faut pas passer à côté de ses écrits.»
Finalement, je me suis plongé dans LE RÉVEIL DE LA SORCIÈRE ROUGE de Garland Roark (Phébus), sans doute publié grâce à Michel Le Bris, puisque j’aimais tellement ce film qu’on doit pouvoir trouver en zone 1. Le livre est touffu, rempli de chausse-trapes. Il est raconté – comme le film – par le second, Sam Rosen. Cette histoire de vengeance et de naufrage avec des huîtres tueuses a inspiré le scénariste Harry Brown (DU HAUT DES CIEUX LES ÉTOILES) mais aussi les scripts de KISS TOMORROW GOODBYE et THE SNIPER (ce dernier dans un des coffrets des films noirs Columbia).
Et pour terminer rien ne vaut un petit retour à Balzac et au sublime ILLUSIONS PERDUES. Les chapitres sur Angoulême, sur la presse (Balzac était un ennemi de la liberté de la presse qu’il jugeait corrompue et sans morale ; « Le journal tient pour vrai tout ce qui est probable. Nous partons de là », fait-il dire à l’un des plumitifs de son livre, Etienne Lousteau), les intrigues de salon décrites avec un œil d’aigle, le rangent dans les trois ou quatre plus grands romans français.
SÉRIES
Avec beaucoup de retard, je me suis attaqué à la première saison du BUREAU DES LÉGENDES et cela vaut le coup. On est très vite captivé par les aventures de Malotru qui chemin faisant touchent à de nombreux sujets très sensibles, ignorés par le cinéma (La Syrie, l’Iran). Le scénario entremêle plusieurs intrigues avec brio, fait parler chacun dans sa langue ou en anglais (savoureux moment que celui où un Syrien et un Russe se lamentent de devoir se parler en anglais, cette langue qui les fait chier) et la distribution est époustouflante et d’une extraordinaire justesse. On ne sait qui louer en premier de Mathieu Kassovitz à Jean-Pierre Daroussin en passant par Florence Loiret-Caille ou Léa Drucker. Sara Giraudeau m’a subjugué. Mais tous les rôles secondaires sont superbement distribués et crédibles.
Tout aussi remarquable 3 X MANON de Jean-Xavier de Lestrade à qui l’on devait les sensationnels STAIRCASE (SOUPÇONS), UN COUPABLE IDÉAL (les avez-vous vus ?) et PARCOURS MEURTRIERS sur l’affaire Courjault où Alix Poisson était inoubliable. Je n’ai pas vu LA DISPARITION. Comme l’écrit Télérama : « Vraie fiction gorgée de réel, 3 X MANON relate les trois étapes d’une reconstruction-métamorphose, dont les principaux acteurs seront un éducateur pragmatique, une prof de français solaire et une intendante maternelle. C’est le choix des scénaristes de n’avoir réservé à la psy du centre qu’un rôle accessoire, même si c’est elle qui, en une réplique, donnera à Manon les clés de la prison mentale où elle et sa mère se sont enfermées. Dans 3 × MANON, la reconquête de soi passe d’abord par celle du langage, et les deux plus belles scènes de la fiction sont des batailles de mots. Si l’on y croit jusqu’au bout, c’est en grande partie grâce aux comédiens, formidables, Alix Poisson et Yannick Choirat en tête chez les adultes, et, du côté des ados, la stupéfiante Alba Gaïa Bellugi. »
En effet Alba Gaïa Bellugi est absolument splendide de justesse, d’acuité dès ses premières empoignades avec Marina Foïs et de Lestrade s’en prend à un thème fort : l’amour maternel qui broie, étouffe et qui finalement est le contraire de l’amour. Cher Rouxel, vous qui critiquez l’absence des sujets sociaux dans les films télévisés, voyez cette série et aussi MANON 20 ANS qui est tout aussi exceptionnel.
BIG LITTLE LIES est également une spectaculaire réussite qu’on doit au flair, à l’intelligence, de Nicole Kidman qui repérant un livre de Liane Moriarty, achète les droits, s’associe avec Reese Whiterspoon et les deux actrices au lieu d’aller voir un studio, prennent en main la production, financent un scénario écrit par David Kelley. Reese Whiterspoon contacte Jean-Marc Vallée (DALLAS BUYERS CLUB) avec qui elle a tourné WILD et son chef opérateur. La série sera distribuée par HBO et le résultat est formidable avec une interprétation phénoménale de Kidman dans un personnage complexe, tourmenté. Une femme forte, intelligente qui subit périodiquement des violences terribles, une jalousie effroyable de la part de son mari qui pourtant l’aime. On a rarement évoqué si subtilement le problème des violences domestiques. Reese Whiterspoon joue, elle, une mère de famille épuisante à force d’énergie, de volubilité qui se mêle de la vie de toute la communauté et s’oppose violemment à Laura Dern – épatante elle aussi, l’avez-vous vue dans l’excellent RECOUNT de Jay Roach ? -, autre femme de tête. Tous ces portraits féminins sont écrits de manière subtile, y compris la Camilla jouée par Shailene Woodley (qu’on avait vue dans THE DESCENDANTS).
DOCUMENTAIRE
Je ne sais pas si une chaîne publique française osera un jour montrer ENQUÊTE AU PARADIS (Prix Panorama du Jury Œcuménique à Berlin, Fipa d’Or du documentaire de création, Prix Télérama du meilleur documentaire) de Merzak Allouache, l’auteur du REPENTI et d’OMAR GATLATO. Ce documentaire passionnant (un poil long dans le dernier quart) fait parfois froid dans le dos. Le cinéaste confronte des citoyens ordinaires, des jeunes dans un café internet, des femmes, des intellectuels dont Kamel Daoud si aigu, si perçant, si ignoblement maltraité par un petit groupe d’universitaires dont une lectrice du Monde démontait le manque de connaissances, de titres et l’affiliations à des groupes suspects, à un prêche prononcé par un imam radical sur une des 1700 chaines religieuses existant en Algérie. Le résultat passionnant, contradictoire, révèle un racisme endémique, une ignorance radicale chez nombre de témoins. Pas tous.