Chronique n° 12
27 mars 2007 par Bertrand Tavernier - DVD
ZONE 1
Un certain nombre de coffrets très excitants sont sortis ces derniers mois, dont le coffret Charlie Chan collection, vol 1 qui regroupe 4 titres : Charlie Chan in Paris (1935), Charlie Chan in London (1934), Charlie Chan in Egypt (1935), Charlie Chan in Shanghai (1935) joués par Warner Oland, pour moi le meilleur Chan. Et pourtant sa nationalité suédoise ne le prédisposait pas à jouer le détective chinois inventé par Earl Derr Biggers (d’après un vrai détective chinois de Honolulu) qu’il allait marquer pourtant de manière indélébile. Il est admirable de bonhomie rouée, de politesse raffinée et malicieuse. Il faut le voir distiller les faux aphorismes et proverbes (totalement absents des livres) inventés par les scénaristes : « Souvent petite taupinière plus révélatrice que grande montagne », « Trou de serrure bon ami de grand détective », « Alibi comme poisson pas frais, pourrit toujours par la tête », « Théorie comme buée sur lunettes, obscurcit la vision ». Le premier titre du coffret est en fait le 5ème de la série dont le premier Charlie Chan Carries on a disparu. Charlie Chan in Paris introduit pour la première fois Lee « le fils numéro 1 » joué avec beaucoup de bonne humeur par Keye Luke qui dynamise la série. Dans Charlie Chan in Egypt de Louis King (metteur en scène à surveiller) on peut voir Rita Cansino, future Rita Hayworth et le désopilant Stepin Fetchit.
Le plus réussis, Charlie Chan at the Opera (1936) de Bruce Humberstone (dont on vient de sortir le très bon I Wake Up Screaming), est sorti dans le coffret volume 2. C’est le plus stylisé visuellement, Boris Karloff joue le principal suspect et on y entend un opéra écrit par Oscar Levant. A noter qu’aucun des livres de Biggers ne fut adapté.
Encore plus divertissant est le coffret Mr Moto, série également produite par la Fox avec pas mal de moyens à la suite du succès des Charlie Chan. Le héros, Kentaro Moto, est cette fois un soldat de fortune, mi aventurier, mi détective (il appartient à la « police internationale » (sic)), japonais et non plus chinois, inventé par John P. Marquand. Ce personnage timide, effacé qui se transforme sans cesse, se révèle d’une intelligence diabolique et, contrairement à Charlie Chan, se bagarre assez souvent : c’est un as du judo. Il y a d’ailleurs pas mal de scène d’action, une poursuite dans le brouillard (Mysterious Mr Moto – 1938), des règlements de compte. On choisit pour incarner cet asiatique, un juif autrichien, cela s’imposait, à savoir Peter Lorre qui est formidable, avec ses grosses lunettes (on le fait parfois parler allemand). On lui oppose une galerie de « méchants » hauts en couleurs, joués par John Carradine, Lionell Atwill, Sig Ruman, George Sanders, Sidney Blackmer. Autre particularité, cette série est essentiellement l’œuvre d’une seule personne, Norman Foster qui écrivit et réalisa 6 des 8 titres et participa au scénario de l’un des deux restant. Foster avait été un acteur qui joue un rôle important dans le beau Pilgrimage (1933) de John Ford et dans State Fair (1933) de Henry King. Il était marié à Claudette Colbert et arrêta de jouer après qu’une agression lui ait abîmé le visage. Les films sont mieux mis en scène que les Charlie Chan. Foster aime remplir le cadre d’objets, de figurants, de plantes ; il joue beaucoup sur les avants plans et deux des films, Thank You, Mr Moto (1937) et Mysterious Mr Moto (1938) sont extrêmement réussis, inventifs, divertissants. Le deuxième se passe à Londres, après une rocambolesque évasion de l’île du diable, et nous montre toute une série de britanniques affichant un comportement très raciste face à notre héros. Lequel égrène des proverbes et se présente ainsi : nettoyage : immense, cuisine : prétentieux, cocktails : sublimes. Think Fast, Mr Moto (1937) est amusant mais moins cohérent. La qualité des décors et de la photo, bien mis en valeur dans ces Dvds, élève ces œuvres au-dessus de la série B. Orson Welles avait dû voir cette série et apprécier leur atmosphère cosmopolite, colorée avant de confier Voyage au Pays de la Peur (1943 – où contrairement à la rumeur, il ne semble pas avoir participé à la mise en scène. Dans un bonus, un historien rapporte une déclaration de Welles attribuant à Foster les mérites du film) puis My Friend Benito à Norman Foster (selon Dave Kehr, c’était parce qu’il parlait espagnol).
Enfin le coffret Film Noir Classic Collection volume 3 comprend un certain nombre d’œuvres essentielles : On Dangerous Ground (1952) l’un des plus beau Nicholas Ray (disponible en zone 2 – La Maison dans l’Ombre), Border Incident(1949)très bon Anthony Mann, photographié par John Alton, polar noir et violent sur l’exploitation des travailleurs mexicains sans papiers. His Kind of Woman (1951) de John Farrow commence comme un film noir archétypal, au dialogue percutant, se transforme en comédie aux échanges sophistiqués ou très marrants : à Mitchum qui déclare , « je suis trop jeune pour mourir », Vincent Price répond « moi trop célèbre ». Jane Russel demande à Mitchum qui repasse son argent « quand il s’ennuie » : « Et quand tu es fauché, qu’est ce que tu repasses ? » – « Mon pantalon ». Durant une partie de poker, pour confondre un tricheur, il augmente la mise en posant sa chaussure sur la table, répondant ainsi au portefeuille qu’on vient de jeter. Il sort une liasse de la chaussure et la scène s’achève en farce. Vincent Price incarne de manière grandiose un cabot qui tente d’incarner les personnages qu’il joue et cite constamment Hamlet. Mais la comédie est trouée d’éclairs de violence, de sadisme, filmés par Richard Fleischer qui termina le dernier quart du film, après le meurtre de Tim Holt (tout ce qui se passe sur et autour du yacht). Il faut dire que les caprices, les indécisions d’Howard Hughes avaient décuplé la durée du tournage. Vincent Price qui avait un contrat de 8 semaines célébra sa 52e semaine par une fête somptueuse. Les autres films sont The Racket (1951) de John Cromwell et le célèbre Lady in the Lake (1947) de Robert Montgomery où la caméra est Philip Marlowe et que j’aimerais revoir.
J’ai beaucoup aimé Citizen Ruth (1996) l’un des premiers films d’Alexander Payne, comédie grinçante et caustique sur l’avortement, i évoque les meilleures réussites de Dino Risi, Comencini, Monicelli (dont le Nous Voulons les Colonels de 1973avec Ugo Tognazzi est un régal).
Dans le Payne, Laura Dern joue une SDF enceinte qui va être récupérée par les chrétiens conservateurs et fanatiques dirigés par Burt Reynolds puis par les partisans de l’avortement qui vont tenter de l’instrumentaliser.
J’ai revu Network (1976) de Sidney Lumet qui vient de sortie en Dvd collector et j’ai trouvé qu’on avait été très sévère et assez superficiel dans 50 Ans de Cinéma Américain vis à vis de ce film qui, non seulement tient le coup, mais prend une valeur incroyablement prémonitoire. Il suffit de penser aux dérives de la télévision ces dernières années, à la mainmise des sectes chrétiennes, des partis plus conservateurs sur l’information. Network anticipe aussi sur la télé réalité, nous parle du terrorisme filmé en direct, de la présence de l’Arabie Saoudite dans l’économie américaine, des intérêts arabes. On y mentionne déjà, 20 ans avant, que l’Arabie Saoudite possède une grande partie du port de la Nouvelle Orléans.
Le film va bien au-delà d’une dénonciation de la télévision. Sidney Lumet et Paddy Chayefsky (qui écrivit le magnifique scénario de The Americanization of Emily et de Hospital) récusent le mot satire et préfèrent celui de reportage. Ils nous disent que le petit écran est devenue le centre du monde, que la représentation prime sur la réalité et que nous nous sommes transformés en fantômes. Tout ce que nous faisons, pensons est dicté, imposé, régi par la télévision. La politique, du moins, la politique des slogans, la seule que l’on prend en compte, se fabrique à la télévision. Qui est devenue le porte voix des maîtres du monde, les multi nationales, les actionnaires, les grandes firmes. Dans les très bons bonus Lumet déclare que Network « film très sérieux tourné comme une comédie » parlait moins de la télévision que de la mondialisation dans l’esprit des auteurs.
Cette domination n’est pas exempte de contradictions : le président de CCA, Jensen (admirable Ned Beatty, étourdissant dans la scène shakespearienne de prêche où il retourne Peter Finch), conserve l’émission de Howard Beale même si elle perd de l’argent parce qu’il s’est pris de sympathie pour lui et veut qu’il se fasse le porte parole de sa philosophie : à savoir que la démocratie est morte.
L’essence profonde de la télévision, qui refuse jusqu’à cette contradiction, est symbolisée par le personnage de Faye Dunaway et c’est ce que l’on pourrait reprocher au film. A tort je trouve, car cela lui donne un coté épique au sens brechtien du terme, qui transcende le réalisme. Lumet raconte qu’à sa première entrevue avec l’actrice, il lui dit : « ne cherche pas de motivations, d’excuses, de repères. Tu es comme cela et on ne doit jamais l’expliquer ni le justifier. Il n’y a pas de pourquoi ». Et ce parti pris peu commun donne toute sa force à l’interprétation de Dunaway qui parvient pourtant dans la scène de rupture avec Holden à faire apparaître comme une fêlure. Elle ne peut ni comprendre, ni admettre les propos très durs, très lucides de Holden. Elle a l’impression d’avoir affaire à un martien, et le vertige qui s’empare d’elle nous vaut un gros plan inoubliable.
Ce qui nous faisait tiquer – les changements de tons, la manière dont on traite le parti communiste ou l’extrême gauche – devient avec le temps réjouissant d’incorrection politique.
Ajoutons que la distribution est absolument géniale. Non seulement les 4 principaux acteurs (Holden, admirable, et Duvall semblent être des idées de Lumet, Peter Finch fut dès le départ le choix de Paddy Chayefsky) mais aussi les rôles secondaires : Ned Beatty, Wesley Addy et Béatrice Straight (qui gagna l’Oscar). Sa scène avec Holden ancre brusquement le personnage dans la réalité la plus prosaïque. Sa simplicité tragique donne par contrecoup plus de force et de vérité à la folie des autres personnages.
En revanche, Marty (1955) toujours écrit par Paddy Chayefsky et dirigé par Delbert Mann est pratiquement dépourvu d’intérêt malgré Betsy Blair et Ernest Borgnine. L’apport de Mann semble quasiment nul et le film manque de rythme et d’allant.
Autre chef d’œuvre, celui-là très méconnu, 14 Hours (1951) d’Henry Hathaway. Les 10 premiers plans de ce film sont éblouissants. C’est le triomphe d’une mise en scène qui mêle étroitement dureté, clarté, acuité. Le propos du film est exposé très rapidement avec une netteté foudroyante : un homme sur le rebord d’une fenêtre veut se suicider. Hawks aurait voulu traiter ce sujet en comédie. Hathaway et le scénariste John Paxton choisissent un angle plus noir, plus trouble, allant jusqu’au bout du sujet. La seule concession consiste dans les deux fins imposés par Spyros Skouras qui venait de perdre sa fille. Hélas le Dvd n’en présente qu’une. Le seul point faible est l’intrigue amoureuse entre Debra Paget et Jeffrey Hunter qu’il solde rapidement. Le ton sec, dégraissé de toute sentimentalité comme de tout cynisme facile étonne par son économie, le mélange subtil de dureté et de compassion, la justesse de la direction d’acteurs. C’est le triomphe de Paul Douglas, impressionnant de justesse et très bien entouré par Richard Basehart, Martin Gabel, Robert Keith, Jeff Corey. L’apparition de Grace Kelly est magnifique.
Je ne cesserai de m’étonner du peu de cas que l’on fait en France de Ken Burns, l’un des plus grands auteurs de documentaires américains dont je viens de voir le dernier chef d’œuvre The War qui va bientôt être diffusé par PBS. Ce film de 14 heures sur la seconde guerre mondiale s’ancre autour de 4 villes : Burns y a trouvé, des rescapés, des survivants, des hommes et des femmes qui ont perdu des membres de leurs familles. On passe sans cesse du particulier au général, du front à l’arrière où naissent des conflits économiques, raciaux (les noirs ont le droit de devenir ouvriers, ce qui provoque des émeutes) qualifiés et sociaux. Il suit des japonais américains emprisonnés dans un camp qui pourtant s’engagent, créent un régiment et se couvrent de gloire. Ils ont participé à la libération des Vosges.
On doit à Ken Burns ce splendide documentaire sur la guerre de Sécession, The Civil War (1990), un portait formidable de Huey Long qui inspira All the King’s Men (1949 – Les Fous du Roi) qui vient de sortir en Dvd dans une édition et un transfert décevant. Rossen a gommé toute la faconde populiste, la drôlerie exubérante de Long. Mais il insuffle à Broderick Crawford, dont l’interprétation reste époustouflante, une bonne partie de la véhémence, de l’énergie de bonimenteur de foire, de la force prolétarienne qui était l’apanage du dictateur de la Louisiane.
Parmi les réussites de Ken Burns, citons Jazz (2001), cet hymne magnifique à la musique afro américaine qui permet à Burns de donner des aperçus cinglants de la situation raciale entre 1920 et 1970. Burns, à travers un évènement historique, l’histoire d’un sport (le Base Ball), d’un art, d’un moyen de communication (la radio) refait l’histoire de son pays, détruit des mythes, des légendes, des mensonges, nous donne à voir des pans entiers qui ont été occulté. C’est ce qui fait le prix de son Mark Twain (2001), et qui donne envie de relire immédiatement Huckleberry Finn ou Life on the Mississipi « Dieu créa l’homme parce qu’il avait été relativement déçu par le singe ».
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Commentaires (13)
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Dans votre présentation combinée sur Henry Hathaway et PETER IBBETSON en bonus,Bertrand,mais aussi, plus récemment, autour de SHEPHERD OF THE HILLS vous évoquez 14 HOURS avec une affiche du film en incrustation. Et là, il m’est arrivé un truc qui m’arrive rarement (d’autres choses surviennent mais pas celle-là): je me suis mis dans le crâne que ce film datait des années 30, ce que l’on voit de l’affiche présentant quelques traits graphiques que j’ai du trouver caractéristiques.
Or 14 HOURS date de 1951. Ce qui a complètement battu en brêche ce à quoi je m’attendais.
Et ce que j’ai trouvé m’a littéralement scotché. Pas pendant la première demi-heure au cours de laquelle semblait s’installer un dispositif trop voyant pour supporter l’épreuve du temps, du moins le supposais-je. Mais il m’est vite apparu qu’une sorte d’obstination à aller au bout de ce dispositif (un jeune homme sur la corniche d’un building new-yorkais, prêt à se jeter dans le vide)à permis au film d’emporter le morceau, de s’imposer à notre imaginaire d’une façon telle que l’on peine à croire que cet Hathaway-là ne soit pas plus connu.
Le réalisateur accouche là d’une oeuvre moderne à plus d’un titre.
Déjà par son sujet qui, au premier abord comme dit plus haut, tisse entre le spectateur et ce coin d’immeuble une familiarité qui annonce toutes les familiarités futures qu’offrira le cinéma d’ici ou d’ailleurs, de LA CORDE à LA TERRASSE en passant par SUR UN ARBRE PERCHE, de Serge Korber (sic). A ce titre, et si l’on met de côté d’autres films antérieurs avec une unité de lieu d’origine théâtrale, il n’est pas interdit de penser que 14 HOURS invente avec le LIFEBOAT d’Hitchcock, qui le précède de quelques années, le film dispositif.
Ensuite il y a le ton qu’emploie Hathaway, oscillant entre douceur et hystérie, bienveillance et âpreté, anticipant sur, là encore, des oeuvres ultérieures telle qu’A DOG DAY AFTERNOON, de Sidney Lumet, dans lequel un pourparler s’installe entre flic et reclu (ici Paul Douglas et Richard Basehart; là, Charles Durning et Al Pacino)et où il est aussi question de faire intervenir, pour intercéder, famille et petits amis tandis qu’une foule captivée et débordante sert de choeur antique.
Mais surtout, c’est une question de forme. Hathaway surprend en se faisant orchestrateur d’une tension formelle qui nous fait passer de l’évidence d’intention des premières séquences à quelque chose de presqu’apocalyptique à mesure que la nuit tombe et que l’écran se gorge de ténèbres troués par les projecteurs et les balises crépitantes. Et entretemps, pour ilustrer toutes les tentatives de sauvetage du jeune candidat au suicide, nous aurons eu droit à un festival d’angles de caméras aussi variés que spectaculaires, en plongée, en contre plongée, de biais, de 3/4, stigmates d’une direction artistique stratosphérique. Vu le sujet, il eût été légitime de penser qu’on puisse avoir le vertige.
On l’a.
A ALEXANDRE ANGEL
MAGNIFIQUE TEXTE ET SI JUSTE
à AA: m’en vas copier ça dans mon ptit dossier dvdblog moi, pour le relire à la revision!…
Tout à fait d’accord avec vous ,les documentaires de K Burns sont vraiment passionnants et marquants,j’avais vu celui sur la Guerre Civile lors de sa diffusion sur Canal Plus en 1995 et je ne l’ai « redécouvert » qu’en 2009 ,en dvd.J’exagèrerai un tantinet en disant que je m’en souvenais parfaitement quoique….
J’aime aussi The War
Sidney Lumet est grand !! Pour la trilogie ‘Best of Sean Connery’: ‘The Hill’, ‘Le Gang Anderson’ et surtout ‘The Offence’, ‘Equus’ avec Richard Burton et ‘Network’ bien sur (où j’ai découvert après ‘Sunset Boulevard’ et ‘Kwaï’ que W.Holden est finalemet un bon acteur). Il y a un film (TV je crois)de lui que j’aimerai beaucoup découvrir, c’est ‘The Seagull/La Mouette’ d’après Tchekov avec D.Warner, S.Signoret et J.Mason….je ne crois pas qu’il soit disponible en dvd.
A Catherine
La Mouette était un film de cinéma, vraiment réussi et Vanessa Redgrave et James Mason y étaient sublimes…
Ne m’en veuillez pas de vous « ramener » vers votre parcours. Je n’ai pu voir, il y a des années, qu’une assez piètre copie de votre film sur Soupault dans le cadre d’un article sur sa vision du cinéma et je me demandais si ce document rare avait des chances d’être édité en DVD ou au moins d’être di ffusé (par Planète ou Arte par exemple).
Ce grand méconnu du Surréalisme au parcours admirable mérite d’être réhabilité auprès d’un large public tout comme Delteil dont je ne sais si vous connaissez l’oeuvre. Votre documentaire me semble un accès possible vers soupault qu’on n’est pas prêt de voir publié en Pléiade pour de bien mauvaises raisons!!!
PS: Ai revu une partie seulement The war de Ken burns sur arte: décidément admirable, sensible, intelligent… Avec le même tranquille génie américain d’un Eastwood, ce documentariste nous aspire dans le tourbillon qui s’empara de dizaine de milliers de vies. Merci encore pour attirer notre attention sur cet auteur majeur! L’avez-vous rencontré?
A Jean Jacques : les trois films sur Soupaul doivent en principe sortir en DVD. C’est Raphael Caussimon, le film de Jean Roger qui s’en occupe
Cher Bertrand Tavernier,
Votre défense de Ken Burns (relayée également dans Positif) m’a permis de découvrir deux monuments successifs sur Arte: The war l’an passé puis The civil war celle-ci. Impressionnant travail sur les documents d’archive que j’ai rarement vus dynamisés ainsi.Très beau travail sur la texture sonore également comme sur la structure (celle de The war est particulièrement impressionnante tant sa complexité polyphonique et temporelle s’écoule avec une lisibilité parfaite qui est la marque des grands narrateurs).
Je suppose que les autres titres cités nous seront accessibles sous peu et , si ce n’est le cas, on peut crier au scandale!
Signalons l’actualité documentaire US avec la sortie imminente d’un nouvel opus du grandiose puzzle de Frederick Wiseman La danse, le ballet de l’opéra de Paris. Je ne l’ai pas encore vu mais j’essaierai de le voir en salles (pas facile , en province!). Je suppose que votre fils l’observera avec attention compte tenu de son propre travail.
Votre propre travail documentaire constitue une part non négligeable de votre oeuvre et plusieurs titres m’ont « éclairé » pour des raisons diverses: La guerre sans nom n’a pas peu contribué au dialogue avec mon père qui l’a vécue en conservant longtemps le silence ; votre travail sur Soupault m’a éclairé lors de la rédaction d’un article le concernant; De l’autre côté du périph’ a croisé mes préoccupations professionnelles et « politiques »…
Existe t’il un bon ouvrage synthétique sur les grands auteurs « documentaires »? Entre Marker et Flaherty, Wiseman et Van Der Keuken, Philibert et Godard, Malle et Jia zhang Ke (et j’en passe !!!!) que de choses à dire, que de bouleversements potentiels dans une vie de cinéphile qui pourrait se croire étranger à cette écriture!
Je sors d’un second visionnage de THE WAR (le 1er avait eu lieu en 2008).J’aimerais un jour faire l’expérience de le voir en V.O. ne serais-ce que pour échapper aux chevauchements des voix des interviewés avec celles de leurs interprètes. Mais rien ne presse car je ne suis pas prêt de renoncer à la présence vocale de Philippe Torreton, habitué que je suis à l’entendre égrener, comme une litanie lancinante, les quatre villes protagonistes que sont Luverne dans le Minnesota, Waterbury dans le Connecticut, Mobile en Alabama et Sacramento en Californie.
THE WAR est un film réversible, comme un ruban collant à double-face. Il est une americana dont les héros sont aspirés par le plus grand cataclysme de l’histoire humaine et il est aussi, selon le même point de vue, l’histoire directe de ce cataclysme. Bertrand Tavernier, dans le substantiel texte qu’il consacre à Ken Burns, en général, et à THE WAR en particulier, dans un numéro de Positif d’Avril 2008, souligne l’indélicatesse de ceux qui ont pu reprocher à THE WAR son américano-centrisme. Ce n’est effectivement pas bien malin de leur part car l’œuvre est conçue de telle sorte que la spécificité de l’engagement américain dans la guerre est indissociable de la singularité tragique de ce qui s’est joué en Europe. THE WAR raconte à peu près ce que narre THE DEER HUNTER (évocation douloureuse et humble du basculement d’une communauté dans la guerre) mais à une échelle incommensurable. Pas de place ici pour l’exaltation, pour l’élan patriotique, la célébration.. THE WAR est ni plus, ni moins l’ histoire insondablement triste d’êtres de chair et de sang précipités dans la plus gigantesque tempête de métal de l’Histoire. Ce documentaire est aussi le plus grand film de guerre, complément indispensable d’œuvres de fiction que l’on a aimé (et que Bertrand rappelle à notre bon souvenir)et que bons nombres d’images vraies font ressurgir. Jamais un spectateur n’aura ressenti avec une telle densité ce que l’on imagine être la réalité physique d’un combat, le sentiment d’insécurité, l’abattement psychique du soldat grâce à un montage aussi virtuose que savant qui agence au rasoir des archives de toutes origines, et prend le soin maniaque (c’est ce qui impressionne le plus)de toujours corroborer un propos tenu par l’image correspondante. De la solennité intimidante de William Walton à la respiration poignante du Concerto pour clarinette d’Aaron Copeland, en passant par les volutes aussi plaintives que félines de Wynton Marsalis, la musique, soigneusement établie, participe de la poésie incantatoire de l’œuvre. Des images cinéphiliques, disais-je, ressurgissent. J’en choisirais deux, pour moi parmi les plus fortes que le cinéma m’ait données sur le sujet. Celles qui nous montrent, à la fin de HAIR, de Milos Forman (film envers lequel il faudrait songer à un peu moins condescendre) les Marines s’engouffrer dans les ténèbres d’un avion de transport de troupes en partance pour le Viêt-Nam. Soldats aspirés, puis régurgités sous forme de spectres nippons par les mêmes ténèbres dans le génial segment de REVES, de Kurosawa, intitulé « Le Tunnel ».
Deux images à la forte puissance métaphorique entre lesquelles se déploie THE WAR, de Ken Burns.
Très content de retrouver votre chronique. Merci en particulier pour le paragraphe sur Ken Burns, dont je n’avais jamais entendu parler.
Un détail qui a son importance : pourriez-vous indiquer systématiquement la provenance des dvds chroniqués (Z1, Z2) et, dans le cas des Z1 et des Z2 britanniques, préciser s’il y a ou non des sous-titres français ? Merci d’avance.
Tout d’abord bravo pour votre enthousiasme de passeur. Je pense que si on vous réunissait avec Patrick Brion, Martin Scorsese, Raymond Chirat et quelques autres, on tiendrait l’encyclopédie presque parfaite de l’histoire du cinéma ! Et elle ne serait pas ennuyeuse.
C’est assez réjouissant de pouvoir lire des commentaires sur « Les otages » de Raymond Bernard ‘ « Promenade avec l’Amour et la Mort », « La Vengeance est à moi », « I walk the line », « La Maison des Bois » ou « L’Acrobate » avec le prodigieux Claude Melki. Et je ne parle même pas de toutes ces oeuvres qui me sont totalement inconnues et que vous donnez envie de découvrir. Le plus fantastique est qu’il y a encore des centaines, des milliers de films majeurs qui n’ont toujours pas eu une seconde chance sous forme de DVD. L’exemple qui me vient tout de suite est ce diamant à la noirceur diabolique et typiquement britannique que Brion a diffusé un soir au « Cinéma de minuit » : « Our mother’s house » de Jack Clayton.
Le cinoche n’est qu’une transposition de la vie sur une toile, les comédiens et techniciens que des êtres d’os et de chair et pas des divinités mais cet art/artisanat total entretient une part de rêve nécessaire. Qu’on puisse réclamer des autographes est un truc qui me dépassera toujours. J’ai eu l’occasion de voir de près quelques grands personnages de l’histoire du cinéma mais c’est une rencontre accidentelle qui m’a fait le plus d’effet car c’est l’unique fois où j’ai cru passer littéralement à travers l’écran. Il y a pas loin de 30 ans, en me balladant sur un quai parisien, j’ai aperçu en bas la silhouette d’un colosse mal fagoté, en sandales, béret et un bouquin sous le bras. Je l’ai reconnu en 1/24ème de seconde. Sterling Hayden, exactement tel qu’il était apparu dans « The long goodbye » ! Et pas une illusion d’optique déformée par la cinéphilie. J’ai failli descendre lui serrer sa grosse pogne et me suis abstenu. Je trouvais ça idiot et déplacé.
Je suis 100% d’accord avec vous au sujet de « Network » qui malgré quelques excès (mais il paraît que la télé rend fou) est un film plus que jamais d’actualité. Mais je crois qu’un autre film de la même période le dépasse encore dans le géopolitique magistral et visionnaire : « Les 3 jours du Condor » de Sidney Pollack. Il comporte tellement d’éléments troublants sur les six dernières années que c’en est saisissant.
Je me permettrai un petit bémol concernant « Les fous du roi » de Robert Rossen. J’avais été estomaqué par la puissance du roman de Robert Penn Warren, une de mes plus grandes claques de lecteur. J’espérais la retrouver dans l’adaptation de Rossen et suis tombé de haut en la découvrant il y a quelques années. Un film plombé par le jeu insupportable de Broderick Crawford. Il aurait mieux valu prendre Burt Lancaster, celui de « Elmer Gantry » et surtout du fabuleux « Grand chantage »…
Amicalement.
Pierre, ex-cinéphage lyonnais (nobody’s perfect !)
Merci pour ces commentaires toujours passionants, je suis bien heureux de vous voir réévaluer le génial Network sur lequel vous portez un éclairage qui m’incite à un nouveau visionnage dans les plus brefs délais !
Vous m’avez par ailleurs eu une fois de plus, il faut maintenant que je me procure au plus vite His Kind of Woman !
Merci encore pour ces passionantes chroniques.