Films français : Duvivier, Decoin…
2 octobre 2014 par Bertrand Tavernier - DVD
QUAI DE GRENELLE comme l’écrit un contributeur anonyme de Wikipédia dont le texte sur le réalisateur Emile- Edwin Reinert est confondant de recherches, de documentation, « est avec dans les grands rôles Françoise Arnoul, Jean Tissier, Micheline Francey, Margo Lion et un Henri Vidal en chasseur de vipères assassin, un film toujours visionné aujourd’hui. Ce long métrage aborde le problème toujours actuel de la délinquance, à savoir comment certaines personnes devenues comme étrangères à leur histoire difficile, finissent par déraper, victimes d’un déterminisme implacable (prostituées, meurtriers, personnes désœuvrées), qui les pousse en glissade sur une pente savonneuse et les place en reclus au ban de la société. Mais c’est aussi en parallèle une histoire d’interactions entre deux classes sociales, le modeste quai de Grenelle d’alors et sur l’autre rive de la Seine les quartiers plus cossus du 16e arrondissement de Paris. La thématique de la fatalité, qui parcourt l’œuvre d’un bout à l’autre du film, a été mise entre autres en exergue par un critique de cinéma d’un journal suisse :
« Tel un virtuose, Reinert a libéré la mythologie fataliste grecque de sa gangue littéraire en la transposant au niveau de la réalité cinématographique de l’ici et maintenant. Même l’ambiguë question de la culpabilité humaine, qui souvent se manifeste comme une réaction réflexe dans des situations contraignantes, est ici dévoilée dans sa complexité causale. Les retombées de l’accomplissement du destin se révèlent semblables à une mélodie, tel un leitmotiv douloureux qui parcourt le film ; et même si l’origine de cette fatalité finit par se dévoiler, il est indéniable qu’il y a dans ce réalisateur un maître qui nous révèle, d’une façon éminemment artistique et presque entêtée, ce fatum à l’oeuvre dans les situations relationnelles de l’accomplissement de la vie. »
— H.R., Neue Zürcher Zeitung, 27 mai 1951, édition du dimanche, no 1157. »
On a l’impression de lire un article actuel du Monde et quand on regarde le film, on peut trouver ces éloges un tantinet survoltés et exagérés. Il faut dire que l’interprétation d’Henri Vidal (et l’écriture de son personnage qui ne fait que des conneries) plombe l’entreprise qui ne manque pas d’ambition. Il s’agit d’une adaptation du deuxième roman de Jacques Laurent écrit sous son nom et non plus signé Cecil Saint-Laurent et il participe au scénario. Laurent était un écrivain très talentueux, un Roger Vailland de droite (Lisez LES CORPS TRANQUILLES, son livre de souvenirs et plusieurs de ses romans à commencer par CAROLINE CHÉRIE qui est très bien écrit et divertissant malgré certains points de vue. Et il prit certaines positions, pour l’avortement, qui lui donnait une singularité. Il fut aussi le patron de Truffaut et des critiques de la Nouvelle vague). Reinert signe ici et là des plans insolites, bien photographiés, avec de vraies recherches visuelles mais l’abus des coïncidences, des péripéties mal construites finissent par avoir la peau du film. Et ce malgré une formidable création de Jean Tissier en antiquaire voyeur torve, gluant, louche, qui collectionne des chaussures et entretient des rapports tordus avec Maria Mauban. Dalban est pas mal en flic et Françoise Arnoul assez craquante même si son rôle d’appât est lourdement surligné. Parmi les nombreux autres films de Reinert, signalons RENDEZ-VOUS AVEC LA CHANCE qui bénéficia d’une super critique de Claude Mauriac, FANDANGO avec Luis Mariano et aussi des œuvres qu’il tourna en Angleterre ou en Allemagne comme l’INCONNU DES 5 CITÉS. Les qualités modestes de QUAI DE GRENELLE encouragent une curiosité précautionneuse.
CYRANO ET D’ARTAGNAN est, quand on le revoit, un incroyable foutoir, tourné, filmé, monté n’importe comment (on peut penser que la coproduction et le budget sont pour beaucoup dans ces errements) : cadres approximatifs, plans très plats, raccords sidérants. Le doublage plombe la plupart des comédiens (sauf bien sûr Simon, Cassel et Noiret) et notamment Ferrer (quelle drôle d’idée de prendre un Américain dont on n’entendra pas la voix pour jouer Cyrano). Et Gance comme dans LE CAPITAINE FRACASSE ou LUCRÈCE BORGIA ne sait pas filmer l’espace. Tout reste brouillon, confus. Et pourtant le film dégage un vrai charme de par ses audaces : un dialogue souvent en vers, des chassé-croisé libertins plutôt gaillards et osés pour l’époque même si Sylva Koscina avec son inexpressivité abime son personnage (plus que Dahlia Lavi). Il y a des passages savoureux (« il est entré dans une brèche ou je ne l’attendais pas »). Le film et c’est une de ses vertus fait la part belle au Cyrano inventeur et la fin, ma foi, se révèle assez poignante et très personnelle.
LE RETOUR DE DON CAMILLO est un excellente surprise et ce film que je n’ai vu qu’à contre-cœur est un des meilleurs Duvivier. Brillamment réalisé, avec une magistrale utilisation des extérieurs (les séquences d’inondation sont étonnantes). Il y a même un rêve qui est une séquence magistrale. Fernandel est très tenu et ses affrontements avec Gino Cervi, très savoureux et plein de bon sens. Duvivier aime les deux personnages et là, il met en sourdine son pessimisme qu’on a d’ailleurs un tantinet exagéré (cf. LE PAQUEBOT TENACITY, SOUS LE CIEL DE PARIS, MARIANNE DE MA JEUNESSE, LA FÊTE À HENRIETTE qui furent, hélas, souvent des échecs ou des films incompris). Delmont est étonnant, notamment dans la scène stupéfiante où il achète l’âme d’Alexandre Rignault. A découvrir et une fois de plus, saluons Lourcelles qui sut vanter ces deux films.
VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS est le chef d’œuvre de Duvivier dans les années 50 et il n’a pas pris une ride. Magistrale évocation des Halles (recrées en studio), de la vie d’un restaurant (toutes les scènes de travail collectif peuvent rivaliser avec les meilleurs moments de GARÇON). Gabin et Delorme sont admirables. Ce film noir, avec des séquences d’une dureté inégalée (tout ce qui se passe à l’hôtel entre Delorme et sa mère) donne des airs de bluette à pas mal de films américains tant les auteurs se refusent à toute explication psychologique facile.
RETOUR À L’AUBE est aussi dans son genre un chef d’œuvre. Et pourtant le point de départ, ce mariage hongrois entre un chef de gare (Pierre Dux) et une très jeune femme (Darrieux au sommet de sa beauté) avec danse folklorique, fait prévoir le pire. C’est compter sans le talent de Decoin qui passe de manière furtive, invisible d’un registre à l’autre, change constamment de ton, de la comédie matrimoniale désenchantée à la rêverie lyrique. Lors du voyage à Budapest, le ton se fait plus aigu, plus âpre. Darrieux est confronté à des groupes qui veulent peser sur ses choix et la harcèlent : vendeuses qui tentent de lui faire acheter des masses d’habits et de colifichets, aristocrates esseulés qui tentent de la séduire. La séquence de la boîte de nuit où elle est soumise à toute une série de tentatives de séduction de la part de tous les soi-disant amis du comte qui la leur a présentée, étonne par son ton féministe. Et puis après un bel interlude romantique (qui n’est qu’un piège), Decoin fait basculer RETOUR À L’AUBE dans le film noir : l’arrestation de Jacques Dumesnil vu à travers une porte entrouverte est un plan anthologique et l’interrogatoire dans le commissariat (troisième groupe de personnages qui harcèle Darrieux) débouche sur trois ou quatre crises de nerfs, moment de virtuosité qui vous transperce tout comme les dernières minutes d’une dureté confondante.
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Commentaires (348)
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Monsieur Tavernier,
Ma démarche est personnelle: à la suite d’un article de Télérama (18 octobre) sur « Voyage à travers le cinéma français » où vous évoquez Julien Duvivier, je voudrais vous demander s’il est possible d’obtenir copie de l’enregistrement dans lequel Julien Duvivier s’exprime sur Danielle Darrieux, et que vous dites n’avoir pu caser faute de place. Je suis l’aînée des petits-enfants de George Duvivier, frère cadet de Julien. Julien ayant rompu avec le conformisme familial, nous n’avons jamais connu notre grand-oncle ni sa famille. Hélas, nous ne sommes pas responsables des brouilles de nos aînés, alors cette vidéo permettrait de voir et entendre l’homme derrière le cinéaste. Monsieur Tavernier, je vous serais vraiment reconnaissante si vous pouviez répondre à ma requête, et peut-être même me parler de lui si vous l’avez rencontré. Respectueusement, Martine Albumazard
A Martine Albumazard
Je me demande s’il n’y a pas confusion entre des propos de Julien Duvivier parus dans la presse ou reportés par son fils Christian et les rares images télévisées. Je ne me souviens pas de l’avoir entendu dans une interview filmée parler de Darrieux mais je me trompe peut être. Je sais qu’il l’adorait. J’ai du couper certains passages sur Duvivier faute de trouver un ayant droit (les producteurs italiens du RETOUR DE DON CAMILLO), Chateau qui n’avait pas sorti AU ROYAUME DES CIEUX et UNTEL PERE ET FILS qui n’était pas encore restauré. Je vérifie pour Darrieux. En revanche je montre des extraits du seul long interview télévisé fait par Francois Chalais. Vous pouvez le voir donc dans l’épisode consacré à JD
Emmanuelle Sterpin qui fut une documentaliste exceptionnelle ajoute : » Effectivement, Duvivier ne parle pas de Darrieux, ni dans cette interview (sur le tournage des 10 Commandements), ni dans une autre »
Je pense qu’il s’agit de propos que m’avait tenu Christian Duvivier que l’auteur de l’article a transformé en interview filmé…