Chronique n°18
4 avril 2008 par Bertrand Tavernier - DVD
Richard Widmark vient de mourir. Cet acteur remarquable contribua, comme Mitchum et Lancaster, à déplacer, à décaler le cinéma américain de l’après-guerre vers les zones plus sombres, plus troubles qu’exploraient des cinéastes comme Kazan, Dassin, Hathaway, Mankiewicz, Fuller, de Toth. Il communiquait à la plupart de ses personnages une ambiguïté, une fragilité, une violence sourde, un cynisme qui contribuait à brouiller la frontière entre le bien et le mal, à privilégier le doute sur l’affirmation qui était la marque des acteurs américains de la génération précédente. Il faut revoir Le carrefour de la mort (1947), son premier film où il est inoubliable en gangster sadique et ricanant qui fait froid dans le dos, Le port de la drogue (1953), Panique dans la rue (1950), Le jardin du diable (1954), La porte s’ouvre (1950 – l’imbécile traduction de No way out) et bien sûr l’admirable Forbans de la nuit (1950) où il atteint des sommets shakespeariens. Mais on aurait tort d’oublier des productions plus récentes comme The Bedford incident (1965 – Aux postes de combat) qu’il co-produisit, A gathering of old men (1987) un beau téléfilm de Volker Schlöndorff (il faut aller absolument voir le magnifique Ulzhan et revoir Young Torless qu’a sorti Criterion), The Alamo (1960) de John Wayne où il joue Jim Bowie. En attendant que l’on sorte enfin La furie des tropiques (1949) de Toth, Time limit (1957), une autre de ses productions qu’il confia à son ami Karl Malden sur le lavage de cerveau opéré par les communistes à leurs prisonniers durant la guerre de Corée.
« Tout film gagne à être mexicain » écrivait Jacques Audiberti à propos d’un mélodrame avec Ninon Sevilla… Magnifique phrase qui devrait être méditée quand on se penche sur cette cinématographie si riche et si diverse. Phrase qui prend tout son sens aussi bien quand on l’applique à Amours chiennes (2000), ce chef d’œuvre de Alejandro Gonzales Inarritu qu’à des films plus populaires comme Salon Mexico (1948 – Les Bas-fonds de Mexico) réalisé par Emilio Fernandez, photographié par le grand Gabriel Figueroa qui vient de sortir en DVD. De même que Santa (1932), adapté de Federico Gamboa par Carlos Noriega Hope, dirigé par Antonio Moreno, photographié par Alex Phillips et joué par Lupita Tovar. Ces films et les suivants ont des sous-titres anglais.
J’ai aussi découvert le très réjouissant The skeleton of Mrs Morales (1960), comédie noire, sarcastique, écrite par le complice de Bunuel, Luis Alcoriza, sur une femme qui étouffe son mari taxidermiste sous le poids du puritanisme et de la religion. On pense un peu à La vie criminelle d’Archibald de La Cruz (1955) d’autant que le héros est joué par Arturo de Cordova, même si la mise en scène efficace de Rogelio A Gonzales est loin du génie de Bunuel.
Autre trouvaille importante, la trilogie de Fernando de Fuentes, consacrée à la révolution mexicaine, que l’on peut se procurer aux USA via Facets video (www.facets.org) : Prisoner 13 (1933), El Compadre Mendoza (1934), Vamonos con Pancho Villa (1936). J’ai un faible pour le second volet qui raconte l’histoire d’un riche propriétaire qui change sans cesse de camp, selon que ses terres sont investies par les uns ou par les autres. Il épouse chaque fois la cause du vainqueur, zapatiste avec les révolutionnaires et pro gouvernemental avec les fédéraux. Alors que sa femme, elle ne change pas et reste fidèle à l’officier zapatiste qu’elle a aimé.
Le premier titre, plus mélodramatique, trace un portrait assez saisissant d’un chef militaire macho et pervers dont les actions sont guidées par la haine de sa femme. Cela va l’amener à faire condamner à mort le fils qu’il voulait protéger. Et cela jusqu’à l’ahurissant et désinvolte dénouement, soldé en deux coups de cuillère à pot.
Vamonos con Pancho Villa, le dernier volet, est une chronique désenchantée, sceptique, distanciée de la Révolution, des ravages qu’elle cause chez ceux qui la soutiennent. On suit 6 jeunes paysans qui vont périr l’un après l’autre, souvent dans des circonstances absurdes, voire même idiotes comme ce jeu mortel auquel ils participent par forfanterie, par esprit bravache qui est un sommet du film. Séquence surprenante d’une rare âpreté. En dehors de quelques excès de jeu, de quelques réactions comiques trop soulignées, ces films frappent par leur absence d’effets histrioniques. L’interprétation, notamment des figures historiques, est plus mesurée, plus sobre que dans les films américains de la même époque. On est loin de Wallace Beery dans Viva Villa (1934).
Vamonos contient même des plans furtifs (un couple s’installe sous un wagon, un soldat tente de se reposer à l’ombre, un officier quitte sa fiancée en oubliant son ceinturon) extrêmement modernes.
Plus près de nous saluons Felipe Cazals pour Canoa (1976), écrit par Tomas Perez Turrent qui remporta le prix du jury à Berlin en 1976 et Cadena perpetua (1979) de Arturo Ripstein, oeuvrette policière mineure quand on le compare aux réussites de ce metteur en scène comme Carmin profond (1996). Et bien sûr il est bon de rappeler qu’Alfonso Cuaron n’est pas seulement l’auteur inspiré des Grandes espérances (1998) ou des Fils de l’homme (2006) mais aussi de Y tu mama tambien (2001).
Voici deux sites où l’on peut trouver les dvd Mexicains avec sous-titres anglais : Mixup http://www.mixup.com.mx/ et Gandhi http://www.gandhi.com.mx/
Du Mexique au Québec, il n’y a qu’un pas si l’en croit le président Bush qui avait mentionné leurs frontières communes. Un voyage récent m’a permis de découvrir que l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéma québécois était enfin sorti en dvd. Il s’agit des Bons débarras (1980) de Francis Mankiewicz. Mais attention : n’acheter que la version supervisée par Michel Brault pour la cinémathèque. Celle qui est sortie dans le commerce souffre, comme j’ai pu le lire, d’un transfert déplorable, au format approximatif. Pour répondre au critique, le distributeur a annoncé qu’il sortirait la bonne version.
En attendant, ruez-vous sur Congorama (2006) le deuxième film tout à fait passionnant de Philippe Falardeau que UGC a la bonne idée de distribuer avec son premier opus, La moitié gauche du frigo (2000), comédie acerbe, caustique sur les ravages de la mondialisation, thème qu’explore aussi Congorama. Olivier Gourmet est, comme de bien entendu, sensationnel dans ce personnage d’inventeurs qui ne parvient jamais à capter l’attention des gens auxquels il veut vendre ses trouvailles. Il faut le voir expliquer le système qu’il a mis au point pour empêcher le gel des pylônes. Le scénario, très retors, nous entraîne sur une piste différente qui paraît déboucher, après un coup de théâtre surprenant, sur une impasse. C’est pour mieux rebondir et certains plans, certaines scènes prennent alors tout leur sens. À ne pas manquer…
Autre révélation, Post mortem (1999), premier film écrit et réalisé par Louis Bélanger, repose sur un scénario très audacieux, construit comme un triptyque. Gabriel Arcand joue un veilleur de nuit amateur de blues, qui travaille dans une morgue. On y dépose le corps d’une jeune femme qui drague et vole ses amants pour subvenir aux besoins de sa fille. Commence alors une étrange histoire d’amour. Comme l’a écrit le rédacteur d’Amazon : « Son approche pleine de retenue de la nécrophilie est, en réalité, un formidable hymne à la vie, rendu vibrant par les interprétations de Gabriel Arcand, Jutra du meilleur acteur et de Sylvie Moreau, Génie de la meilleure actrice. Le film a, en outre, été récompensé du prix du meilleur réalisateur et de celui de la critique internationale au Festival des films du monde en 2000 ». C’est là où je l’avais découvert et beaucoup aimé. On me dit que Gaz bar blues (2003) serait encore meilleur.
Bonne occasion de revoir aussi certaines des réussites éclatantes de Denys Arcand comme Gina (1975), Rejeanne Padovani (1973), et La maudite galette (1972).
On peut aussi trouver une édition québécoise des documentaires de Perrault sortis aux Editions Montparnasse où tous les films sont sous-titrés.
Restons au Canada pour signaler la magnifique série produite par Naxos, Jazz icons, sur des musiciens de jazz en concert. J’ai déjà vu et dégusté celui qui est consacré à Dexter Gordon (avec un très copieux livret écrit par Maxine Gordon) et je viens de me procurer le John Coltrane, le Charlie Mingus, le Chet Baker et le Duke Ellington.
Parmi les dernières sorties aux USA, je dois signaler le gigantesque coffret Ford at Fox que vient de sortir la Fox. J’ai lu des articles enthousiastes tant de Garry Giddins que de Dave Kehr dans le NY Times. Tous deux louent le choix qui comprend des muets dont le splendide Four sons (1928). Des parlants très rares comme le très beau Pilgrimage (1933) où l’on voit une femme qui se sent responsable de la mort de son fils qu’elle a forcé à s’engager, expier en allant visiter les cimetières français, après le 11 Novembre. On peut y voir la trilogie de Will Rogers enfin dans de belles copies, et Je n’ai pas tué Lincoln (1936) et Sur la piste des Mohawks (1939) dans des versions restaurées.
Coffret de circonstance alors que viens de sortir dans la collection Institut Lumière / Actes Sud la biographie définitive de Ford écrite par Joseph McBride, A la recherche de John Ford.
Le même studio vient de sortir un coffret John Brahm (sous-titres français) qui comprend ses deux films majeurs, The lodger (1944), remake du Hitchcock muet, et Hangover square (1945). Tous les deux sont interprétés par l’extraordinaire Laird Cregar (le diable du Ciel peut attendre), lequel mourut, très jeune, à la fin du tournage de Hangover. Il est inoubliable en Jack l’éventreur auquel il confère une humanité trouble, une charge sexuelle inouïe pour l’époque. Comme nous l’écrivions avec Jean-Pierre Coursodon dans 50 ans de cinéma américain, « Nuit et brouillard sont les motifs dominants de The lodger (inspiré du même roman que le film d’Alfred Hitchcock) où Laird Cregar est un Jack l’éventreur torturé dont les expéditions nocturnes en quête de victimes féminines sont traitées dans un style fantasmagorique, qui accumule les clairs-obscurs virtuoses, les cadrages étranges et oppressants (c’est sans doute le meilleur travail de Ballard en noir et blanc avec the devil is a woman de Sternberg). Dans Hangover square, Cregar incarne un compositeur que les accords discordants poussent au meurtre, argument qui peut prêter à sourire mais dont le traitement très convaincant fait oublier la bizarrerie (l’interprétation de Cregar y est pour beaucoup). Le feu est à ce film ce que le brouillard est au précédent ». J’ai envie d’ajouter le brouillard et l’eau, qui, dans The lodger, sert de refuge, d’élément réparateur, salvateur. Les flammes ouvrent et ferment Hangover square, film que Chabrol aimait beaucoup, pour son scénario pervers. Le bûcher de Guy Fawkes où Cregar vient se débarrasser d’un cadavre qu’il porte dans une foule en liesse, est une magnifique idée, filmée avec virtuosité. Merle Oberon et surtout Linda Darnell sont idéalement choisies tandis que George Sanders joue les faire valoir.
The undying monster (1942) est la première incursion de Brahm dans le domaine du fantastique. Il vit, dans ce scénario assez corniaud, l’occasion de sortir enfin des sujets insipides, des films de patinage, qu’on lui confiait et approcha le projet avec un enthousiasme, une conviction qui rend le film touchant. Certes le scénario est balourd avec des harengs rouges gros comme des espadons. Et le dialogue souvent frôle la parodie : à quelqu’un qui a été à moitié déchiqueté par un monstre, on conseille : « Tâche de ne plus y penser ». Les acteurs sont insipides, mais Brahm et Lucien Ballard font des efforts louables pour donner du style à cette histoire : contre-plongées à effets, grands mouvements d’appareil qui traversent une lande de studio magnifiquement éclairée, plans larges, personnages qu’on place devant des vitraux, utilisation adroite de l’espace, éclairages expressionnistes. Du coup Zanuck lui offrira The lodger.
Cela dit, le reste de la carrière de Brahm demeure une énigme. Je ne connais pas son remake du Lys brisé (1936), mais ses titres ultérieurs sont déconcertants et parfois d’une grande platitude. Je voudrais revoir, The brasher doubloon (1947) d’après Raymond Chandler où George Montgomery remporte la palme du plus terne des Philip Marlowe. The miracle of our lady of Fatima (1952), aux belles couleurs, est un mélodrame sulpicien à l’idéologie douteuse…
Gary Giddins, l’un des meilleurs critiques américains de jazz, chansons et de cinéma marque un point : après l’avoir lu je me suis forcé et ai acheté The Country girl (1954 – sous-titres français) que je me refusais de voir et ce n’est pas mal du tout. Et je dois réviser certains préjugés sur George Seaton, le metteur en scène et scénariste de ce film. Selon Giddins, le scénario de Seaton est supérieur à la pièce de Clifford Odets.
Extrêmement bien joué par les 3 principaux acteurs et notamment par Crosby qui est magnifique dans un rôle auquel il apporte mille touches personnelles. On le disait à l’époque porté sur la bouteille au point que selon Giddins, Seaton hésita à le contacter. Mais Crosby accepta avec enthousiasme et passion et cela se sent dans le film. Il suffit de le regarder durant ces gros plans muets, vraiment longs pour l’époque, que Seaton intercale à plusieurs reprises, nous faisant physiquement sentir les conflits intérieurs de son personnage avec une réelle profondeur. Holden est comme toujours sensationnel et Grace Kelly assez remarquable (j’aime l’entendre dire : « vous n’aviez pas le droit de vous mettre en colère contre quelqu’un que vous connaissiez à peine »). La très bonne idée de Seaton est d’avoir fait du personnage de Crosby un chanteur/acteur plutôt qu’un acteur dramatique. Cela renforce les contradictions du personnage et donne lieu à l’une des meilleures séquences, quand, dans un bar, il va reprendre de manière impromptue une chanson qu’interprète la chanteuse de l’établissement. Crosby y est impeccable comme dans les séquences de répétition d’une sorte d’Oklahoma chorégraphié par Robert Alton. Comme il est de règle, la pièce échoue et est remaniée (comme toujours dans les films américains sur le théâtre, on coupe la moitié du premier acte).
Seaton filme intelligemment les dernières scènes (on craint les surprises scénaristiques qui sont toutes évitées), ne montrant le spectacle qu’à travers les yeux de Holden et Kelly, principalement des coulisses. Il y a là un petit coté Cukor, mais la sensibilité du film m’a fait penser à Mulligan, bien que la mise en scène soit assez fonctionnelle comme dans tous les Seaton que j’ai vus. Comme dans The counterfeit traitor (1962 – avec sous-titres français), film d’espionnage plutôt intelligent, retenu, fort bien joué par William Holden. Seaton évite le spectaculaire, les morceaux de bravoure, instaure une certaine amertume. Il refuse le happy end et lorgne plutôt du côté de John Le Carré.
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Commentaires (20)
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En complément à la bio de John FORD par Joseph MCBRIDE, il faut lire l’autobiographie d’Harry CAREY Jr, « la compagnie des héros », témoignage de première main sur la manière de travailler et de se comporter au quotidien de John FORD mais aussi sur ses collaborateurs (acteurs, techniciens, cascadeurs, etc), sur les contingences et l’atmosphère de l’époque, etc.
A Edward
Exact
Je viens de constater que vous attirez l’attention sur deux importants (à mon sens) cinéastes mexicains plutôt différents:
1)Ripstein qui connut Bunuel mais a su totalement s’affranchir de son influence dans une oeuvre d’une violence corrosive dont je ne vois d’équivalence que dans le cinéma japonais (chez Kaneto Shindo ou certains Oshima). Le château de la pureté par exemple instaure un sentiment de claustrophobie d’autant plus physique que la famille « préservée » semble vouée à explorer toutes les limites de l’humain ( Haneke cherche à produire la m^me analyse mais il est démonstratif et roublard!). Principio y fin, Carmin profond m’avaient beaucoup marqué à leur sortie.
2)Peut-être moins « majeur », Cuaron m’avait séduit avec Y tu mama tambièn puis avec le très tendre, juste et magique La petite princesse. Mais Les fils de l’homme m’ont vraiment soufflé (et pas seulement parce que je le découvris huit jours avant la naissance de mon fils avec ma femme!!!)qu’il s’agisse de suggérer un futur proche par petites touches, de plonger violemment le spectateur dans la violence inattendue, terrible (l’attaque de l’auto), de nous faire mesurer ce que peut signifier vivre dans un ghetto, dans une ambiance de fin du monde. Sans parler de la séquence où le « héros » va chercher l’enfant et sa mère dans un immeuble par un plan séquence magistral: c’est la maestria que j’aime car elle est discrète et sait se faire oublier pour servir des enjeux humains. Et cette BO à tomber par terre qui rappelle Gorecki!!! Je ne comprends que mes chers rédacteurs de Positif aient « manqué » l’occasion de célébrer cette réussite à mon sens majeure!
3)Connaissez-vous le cinéma de Carlos Reygadas (surtout Japon)et celui de Guillermo del Toro (en privilégiant l’échine du diable et Le labyrinthe de Pan)? si ce n’est le cas, vous pourriez y prendre plaisir.
Je considère Cuaron comme un cinéaste majeur et chaque fois que je peux j’attire l’attention sur lui et sur Ripstein.
J’adore LA LUMIÈRE SILENCIEUSE de Carlos Reygadas dont plusieurs séquences m’ont soufflé.
J’avais répondu à vos remarques. J’adore le dernier Reygadas (plus que Japon) et trouve que Guillermo del Toro a beaucoup de talent
C’est vrai, cette réplique est très belle, mais que dire de la dernière phrase de Gary Cooper, désabusé, contemplant du haut d’une colline un coucher de soleil sanguin: « Si le monde était en or, les hommes s’entretueraient pour une poignée de poussière »En une réplique Hathaway clôture le film et formule d’une manière dense et minérale la morale de son histoire. Tout son style est contenu dans le geste de cette clausule: économe, aride et profond.
Pourtant ce n’est pas dans ce western que je trouve Widmark le plus décisif. Il est plus flamboyant dans Warlock (L’Homme au colt d’or) d’Edward Dmytryk où il parvient à éclipser et Henry Fonda et Anthony Quinn…Excusez du peu. Chapeau bas l’artiste.
En effet, belle et mythique réplique finale de Gary Cooper. Pourtant, je préfère quand même celle de Widmark : bien sûr que les hommes ne s’entretueraient pas pour l’or si la Terre en était couverte; c’est un truisme, en fait, un lieu commun. Tandis que le soleil s’en allant chaque soir avec une âme d’homme, c’est une vérité.
C’est votre opinion et je la respecte. L’une est dite par un personnage, l’autre en voix off par un commentateur, un cheor antique qui lui donne un autre éclairage, un autre type d’émotion
Mr Tavernier, êtes-vous certain qu’il s’agisse de voix off ? Il me semblait bien que les deux répliques émanaient des deux personnages ? En tout cas, merci d’avoir réagi à mon commentaire.
A Minette Pascal
Dans mon souvenir, c’est une voix off sur le dernier plan. A vérifier. On refait les films qu’on a vu
Sur Richard Widmark, ses personnages ambigüs donnent du sel aux intrigues les plus simples, comme dans le « jardin du diable » où on se demande jusqu’à la fin ce qu’il va révéler de lui. dans ce film lui est confiée une des plus belles répliques de western que je connaisse: »Tous les soirs il s’en va (le soleil) et tous les soirs, quelqu’un s’en va avec lui… »
Il faut encore parler de Widmark pour mesurer la perte et la peine que sa mort nous inflige.
Pour moi, Widmark, c’est surtout Pich Up On South Street de Fuller et Night and the City de Dassin. Deux films poisseux mais d’une beauté visuelle qui ne cesse de m’émouvoir.
Plusieurs commentaires soulignent l’importance du film de Dassin dans la carrière de Widmark. Je me propose d’en dire quelques mots en espérant que ceux qui ne connaissent pas ce film se précipiteront sur le DVD.
Night and the City se déroule dans les bas-fonds de Londres. Widmark est impressionnant en petite gouape mythomane et manipulatrice;les ruelles sordides, hantées par des émanations de caniveaux (fleuriste paralytique, racoleuses, petits malfrats minables), servent de cadre idéal à son agitation frénétique. Il est stupéfiant dans ce rôle de héros tragique de pacotille qui court à sa perte.
L’analyse de l’impuissance à s’arracher à sa nature profonde (un looser est un looser après tout) est poussée à un tel point de cruauté que seul Widmark pouvait donner forme à ce personnage, et la mener à terme. Il passe de l’euphorie la plus cacophonique (la scène où il tambourine de joie sur les instruments de musique devant Phil, le patron de la boîte à filles, il swingue, chante, passe d’un instrument à l’autre, persuadé qu’il est enfin au sommet-mais la réplique est cinglante: « Tu as tout, Harry, mais t’es un homme mort » et le coup de cymbale le met en déroute. Il fuit par un escalier dont le cadrage supprime le bord pour en faire un lieu de passage entre deux néants, une scène de théâtre où l’on s’agite en vain) à l’oppression la plus expressionniste (gros plan de lui plaqué contre un mur, les bras désarticulés-pantin de farce macabre-lors des scènes de poursuite dans des ruelles obscures où grouillent des agents de la pègre) avec toutes les nuances de sordide dont ce type est capable: il truande Héléna, sa complice, vole sa petite amie (Gene Tierney) et finit par provoquer dans son délire mégalomaniaque la perte de tous ses proches. C’est en fait un personnage dostoïevskien: une crapule attachante.
Et puis ce champion de lutte gréco-romaine (Stanislaus Zbsysko) est une trouvaille merveilleuse. J’adore la scène de combat entre Grégorius et l’Etrangleur: rarement l’écrasement par une force statique a été rendu si physiquement palpable par le cadrage serré d’une empoignade entre lutteurs dont l’énergie s’annule en broyant le plus faible (la fameuse prise de l’ours! )
Ce corps suant, visqueux, énorme est un objet personnel de fascination…
C’est une métaphore du film lui-même: elle dit parfaitement l’agitation statique de Harry qui se débat sous le poids du destin. C’est ici que le polar renoue avec la tragédie grecque.
On pourrait énumérer chaque scène, chaque plan, on n’en finirait pas tant ce film est dense plastiquement et métaphysiquement. Ce carnaval macabre de petites frappes qui agonisent dans le caniveau d’un ruelle crasseuse nous donne assez l’image d’un insecte qui se noie dans un crachat de morve–c’est notre monde, c’est l’humaine condition, non?
Widmark nous manque. Ce cinéma nous manque.
Un petit mot encore sur Widmark : j’ai rarement vu une expression aussi PHYSIQUE, aussi intense, de la peur et de la détresse que dans LES FORBANS DE LA NUIT, et ce à une époque où le « corps » était encore très timidement utilisé au cinéma pour exprimer des émotions fortes.
J’ai tendance à associer très étroitement ces FORBANS à un autre chef-d’œuvre du film noir urbain : LE GRAND CHANTAGE, en partie à cause du travail génial qu’y faisait Tony Curtis. Ces deux films de « traque » peuvent difficilement se comprendre hors de l’ambiance oppressante des Fifties et de l’obsession rampante de la trahison.
Concernant John Brahm, je crois me souvenir que sa carrière télévisuelle est assez cotée aux US. Je n’ai guère vu que son remake « condensé » et très cheap de LAURA.
Évidemment, on ne peut que saluer la magnifique prestation de Widmark dans LES FORBANS DE LA NUIT, et je pense que nous sommes nombreux à la considérer comme le sommet de sa très riche carrière. Je suis en revanche moins enthousiaste sur celle du CARREFOUR DE LA MORT, qu’on a privilégiée systématiquement dans chaque nécro alors qu’elle relève avant tout du « numéro » d’acteur. Un numéro brillant, novateur, sans doute, mais moins fécond et à coup sûr moins nuancé que la plupart des interprétations ultérieures de Widmark.
PS Je ne comprends pas trop que tu mettes la très routinière et falote FURIE DES TROPIQUES dans ses grands films, but nobody’s perfect, I guess.
Cordialement et merci pour ce précieux blog. Comment trouves-tu le temps de voir tout cela ET de le commenter? Insomnies? Démultiplication de cerveaux à la N. S. ?
La Furie des tropiques n’est pas un film falot et il contient des moments très forts, admirablement dialogués par William Bowers. La fin heureuse et conventionnelle, imposée à de Toth qui terminait avec le travelling passant de l’ambuklance à la voiture de Widmarck était plus ambiguée
Au delà de Widmark et Dassin, je préfère retenir de votre Chronique 18, enfin, le dépoussiérage de « De Grandes Espérances », qui, malgré certaines limites et un oubli bien trop rapide, mérite véritablement d’être vu.
Pour les amateurs d’érotisme, Alfonso Curaon y signe une brève scène d’anthologie, toute en discrétion, sur les jambes et les dessous de Gwyneth Paltrow…
Reste un dernier regret, la B.O. de ce film ne fut pas éditée correctement et ne permet pas d’entendre les multiples variations sur Besame Mucho qui jalonnent le film…
Salutations
Vous avez, je crains, une vision un peu courte de Dieterle dont la carrière est plus riche que ce que vous laissez entendre. Durant ses premières années à la Warner, il signa plusieurs films excitants, nerveux (FOG OVER FRISCO, 6 HOURS TO LIVE) et une oeuvre très originale, THE LAST FLIGHT qui n’est pas sans évoquer Fitzgerald. Nous en parlons longuement dans 50 ANS. Plusieurs de ses « biographies » furent produites par Warner et si son film sur Zola reste prudent et académique, Juarez est un des fleurons du genre sur un beau scénario de John Huston. Et Dr ERLICH’S MAGIC BULLET est une quasi réussite. THE DEVIL AND DANIEL WEBSTER est une oeuvre fort ambitieuse et j’aimerais bien voir BLOCKADE. Et il tourna plusieurs films noirs.
Heston était remarquable dans WILL PENNY, beau western systématiquement oublié dans les nécrologies.
J’aime beaucoup LA FEMME AUX CIGARETTES qui n’est pas à ma connaissance diffusé en dvd. Ida Lupino y chantait « Make me one for my baby » et Widmark était formidable.
Tout à fait d’accord sur la traduction idiote de HIS GIRL FRIDAY. L’exemple du contre sens.
Et Heston quelques jours après pour faire bon poids, qui avait apporté aussi un peu sa contribution au film noir en début de carrière avec « La main qui venge », en compagnie de Lisbeth Scott et sous l’égide de Dieterle qui oubliait pour un instant son sacerdoce de biographe (de la MGM, je crois).
J’ai revu « Kiss of death », il y a quelques jours , et force est de reconnaître que Widmark crève l’écran dans ce rôle de Tommy Udo, au point que dès son deuxième film (« La dernière rafale » de Keighley)* il est parmi les premiers rôles.
* Lequel sera d’ailleurs réadapté par Fuller (House of bambou)
Son troisième rôle, Bertrand, illustre probablement le mieux ce que vous définissez par zone d’ombre, tant l’ambiguïté du personnage de Jefty est permanente pendant la première heure du film : « La Femme aux cigarettes » , Road house) de Negulesco.
Mais vous l’avez dit , le sommet de sa carrière reste probablement son rôle de mythomane halluciné et qui court après sa perte dans « les forbans de la nuit ».
Widmark et Dassin … Triste semaine…
Enfin, pour terminer sur un note plus gaie : les traductions française de titres anglo-saxons …
J’ai appris incidemment, il y a quelque temps déjà , que la superbe comédie de Hawks (Grant-Russel-Bellamy) « His girl friday » (1939 ? 40 ?) et prodigieusement intitulée en Français « La dame du Vendredi » avait en réalité un titre qui faisait référence à Daniel Defoë et que le Vendredi en question était celui de Robinson.
His girl friday , c’est donc en réalité sa copine à tout faire , ou sa femme boniche, ou encore sa nénette factotum …
Voili voilou.
Au plaisir de vous relire.
je suis d’accord sauf pour la PORTE S’OUVRE qui est un film très
intéressant.
La même semaine disparaissaient Richard Widmark et Jules Dassin. « Les forbans de la nuit » fut à mon avis le chef d’oeuvre de Dassin et Widmark y donna sa plus fantastique performance d’acteur. De tous ses films que j’ai pu voir, je crois ne l’avoir jamais trouvé mauvais ni même moyen, mais dans « Les forbans de la nuit », ce sommet du film noir il est carrément prodigieux. Il paraît que c’était également, hors-écran ce qu’on appelle « un type bien ». J’ai lu une anecdote racontant que lors du tournage de « La porte s’ouvre » (pas le meilleur film de Mankiewicz) il s’était confondu en excuses auprès de son partenaire Sidney Poitier, très embarassé d’avoir du tourner avec lui une scène où son personnage se comportait en odieux raciste.
Entendu ce mardi sur France Culture, de la bouche de Michel Boujut une nouvelle que je désespérais ne jamais apprendre et qui je pense réjouira les visiteurs de ce blog : l’annonce pour la fin d’année de la sortie d’un coffret de « Cinéma, Cinémas », la plus formidable émission télévisée jamais consacrée au 7ème art. Je pense que ce sera forcément un choix des meilleurs moments mais j’espère que Boujut et Ventura y inclueront ces extraordinaires instants comme celui où Cassavettes dirigeait Gena Rowlands dans son ultime film, « Love streams », l’hommage à George Franju et toutes ces retrouvailles avec des grandes figures du cinéma, réalisateurs, techniciens, acteurs de premier plan (ah, l’incroyablement sexy Angie Dickinson avec son toutou !! Lino Ventura demandant mâchoire serrée à son interviewer homonyme et pétrifié « Vous me trouvez intimidant ? »), stars d’un instant qui sont passées à autre chose (l’acteur qui joua le Tadzio de « Mort à Venise », Sue Lyon trentenaire et brune évoquant le tournage dantesque de « La nuit de l’iguane »… Il y avait même un numéro sur… Joselito dont la carrière s’arrêta pour cause de mue post-pubère !!) et grands seconds rôles (l’impayable Robert Dalban en racontant une fameuse que Gabin lui sortit à propos de son célèbre tarin !!). Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura l’entretien accordé par Richard Widmark où il parla de Kazan et de Ford.