Plaisirs

25 octobre 2011 par - DVD

J’ai revu avec plaisir CAROLINE CHÉRIE, film très agréable même si Martine Carol parait un peu âgée et déphasée par rapport aux critères d’érotisme actuel (elle a de fort jolis seins mais le film est assez pudique et moins sensuel ou libertin que le roman de Cecil Saint-Laurent, fort bon). L’épisode de la  maison de santé du Docteur Belhomme est particulièrement réussi, d’une surprenante dureté de ton accentuée par la sobriété de la réalisation de Richard Pottier (qui préserve le film des ravages du temps) et la causticité, cinglante des dialogues d’Anouilh (moins inspirés dans ses allusions anachroniques et blagueuses au 14 Juillet, un peu lourdes). Au-delà des vacheries anti révolutionnaires, Anouilh dresse un portrait sombre des mégères, des concierges dénonciatrices qui peut évoquer l’Occupation et ne peint pas sous un jour glorieux la conduite des Princes face aux Chouans.

LE MARIAGE DE CHIFFON est un vrai chef d’œuvre que ne ternissent pas quelques scratches au début, une chute dans la bande son et la musique pléonastique, peu inspirée de Roger Desormière (meilleur chef d’orchestre que compositeur) qui ne trouve sa place que quand elle cite ou brode des variations sur Fascination. Le scénario d’Aurenche est magistral et cela dès le premier dialogue nonsensique entre André Luguet et la marchande de journaux, magistrale introduction. Aurenche joue avec les accessoires (les chaussures donnent lieu à des variations éblouissantes) pour nous faire découvrir les personnages. C’est une leçon de comédie. Le film souvent inspiré (les travellings ophulsiens dans les pièces vides) se teinte peu à peu d’émotion, de nostalgie, de tendresse. Chaque fois que j’entends Odette Joyeux dire que ces boucles d’oreilles offertes par Jacques Dumesnil ont causé ses deux grands moments de chagrin et de peine « quand je les ai reçues et quand je les redonne », j’ai le cœur serré.

Pour rester dans le cinéma français, j’ai envie de parler de deux films que tout paraît séparer, opposer : LE BLÉ EN HERBE de Claude Autant-Lara et D’AMOUR ET D’EAU FRAICHE d’Isabelle Czajka.

Le premier est une adaptation assez raide de Colette (la mise en scène est moins gracieuse que dans CHIFFON), plombée par l’interprétation d’Edwige Feuillère, congelée dans le style grande Dame du cinéma français et de Pierre-Michel Beck, catastrophique (même si plusieurs silhouettes sont assez réussies, en particulier le forain projectionniste campé par de Funès, dont le pianiste est Claude Berri).Le second est une chronique moderne de l’errance d’une jeune fille.

Deux jeunes actrices unissent ces deux œuvres si dissemblables : Nicole Berger et Anaïs Demoustier. Toutes deux sont éblouissantes de justesse, de grâce, d’intelligence. Dès qu’elles sont là, la vie fait irruption, s’empare de l’écran même s’il y d’autres acteur talentueux et bons dans D’AMOUR ET D’EAU FRAICHE. Nicole Berger fut un météore, disparue trop jeune. Elle est la justesse, la vérité même et son interprétation fait exploser les cadres rigides de Lara et démodent plusieurs de ses partenaires (pas Renée Devillers). Elle amène une vraie fraicheur et l’on ressent ses espoirs, son amour, ses souffrances et son personnage ne prend pas une ride. C’est par là qu’elle tend la main, qu’elle retrouve Anaïs Demoustier qui elle aussi, plonge au plus profond des émotions de son personnage sans jamais tricher avec ses zones d’ombre, ses faiblesses, ses tâtonnements, ses écorchures. C’est l’émotion en mouvement. Elle entraîne le film dans son sillage.

Ajoutons qu’il faut porter au crédit d’Autant-Lara qu’il réutilisa Nicole Berger, magnifique dans EN CAS DE MALHEUR (et aussi dans TIREZ SUR LE PIANISTE. Je ne m’en souviens pas dans les Dragueurs), où Edwige Feuillère était bien meilleure. Et qu’il est intéressant de découvrir dans les bonus les controverses, les remous que suscita le BLÉ EN HERBE qui traitait pourtant des rapports sexuels entre un jeune homme et une femme plus âgée avec pudeur, sans complaisance ni voyeurisme. L’évêque de Caen lança même contre les spectateurs de la première un commando de judokas catholiques (sic) qui furent mis en déroute par ceux-ci.

Changeons de registre, de ton avec TOUCHEZ PAS A LA HACHE de Jacques Rivette, adaptation épurée, exigeante, janséniste, retenue de la Duchesse de Langeais de Balzac, déjà portée à l’écran par Baroncelli et Jean Giraudoux. C’est une œuvre tendue, fascinante, toujours centrée sur l’essentiel (les personnages secondaires sont réduits au minimum encore que Nicolas Bouchaud soit assez marquant).

Dans des pièces vides où l’on peut voir parfois au cours d’une fête, quelques vagues silhouettes, Antoinette de Langeais, Jeanne Balibar touchante, et le général de Montriveau se livrent une bataille sans merci, alternant les déclarations, les refus, les atermoiements, les élans et les revirements sous l’œil scrutateur de  la Princesse de Blamont et du Vidame de Pamiers, incarnés magistralement par Bulle Ogier et Michel Piccoli. Quand ils sont là, plus besoin de figurants ; ils remplissent les appartements, les pièces, occupent l’espace. Guillaume Depardieu est admirable en général amoureux, possédé par cette passion qui le dévore et son claudiquement augmente encore le tragique du personnage

Il était aussi magnifique aux côtés de la magnifique Judith Chemla, dans VERSAILLES  le premier film de Pierre Schoeller qui vient de tourner le remarquable L’EXERCICE DE L’ÉTAT et il est bon de rappeler ce film.

Pour finir, j’ai ressenti un grand plaisir devant le nouveau film de Julie Delpy THE SKYLAB (qui n’est pas encore en vidéo il est vrai). Un plaisir et aussi de la fierté. C’est que j’ai connu Julie si jeune quand elle jouait le rôle-titre de LA PASSION BEATRICE, son premier film avec MAUVAIS SANG de Leos Carax. Et j’ai vu, au fil des années, cette comédienne habitée, brillante, dingo, hypocondriaque et courageuse, qui domptait ses peurs et ne cédait jamais devant Bernard Pierre Donnadieu.

Je l’ai vu devenir scénariste (elle co-écrit le délicieux BEFORE SUNSET, cette déambulation rohmerienne), chanteuse avec un fort bon disque, compositrice (elle écrivit la musique de son second film), puis réalisatrice. Nous avions couronné à la SACD le très savoureux TWO DAYS IN PARIS, exploration savoureuse des différences culturelles, sexuelles, alimentaires entre les français et les américains (Ah la scène du lapin !). LA COMTESSE, œuvre brave, féministe, était plus didactique, plus inégale, faute de moyens mais je lui tire mon chapeau devant la manière dont elle sut utiliser les quelques figurants et les deux ou trois chevaux qu’on lui avait octroyé.

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Commentaires (8)

 

  1. MB dit :

    Arte diffuse MEURTRES de Pottier en version restaurée (le 30/07), un rôle dramatique pour Fernandel, à ne pas louper.

  2. Martin-Brady dit :

    L’EXERCICE DE L’ETAT, ce film est vraiment extraordinaire! Quelle intelligence, quelle originalité dans le sujet, ce Schoeller est hors du commun, quel type à part! Admirable! Vite je rattrape mon retard et je vois VERSAILLES.

    PS: la musique est vraiment sans intérêt et complètement à côté de la plaque, mais elle ne gêne pas, et je ne comprends que goutte à la musique concrète ou d’avant-garde, alors mon avis là-dessus… Que ça n’empêche personne de voir ce film génial!

    • Martin-Brady dit :

      J’ai écouté le Projection Privée de Michel Ciment et l’interview ne m’a pas intéressé, car je suis friand de détails techniques, et Schoeller n’explique jamais ses sources ou tout ce qui lui permet d’avoir la texture réaliste car après tout, on ne peut pas se servir que de son imagination et de recoupements et de réflexion pour obtenir une justesse réaliste dans la description de ce monde de la politique. Il faut quand même des espions ou rapporteurs qui vous expliquent comment ça se passe. Une réunion entre ministres du même gouvernement ne se passe pas comme n’importe quelle réunion en entreprise dans le privé, par exemple! C’est à dire que si, c’est le cas, mais jusqu’à un certain point, jusqu’à ce qu’un détail cloche! Enfin, Ciment était sans doute intéressé plus par autre chose que les sources de Schoeller.
      En tout cas, je ne crois pas qu’on puisse traiter un sujet pareil de façon moins conventionnelle: il ne s’est laissé influencé par aucun précédent! Il n’y a que les parties oniriques (je ne savais pas qu’une femme nue, même belle, s’introduisant à l’intérieur d’un crocodile était un symbôle érotique: il paraît que c’est parce que le ministre rêvant fait un rêve érotique, j’avais pas pigé ça, mazette! j’avais toujours eu l’impression que c’était moins obscur que ça, un rêve érotique… je dois être assez simplet, finalement…) que je trouve un peu déplacées, même si bien filmées bien sûr, mais elles sont minoritaires.

  3. Ballantrae dit :

    Permettez-moi de vous interroger à nouveau sur l’édition DVD de plusieurs de vos films:
    -La passion Béatrice ( si possible avec des compléments historiques indispensables…, par ailleurs de quel matériel de type making of, essais, entretiens disposez-vous encore?)
    -Entretiens avec Ph Soupault dont vous m’aviez annoncé une sortie possible
    -Mississipi blues que je n’ai su trouver sur les sites malgré votre annonce d’il y a un an environ
    Par ailleurs, vous parliez d’édition pour vos chroniques du blog…qu’en est-il du blocage d’Omnibus pour une édition augmentée de 50 ans…?
    j’espère ne pas vous importuner par ces questions personnelles et peut-être sinon douloureuses difficiles ( encore des bagarres comme si accoucher d’ un film n’en était pas une suffisante!!!)?

    • Bertrand Tavernier dit :

      A Ballantrae
      On va peu à peu trouver une réponse à la plupart de vos questions mais Mississipi Blues va sortir prochainement

  4. Julien Morvan dit :

    Bonsoir,

    Projectionniste du petit cinéma de Erquy (en Côtes d’Armor), j’ai eu le plaisir de projeter dans le cadre d’un hommage à Jean Anouilh deux films dont il était le scénariste : PATTES BLANCHES (de Jean Grémillon) et CAROLINE CHÉRIE. Le premier, un peu vieillot, offrait quelques bons moments, notamment grâce à Michel Bouquet, très jeune mais déjà superbe. Mais je garde un souvenir (très récent) poussiéreux du second film, excessivement long, avec une interprète effectivement peu à sa place et très démonstrative. L’histoire traine beaucoup en longueur à mon sens, malgré quelques bons moments. J’ai du mal à partager votre enthousiasme pour cette œuvre que j’ai trouvé très datée et souvent laborieuse.

    Je me souviens d’avoir projeté LE BLÉ EN HERBE l’année dernière (également tourné en partie à Erquy), et je conserve la même impression que vous : Edwige Feuillère manquait de simplicité, elle me faisait penser par moment à la Gloria Swanson de SUNSET BOULEVARD. Le personnage de Louis de Funès projectionniste est très sympathique. Je crois que ce film est ressortit dans la belle collection Gaumont Classiques (DVD + Blu-Ray). J’avais eu la chance de le projeté dans une copie d’époque non restaurée, encore de très bonne qualité.

    • Bertrand Tavernier dit :

      A Julien Morvan, ce n’est pas de l’enthousiasme. Simplement le travail d’Anouilh donne un peu de vie, de piquant au film. Et l’épisode de la maison du docteur est réellement intéressant (on le retrouve d’ailleurs dans le supérieur et de loin SADE de Benoit Jacquot)

  5. Ballantrae dit :

    Ne touchez pas la hache est un modèle d’adaptation où rivette revisite pour la troisième fois son cher balzac mais cette fois, on n’est plus dans la dimension « feuilletonnesque » de Out one, dans le travail sur la durée de la belle noiseuse…c’est une autre voie, plus ascétique qui fonctionne par soustraction comme pour atteindre la gemme.
    Des plans très concertés au dessin très sobre donnent à écouter le texte avec une actualité étonnante.Les deux acteurs principaux sont admirables.Le regretté G Depardieu avait formidable dans un film injustement mal aimé: PolaX de Carax.
    La langue, la parole sont au coeur du film de Rivette qui échappe aux catégories clivées classique/moderne.
    Carax avait « lancé » julie Delpy qui a effectivement entamé une belle carrière de cinéaste. Le skylab est noté sur mon agenda. La comtesse était certes inégal mais souvent brillant dans son économie de moyens.Comme je l’ai déjà dit « la petite Lise » , la « Béatrice » de mon adolescence a grandi et son talent avec elle!

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